Ich bin Charlotte : Après le Poche-Montparnasse, le spectacle de Thierry Lopez est au Théâtre Libre
Charlotte von Mahlsdorf n’a jamais eu peur des bombes, pas plus que des soldats SS, de la Stasi ou des menaces homophobes. De son vrai nom Lothar Berfelde, ce travesti a traversé l’Allemagne nazie, le communisme et la guerre froide en échappant absolument à tout !
Son parcours, peu connu en France, est si déroutant qu’il a capté l’attention du dramaturge américain Doug Wright dans les années 2000. Sa pièce (I am my own wife) a d’ailleurs obtenu le Prix Pulitzer. Elle est aujourd’hui mise en voix et en chair par Thierry Lopez.
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Charlotte von Mahlsdorf : un parcours déroutant au fil du IIIe Reich et de l’Ex-RDA
Tels un lys noir entouré des corolles lumineuses de six phonographes, Charlotte entre en scène.
Vêtue de sa longue robe satinée, elle se tient perchée sur ses hauts talons, toise lentement son public, puis prend la parole avec un certain maniérisme pour nous conter sa vie: de sa naissance durant le IIIe Reich à son existence en pleine République Démocratique Allemande, elle évoque ses jeunes années auprès de sa tante, le conflit avec son père militant nazi, l’arrivée de la guerre en 39 et la création de son singulier musée berlinois : le Gründerzeit Museum.
Posée au milieu de ses meubles et de ses archaïques Polyphon, cette antiquaire transgenre détaille avec tendresse la collection unique qu’elle a pu constituer durant la guerre en récupérant tout le mobilier des déportés. Entre la description d’une commode en acajou et celle d’une belle horloge, Charlotte fait allusion aux persécutions des travestis sous le régime de la RDA, critique l’absurdité de la guerre et des dictatures, se remémore les vieux bars LGBT de Berlin, et laisse un peu en sourdine sa collaboration avec la Stasi …
Car collaboration il y a eu. C’est, en tout cas, ce que nous fait comprendre cette pièce. Etait-ce volontaire ou inévitable en période de guerre froide ? Personne ne le saura vraiment … Quoi qu’il en soit, en devenant indic, Charlotte est passée du stade de Chevalier de l’Ordre du Mérite à celui de Persona non grata. Voilà certainement pourquoi elle est allée s’installer en Suède, loin de toute rumeur…
Thierry Lopez : un comédien caméléon
Afin d’incarner le travesti le plus controversé d’Allemagne, le comédien Thierry Lopez se plonge entièrement dans la peau sensuelle et énigmatique de Charlotte.
La silhouette fine et un peu raide, il arpente la scène du Théâtre de Poche avec une féminité évidente. Exceptées sa petite moustache et ses longues mains d’homme qui coulent de ses manches sombres, cet artiste possède une grâce androgyne dont il use (et abuse) insidieusement.
Perché sur ses aiguilles vernies, il nous entraîne dans les doutes de Charlotte autant que dans ses extravagances. Il nous ouvre aussi avec volupté les portes calfeutrées des cabarets de la RDA : délaissant sa “robe-soutane” au profit de porte-jarretelles et de bas résille, Thierry Lopez exhibe de façon ludique et débridée la prostitution et l’excès de débauche propre à l’Allemagne d’après guerre. Avec une assurance presque crâne, il nous offre une décoction de cynisme et de poses lascives qu’il complète en incarnant avec ardeur toute une galerie de personnages croisés par Charlotte : amis, ennemis, parents, journalistes…
Tantôt posé, tantôt tranchant, bien souvent satyrique, Thierry Lopez s’amuse ainsi à changer de visages et d’expressions en passant sans cesse de l’accent français à la rhétorique allemande (On a l’impression d’entendre Karl Lagerfeld !). Porté par la musique de Maxime Richelme et dessiné par les lumières de Jacques Rouveyrollis, il nous fait songer à un caméléon zigzaguant de l’excitation electro à la tempérance prussienne.
Dans cette mise en scène troublante et rythmée signée Steve Suissa, c’est néanmoins la dérision qui prône et le burlesque germanique : si Thierry Lopez danse, rit, parle fort et se déhanche, c’est un peu pour faire oublier à Charlotte les écueils de son existence. On pourrait d’ailleurs lui reprocher de faire l’impasse sur les fêlures et la détresse de cet être singulier au profit de sa folie et de sa fibre subversive, mais c’est un choix : dans ce seul-en-scène, la légèreté prévaut sur la gravité. De toute évidence, Charlotte Von Mahlsdorf aurait apprécié !
Ich bin Charlotte ? Une partition transgenre pleine de finesse et de dérision.
Ich bin Charlotte – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
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