Misery de Stephen King est transposé sur les planches du Théâtre Hebertot
Mais qui est Misery ?
Annie Wilkes est la fan numéro un de Paul Sheldon, un auteur renommé de best-sellers. Littéralement happée par ses livres, elle s’est identifiée à Misery, l’héroïne de sa saga, et refuse que Paul fasse mourrir ce personnage au 9ème tome. Emportée par son obsession maladive, elle emmène le romancier dans sa ferme du Colorado et le séquestre pour lui faire changer la fin de son histoire…
Une scénographie ingénieuse et anxiogène
Mise en scène avec justesse et sobriété par Daniel Benoin, cette adaptation de Misery est une version “soft” de l’oeuvre de Stephen King. L’angoisse et l’atmosphère oppressante de ce roman sont néanmoins présentes à travers la scénographie de Jean-Pierre Laporte qui a judicieusement parsemé les murs du Théâtre Hébertot de projections cauchemardesques et de lumières froides.
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Quand Myriam Boyer séquestre Francis Lombrail
Coltiné dans son lit à barreaux, le pauvre Paul Sheldon nous fait songer à un prisonnier dont la destinée ne dépend plus, hélas, que du bon vouloir d’Annie, sa tortionnaire. Interprété avec sincérité par Francis Lombrail, cet écrivain passe de l’incompréhension à la peur, se sent flatté d’être adulé par sa lectrice, puis il réalise à quel point cette dernière est une névrosée.
Face à lui, la comédienne Myriam Boyer déploie justement toutes les cartes de la psychopathe. Avec une certaine gourmandise, elle joue les admiratrices candides, couve maternellement son romancier préféré, le soigne comme un enfant, puis elle laisse peu à peu apparaître le visage cruel qui se cache derrière sa bonne bouille. Sa voix éraillée se fait alors insistante, sa maladresse se transforme en brutalité et son esprit se teinte de démence. Malgré son jeu excellent et son petit rire sadique, on aimerait que Myriam Boyer aille au-delà de la folie douce. A l’exemple de Kathy Bates dans le film de Rob Reiner, on voudrait la voir quitter son rôle de simplette pour devenir diabolique et nous entrainer avec perversité dans la folie furieuse de sa protagoniste.
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Une pièce qui analyse la relation bourreau / victime
Plus qu’angoissante, cette pièce est surtout intéressante d’un point de vue psychologique. A mille lieues du film d’horreur ou du thriller sanguinolent, elle possède un suspens constant et dissèque avec minutie la relation qui se tisse graduellement entre un bourreau et sa victime.
L’analyse entre dominant et dominé est judicieuse et frôle parfois le syndrome de Stockholm. A travers le conflit mental et physique qui se déploie sur scène, ce récit met en avant le talent de manipulatrice d’Annie Wilkes et fait ressortir toute l’intelligence de Paul Sheldon qui doit garder son calme et sa lucidité pour survivre.
Face à cette situation d’oppression, on s’interroge sur les causes de la folie d’Annie mais on réfléchit également aux éléments fondateurs de toute création artistique : un écrivain peut-il (doit-il?) écrire sous pression ou n’est-ce pas une nécessité ? Dans le cas du romancier Paul Sheldon, il semblerait que sa captivité soit étonnamment favorable à l’émulation de son esprit…
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Vivons-nous tous par procuration ?
Grace à l’interprétation des deux comédiens, la tension est dense sur la scène du Théâtre Hébertot et le public se met instinctivement à la place de Paul Sheldon : à l’exemple de cette victime, le spectateur se sent pris au piège, il cherche des indices scéniques pour l’aider à fuir, pense à la fenêtre, à la lourde machine à écrire, examine toutes les mimiques d’Annie pour la déjouer, suit ses allers-retours, veut intérieurement l’étriper, tente malgré tout de comprendre cette diablesse au sourire d’enfant et finit par se retrouver penaud face à tant d’aliénation.
Devant une psychose aussi délirante, certaines de nos pensées vont plus loin. On se dit que de telles situations existent bel et bien dans la réalité et qu’il est fort courant d’entendre parler de séquestrations ou d’adulateurs de stars…
Le pouvoir des mots et celui des livres sont, à n’en pas douter, vertigineux sur notre imaginaire. Chacun d’entre nous possède, en effet, un besoin indicible de se déconnecter du quotidien par le biais d’un héros ou de personnages auxquels il s’identifie. Cependant, lorsque l’on songe à la prolifération des sagas TV et des Web séries qui ont rendu dépendants des milliers de spectateurs, on prend soudain conscience des dommages que pourraient engendrer ces fictions auprès des esprits les plus faibles. Comparativement aux protagonistes de Game of Thrones ou de Westworld, la pauvre Annie Wilkes passe alors pour une sainte ! Et si on arrêtait tout simplement de vivre par procuration ?
Misery – PDF Syma News – Florence Ye?re?mian
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