Dans un avenir proche, 73 % de la planète est entré dans l’ère cybernétique sous l’égide d’une entreprise nommée Hanka robotics. Au sein de ce monde futuriste, l’on communique en Mental-com, le cybercrime afflue, les gens se font hacker le cerveau et les robots se déclinent à toutes les sauces : Geisha-bot, Escort-bot… Au sein de cette faune humanoïde, se distingue la figure exceptionnelle de Mira Kilian connue sous le nom du « Major ».
Mira est la seule à posséder un cerveau humain transplanté dans un corps synthétique afin d’y combiner les meilleurs capacités de l’homme et du robot. Appartenant à la Section 9 du ministère de la Défense, elle est chargée de protéger la planète des terroristes et de trouver un certain rebelle nommé Kuze.
En bon soldat, elle accomplit toutes ses tâches avec brio jusqu’au jour où son esprit reprend le dessus. Mira possède en effet un « Ghost », sorte d’âme pensante qui lui confère des sentiments et une conscience quasi incontrôlable par sa hiérarchie. Malgré l’enveloppe synthétique qui la confine et le code informatique qui la définit, elle va peu à peu avoir des réminiscences de son passé qui vont lui apparaître sous la forme d’images virtuelles. Faces à ces « glitchs » récurrents, Mira va partir en quête de son enfance et découvrir que ces échos sensoriels ne sont en fait que des données implantées dans son cerveau ! Amputée de son identité humaine, elle décide à son tour de se rebeller…
Ce très beau film de fiction signé Rupert Sanders est tiré du manga Ghost in the Shell publié en 1989 par Masamune Shirow. Fidèle à l’esprit du livre, le réalisateur britannique nous offre un univers visuel de toute beauté. A l’instar de son héroïne, il nous fait plonger dans des prises de vue abyssales au coeur d’une ville anxiogène peuplée de fabuleuses arcanes codées. Les effets sont magiques et si vous les visionnez en 3D, vous aurez l’impression d’évoluer dans votre ordinateur au sein d’un jeu en réalité augmentée : entre les assauts à la mitraillette, les combats robotisés, les apparitions de pagodes japonaises, les attaques de virus et les impulsions magnétiques, vous vous sentirez totalement immergés dans un monde rétro-futuriste.
L’atmosphère du film est plutôt sombre et le choix du casting contribue parfaitement à conserver ce côté dark. Avec ses yeux tristes, sa combinaison thermoptique et sa nouvelle démarche de baroudeuse, Scarlett Johansson correspond bien au personnage du Major: partagée entre un esprit qui ne cesse de douter et un puissant corps de cyborg, elle est dans le questionnement permanent et flotte entre deux mondes sans savoir lequel est le sien. A la fois forte et vulnérable, elle nous livre des combats stylisés et des introspections intenses.
A ses côtés, Juliette Binoche s’investit pleinement dans la figure du Docteur Ouelet. Conceptrice de Mira, elle confère à sa protagoniste le double profil d’une mère bienveillante et d’une scientifique idéaliste. Le visage doux et la gestuelle posée, Juliette Binoche apaise par sa présence le rythme assez frénétique du scénario. Il en va de même pour l’acteur japonais Takeshi Kitano dans son rôle paternel de vieux mentor ou pour le danois Pilou Asbaek qui joue le coéquipier bourru et protecteur de Mira. Reste enfin l’énigmatique Michael Pitt qui prête son regard étrange et sa beauté enfantine au personnage de Kuze.
Par delà ses excellents interprètes et ses effets spéciaux, Ghost in the Shell a le mérite d’offrir aux spectateurs de beaux questionnements: à travers le personnage de Mira, il nous interroge sur la nature humaine en nous demandant sans cesse si elle se définit par nos actes ou par nos souvenirs. En poussant son héroïne dans une quête effrénée d’identité, Rupert Sanders incite ainsi chacun à conserver son individualité comme une richesse. En effet, pourquoi vouloir effacer nos particularités humaines au risque de tomber dans une perfection synthétisée qui ne nous ressemble pas ?
A l’exemple de tous les films de fiction, cette oeuvre ouvre une nouvelle fois le débat sur la dualité homme-technologie et les conséquences possibles de la Singularité. La problématique étant devenue actuelle, il est intéressant de se demander ce qui nous définit vraiment par rapport à l’Intelligence Artificielle ? Si l’homme a été emmené à concevoir le robot, n’est-ce pas parce que sa continuité et sa survie dépendent de la machine? Pourquoi vouloir sans cesse percevoir l’AI comme une menace ou une invasion extraterrestre? N’est ce pas tout simplement une extension de notre intelligence qui fait aujourd’hui déjà partie intégrante de notre civilisation ?
Le scénario de Sanders s’amuse à pousser les frontières de cette théorie en montrant que les machines pourront un jour devenir nos propres exploitants si elles inversent la donne: aujourd’hui l’homme vit connecté au réseau mais demain les Intelligence Artificielles vivront peut-être connectées à l’humain pour y puiser l’âme sensible qu’elles n’auront jamais !
Pour éviter que la technologie signe la fin de notre « humanité humaniste » suivons donc l’exemple de Mira: vivons connectés mais conservons notre Ghost !
Ghost in the Shell
Un film de Rupert Sanders
D’après le livre éponyme de Masamune Shirow
Avec Scarlett Johansson, Pilou Asbaek, Michael Pitt, Juliette Binoche, Takeshi Kitano, Yutaka Izumihara, Tawanda Manyimo, Lasarus Ratuere
USA – 2017 – 1h47
Sortie Nationale: le 29 mars 2017
Photo © Paramount Pictures