En septembre dernier, l’enchanteur national de nos palais gustatifs a discrètement pris ses quartiers au cœur de Versailles. Dans les murs mêmes du château, il a réaménagé le Pavillon Dufour pour y ouvrir un café contemporain et un restaurant fidèle à l’esprit du Grand Siècle.
Malgré cette consécration royale couronnant son impressionnant parcours professionnel, Alain Ducasse n’est pas près de s’arrêter : en permanence à l’affût d’un mets, d’un lieu ou d’une saveur nouvelle, ce globe-trotter monégasque semble vouloir poursuivre une quête perpétuelle.
Mais qu’est ce qui fait courir Ducasse ? C’est ce que tente de nous divulguer le journaliste Gilles de Maistre à travers son dernier film.
Alain Ducasse est un boulimique au sens noble du terme : ouvert aux enjeux de la modernité et curieux de tout, il est sans cesse en évolution et ne se repose jamais sur ses lauriers-sauces. Du haut de ses 61 ans, il gère un remarquable empire culinaire et récolte année après année les précieuses Étoiles du Michelin. Parmi les lieux d’exception qui caractérisent son univers, l’on pourrait citer Le Meurice, La Cour Jardin du Plaza Athénée, les tables londoniennes du Dorchester, le Louis XV de Monte-Carlo ou le restaurant Beige de Tokyo.
Mais Ducasse ne se résume pas au luxe et à la gastronomie : sa philosophie dépasse aujourd’hui le faste des établissements de prestige pour se concentrer sur le «manger sain» et l’altermondialisme. Ses assiettes, en effet, sont conçues autour du concept de «naturalité» où les notions de nature et de modernité s’accordent : moins de sucre, plus de bio, des poissons de pêche durable, une éradication du gaspillage … Ducasse veut rendre les gens responsables et comme l’explique son dernier ouvrage (Manger est un acte citoyen* ), il place de plus en plus ses créations au centre d’un combat humaniste. À titre d’exemple, lors de la COP 21 de 2015, il a proposé à François Hollande un menu à base de graines et de racines destiné aux trente deux présidents de la conférence ! Il fallait oser !
C’est justement cet avant-gardisme que souligne Gilles de Maistre dans son hommage cinématographique. Par-delà le chef étoilé et l’homme d’affaire inabordable, il nous montre la fibre visionnaire et le caractère altruiste d’Alain Ducasse. Caméra en main, il le suit en Chine, dans les steppes mongoles d’Oulan-Bator ou au coeur de l’école culinaire de Manille qu’il a créée dix ans auparavant pour les jeunes défavorisés. Passant du Jardin versaillais de la Reine aux favélas les plus pauvres de Rio, le réalisateur décrypte le quotidien de Ducasse en nous proposant non seulement un tour du monde de ses cuisines mais aussi une foule de rencontres inattendues : bien loin des chefs d’état et des têtes couronnées, Ducasse sillonne les petits restaurants de Tokyo, bavarde avec ses fournisseurs de cacao, fait l’éloge de nouveaux producteurs de caviar chinois et remet des diplômes à ses meilleures recrues. Au fil des escales et des saisons, on le voit goutter, picorer, humer, échanger. Pudique mais attentif à tout, cet homme de “goût” s’inspire de chaque culture et garde sans cesse ses sens en éveil pour inventer ou recomposer de nouveaux menus.
Tourné avec autant de respect que d’admiration, le film de Gilles De Maistre est un éloge manifeste. Il faut cependant admettre qu’Alain Ducasse a vraiment de quoi épater la galerie (et pas seulement celle de Versailles !). Aussi gourmet que philosophe, ce gastronome humaniste a su concilier le management, le développement durable et l’excellence culinaire. Ce qu’il recherche à présent à travers ses pérégrinations ne reside plus dans la perfection, l’originalité ou la technique: la quête de cet enfant des Landes repose tout simplement sur ce petit supplément d’âme éparpillé aux quatre coins de la planète qui réussira encore à étonner ses papilles.
En ce sens, Ducasse nous fait un peu penser à Grenouille – le personnage de Süskind – et à sa quête du parfum absolu…
La quête d’Alain Ducasse
Un film de Gilles de Maistre
Au cinéma le 11 octobre 2017
* Manger est un acte citoyen
Un ouvrage d’Alain Ducasse
Écrit en collaboration avec Christian Regouby
Éditions LLL 2017