Pour la « Première » française du film Sword Art Online la salle était bondée de geeks scotchés à leurs mobiles. Âgés de 10 à 35 ans, ces gamers invétérés ont daigné lâcher leurs smartphones le temps de la projection puis les ont rallumés de toute urgence dès la fin du générique. Question de survie… vous comprenez ? Tous, en effet, sont des joueurs de Clash of Clans, Clash Royale, League of Legends, Minecraft et autres jeux en ligne qui les maintiennent en état d’alerte et de dépendance 24h sur 24 !
Si vous n’êtes pas familiers des PvP et tournois en temps réel, sachez que la moitié des ados de la planète (pour ne pas dire la totalité) ont déjà fait don de leurs cerveaux aux communautés virtuelles du Net et qu’ils ne se lèvent le matin (ou même la nuit) que pour intégrer des arènes, gagner des trophées, grimper en ladder et devenir le Top Player de ces compétitions addictives !
“Addiction”, le mot est lâché et c’est sur ce phénomène de cyberdépendance que se base le scénario de Sword Art Online. Issu d’une saga en 18 volumes, ce dessin animé japonais aux allures de manga prend place en 2026. Les personnages y sont Kirito et ses amis. Ensemble, ils ont échappé à l’emprise de SAO (Sword Art Online), un jeu en réalité virtuelle où de nombreux utilisateurs ont trouvé la mort pour n’avoir pas pu se déconnecter ! Malgré ces décès tragiques, la plupart des gamins recommencent à plonger dans un nouvel opus : l’Ordinal Scale. Conçu par un développeur de génie, ce jeu de rôle est d’autant plus attrayant qu’il est en “Réalité Augmentée” : munis d’un Augma (sorte de casque permettant de se projeter entièrement dans un monde virtuel grâce à une perception visuelle se superposant à la réalité), les participants se transforment physiquement en guerriers, combattent des griffons en pleine rue et reçoivent des bonus qu’ils peuvent réutiliser dans la vie réelle ! En dépit de tous ces avantages, certains joueurs sentent qu’ils ne parviennent plus à contrôler leurs émotions et commencent à perdre la mémoire… Plus lucide que ses compagnons, Kirito se demande si ce jeu n’est pas un nouveau piège pour s’emparer de leurs consciences …
Ceux qui connaissent la série Sword Art Online vont avoir le plaisir de retrouver ses principaux personnages : Kirito l’épéiste noir, Asuna sa petite amie, Silica la dresseuse ou Klein le leader de la Guilde des Fûrinkazan. Tous sont là pour tenter d’affronter les méchants Boss de l’Ordinal Scale, y compris la petite Yui qui symbolise l’Intelligence Artificielle du groupe.
Dans son ensemble le film est bien conçu : le dessin est plutôt basique mais les protagonistes sont amusants, la musique purement nippone et l’auto-dérision omniprésente. Certes, les non-initiés ne captent rien aux private jokes et ils peuvent se lasser des combats à répétition, mais l’énigme et la réflexion de SAO sont suffisamment denses pour intéresser tout type de spectateur. Les passages du mode réel vers la réalité augmentée sont intéressants car ils font basculer les joueurs en full dive (immersion totale) et dépassent le cadre traditionnel de l’écran. En effet, à chaque fois qu’un personnage enfile son Augma, tout se transforme autour de lui : les buildings de la ville changent d’allure, des arènes virtuelles se déploient dans les rues et des monstres (un peu « kitsch », avouons-le…) apparaissent de tous les côtés.
Quand on se laisse prendre au jeu, le spectacle est autant sur l’écran que dans la salle de cinéma car les fans de SAO se projettent complètement dans l’univers de ces héros : semblables à de grands enfants, ils fantasment sur des donzelles pixelisées, entonnent en chœur les chansons japonaises du dessin animé et se plient en deux à la moindre vanne. Derrière cette ambiance geeko-fleur-bleue se profile cependant une triste évidence : celle de l’addiction aux jeux en réseau dont sont victimes toutes les nouvelles générations.
La plupart des gamers du XXIe siècle ont, en effet, développé une dépendance aux MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) car ces jeux leur offrent non seulement la possibilité de vivre une aventure épique tranquillement enfoncés dans leur chaise mais surtout de s’affirmer de façon sociétale en montant en grade. Seul compte pour eux la compétition virtuelle et le classement ELO de leur communauté au point que certains gamins y sacrifient leur repas, leur sommeil, leur hygiène, sans parler des devoirs… Triste constat de voir que ces ados organisent leur existence autour de la connexion et élaguent ainsi la réalité. A force de vivre sous les traits de leurs avatars, beaucoup coupent tout contact avec leur entourage et s’enferment (pour ne pas dire « s’atrophient ») dans leur imaginaire. Lorsque l’on prend la peine d’analyser les dégâts causés par la réalité virtuelle, l’on se demande vraiment ce que ces jeunes deviendront quand la réalité augmentée aura atteint son apogée…
Et si on interdisait les jeux en réseaux ??! (Là, je sens que je vais me faire des ennemis…)
Sword Art Online ? Un film d’animation sur la cyberdépendance
https://www.youtube.com/watch?v=3_Qfph6hSXs
Sword Art Online – The Movie – Ordinal Scale
Réalisation : Tomohiko Itô
D’après les ouvrages de Reki Kawahara
Musique: Yuki Kajiura
Japon – 119 minutes
Sortie nationale: le 17 mai 2017
Photos © Peppermint Anime