Britannicus : les prémices d’un tyran
Britannicus raconte l’accession au trône de Néron et la prise de conscience progressive de son pouvoir. Placé à la tête de Rome grâce à sa mère Agrippine, ce jeune empereur demeure partagé entre ses conseillers, son devoir filial et ses propres ambitions. S’extirpant peu à peu de ce joug, Néron va se débarrasser avec malice de ses opposants et laisser paraître au grand jour son visage tyrannique…
Écrite par Racine au XVIIe siècle, cette tragédie est l’une des plus belles du répertoire classique. Son verbe, son analyse psychologique et son intrigue en font, en effet, un joyau indémodable de notre patrimoine littéraire.
Une pièce politique
Jouée depuis toujours à la Comédie Française, elle revient aujourd’hui sous la direction de Stéphane Braunschweig, le directeur de l’Odéon – Théâtre de l’Europe.
Séduit par les conspirations et les enjeux de pouvoir de Britannicus, Stephane Braunschweig a choisi de se concentrer particulièrement sur l’aspect politique de ce texte.
Fidèle à la virgule près aux alexandrins de Racine, il a orienté ses acteurs vers un jeu sobre mais puissant mettant en avant les complots et les manipulations propres à tout gouvernement.
La Rome antique transposée au XXIe siècle
Laissant de côté les toges romaines et les colonnades, il a transformé ses comédiens en ministres et politiciens contemporains vêtus de costumes sombres très « corporate ».
Coté décor, Stéphane Braunschweig a opté pour un fond noir ponctué de portes dérobées et de fenêtres immenses. Au milieu de la scène, une longue table de réunion s’impose entourée de douze chaises apostoliques.
Grâce à cette ambiance digne de la Maison Blanche, la Rome antique est transposée de nos jours et permet à Stephane Braunschweig de montrer au public à quel point les vers raciniens demeurent plus que jamais d’actualité.
Un Néron étonnamment sage…
C’est à Laurent Stocker que revient le rôle de Néron. Pas encore tyrannique mais déjà stratège, il maîtrise sournoisement le mensonge et possède un calme inquiétant. La démarche silencieuse et l’oeil perfide, le comédien incarne avec un certain détachement le double jeu de cet empereur: tandis qu’il impose sa loi auprès de ses sujets, Néron n’ose pas affronter le regard de sa propre mère ! Ses entretiens avec Agrippine sont d’ailleurs assez cocasses car il s’y comporte presque comme un enfant !
Étrange image que reflète cette interprétation lorsque l’on sait à quel point cet être fut par la suite un souverain fou et cruel. Pourtant, nulle trace de sadisme ou de décadence dans l’approche de Laurent Stocker, juste une haine timide envers ses semblables et une lâcheté évidente face à la figure dominatrice de la reine. Il est vrai que le jeune Néron vient tout juste d’accéder au trône et que son règne ne fait que commencer mais on le trouve un peu trop sage voire réservé pour un tyran en gestation.
Dominique Blanc en mère dominatrice
Face à ce jeune coq, Agrippine déploie ses serres de mère oppressive. Interprétée superbement par Dominique Blanc, cette veuve romaine possède une modernité étonnante : à la fois instruite et ambitieuse, elle a tout fait pour placer son fils sur le trône mais souhaite plus que tout conserver sa propre place dans l’arène politique.
Vêtue d’une chemise blanche et d’un tailleur pantalon, cette Agrippine des temps modernes nous fait résolument songer à une business woman ! Vive, insistante et hautaine, elle possède autant d’aisance publique que de malice et s’irrite de voir décliner son hégémonie. La bouche petite et persuasive, Dominique Blanc manipule en douceur ses ennemis, tente d’amadouer son fils et jalouse intérieurement la passion soudaine qu’éprouve Néron pour la fiancée de Britannicus. La diction précieuse et pourtant pleine de décontraction, cette magnifique actrice nous offre le portrait d’une régente forte et exclusive qui nous parait pourtant accessible.
Britannicus et Junie : victimes de leur bonté
Bien qu’il prête son nom à l’oeuvre de Racine, Britannicus est la principale victime de cette tragédie. Prétendant au trône de Rome, il s’est lâchement fait écarter par Néron qui n’hésite pas à lui voler Junie, sa fiancée !
Le cheveu blond et le corps athlétique, Stéphane Varupenne incarne Britannicus avec une naïveté intentionnelle. Beau et vulnérable, ce jeune prince manque un peu de caractère pour un fils d’empereur mais il possède tous les traits d’un cœur pur.
À ses côtés, la svelte Georgia Scalliet interprète Junie, sa douce maîtresse. Les pieds nus et le corps enveloppé dans un vieux peignoir, elle ressemble à une souillon totalement égarée. L’air apathique et la voix fluette, elle déclame ses répliques avec un excès de peur qui lui retire, hélas, toute crédulité. Certes la jeune captive à été enlevée de nuit par Néron sans comprendre pourquoi mais elle n’en demeure pas moins une descendante d’Auguste ! Où est donc passée sa noblesse ? Et qu’en est-il de son orgueil ou de sa grâce impériale ? Pourquoi Georgia Scalliet qui était si caractérielle dans L’Odeur de la Mandarine est-elle réduite à une amante aussi fébrile ? Junie est pourtant l’un des personnages les plus lucides de cette histoire !
Benjamin Lavernhe, superbe Narcisse
Autour de ces têtes couronnées ou déchues orbitent les figures des trois conseillers : épaulant Agrippine, la comédienne Clotilde de Bayser nous livre une Albine digne et sobre. Soutenant Néron, l’acteur Hervé Pierre s’approprie, quant à lui, le profil de Burrhus, et confère à ce brave gouverneur un zèle un peu perturbé.
Vient enfin le rôle de Narcisse interprété avec une aisance fabuleuse par Benjamin Lavernhe. La stature fine et l’oeil hypocrite, ce comédien compose un homme de l’ombre subtilement machiavélique ! Trahissant Britannicus pour le compte de l’empereur, il a la langue bilieuse, le geste souple et possède une assurance qui convainc non seulement Néron mais tous les spectateurs. Empoisonneur, traître et menteur, il insuffle au personnage de Narcisse une très belle éloquence scénique y compris dans ses alexandrins qu’il déclame avec une liberté de ton s’affranchissant du carcan racinien..
Grâce à la mise en scène dépouillée de Stéphane Braunschweig et aux jeux perfectionnistes de ces acteurs, l’échiquier politique de Racine est ici présenté dans toute sa grandeur. Balloté entre l’ambition d’une mère, la perfidie d’un ministre, la naïveté d’un prince et les manipulations d’un jeune empereur, l’on ressort de la Comédie Française l’oreille bourdonnante de ces 1768 alexandrins et l’esprit rassasié d’intrigues.
Britannicus – PDF – Florence Yeremian
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Britannicus
De Jean Racine
Mise en scène de Stéphane Braunschweig
Avec :
Laurent Stocker (Néron)
Dominique Blanc (Agrippine)
Benjamin Lavernhe (Narcisse)
Stéphane Varupenne (Britannicus)
Georgia Scalliet (Junie)
Hervé Pierre (Burrhus)
Clotilde de Bayser (Albine)
Matthieu Astre (Garde)
Marceau Deschamps-Segura (Garde)
Alexandre Schorderet (Garde)
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Lumières : Marion Hewlett
Son : Xavier Jacquot
Maquillages : Karine Guillem
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Assistanat à la mise en scène : Laurence Kélépikis
Du 8 juin au 22 juillet 2018
Reprise du 8 octobre 2018 au 1er janvier 2019
Une représentation exceptionnelle en matinée le mercredi 5 décembre à 14h !
Comédie Française
Salle Richelieu
Place Colette – Paris 1er
Réservations : 0144581515 – www.comédie-française.fr
La pièce dure 2 heures sans entracte
Le 5 juillet 2018 à 20h15 : diffusion en direct de la Comédie Française dans plus de 300 salles de Cinéma – Liste des salles
Crédits : portrait de Stéphane Braunschweig © Carole Bellaïche / portraits des comédiens © Stéphane Lavoué / photo titre © Pascal Victor