KANATA vous attend au Théâtre du Soleil
L’auteur québécois Robert Lepage met en scène les comédiens du Théâtre du Soleil dans un immense voyage au cœur du Canada et de son passé colonialiste : surtout ne ratez pas ce tsunami théâtral !
Que sont devenus les descendants des Autochtones ?
L’histoire de Kanata débute délicatement au Musée des Arts Premiers d’Ottawa. Face au très beau portrait d’une amérindienne dialoguent un commissaire d’exposition et une restauratrice de tableaux, descendante des anciennes nations. Lui ne connaît pas grand chose au passé colonisateur du Canada; elle, en sait trop, mais a l’élégance de ne pas étaler les multiples blessures de son peuple décimé. Entre cet homme et cette femme une idylle se dessine qui va pousser la porte douloureuse du coeur des Autochtones et laisser s’engouffrer les non-dits de l’Histoire : grâce à leur amour et leur ouverture d’esprit, ils vont briser le silence et entraîner les spectateurs à la rencontre de traumatismes qui ne cessent de gangrener les nouvelles générations amérindiennes.
Attention : nulle trace de clichés ni de drame pour mettre en avant le sombre passé de ce Canada conquérant. Juste une analyse fine et perspicace qui ne s’attarde pas sur les massacres des Autochtones mais se concentre avec implication sur les conséquences actuelles de tels actes : que sont devenus les descendants des premières nations ? Ont-ils trouvé leur place dans un XXIe siècle censément dénué de racisme et de frontières ethniques ? Et qu’ont-ils gardé de leur identité culturelle ?
;
Une question identitaire valable pour toutes les minorités
La pièce écrite par Robert Lepage est un spectacle lucide, fort et engagé. Bien que dénonciateur à l’égard des colons, le regard que ce metteur en scène porte sur le passé et le présent de son propre pays demeure chargé d’une grande humanité et incite à la réconciliation : novateur dans son approche de l’Histoire, Robert Lepage ne se contente pas de dénoncer les traitements perpétués aux Autochtones du Canada : par delà leur génocide, leur exclusion ou leur assimilation forcée, il montre avant tout le trauma qui s’est propagé sur leurs descendants d’aujourd’hui.
Son constat est froid et sans artifice car il nous présente une jeunesse perdue, marginalisée et décadente qui ne parvient plus à savoir d’où elle vient ni où elle va…
Emporté par ces questions primordiales de racines et d’identité culturelle, Robert Lepage ose également étendre ses interrogations aux autres minorités ethniques du Canada : déployant sa sollicitude envers les communautés chinoises, juives ou pakistanaises, il dénonce sans fard l’hypocrisie étatique, la pseudo-mixité contemporaine et le mal-être des milliers de migrants réfugiés au Canada.
Une mise en scène cinématographique
Dans cette dénonciation amère, tout se fait crescendo avec une scénographie à couper le souffle : durant près de trois heures, l’on voit ainsi se succéder plus d’une vingtaine de décors avec une telle fluidité qu’on a l’impression d’être au cinéma!
En un clin d’oeil l’on passe du quartier chinois de Vancouver à une sombre forêt, d’un atelier d’artiste à une porcherie ou d’une salle de shoot à un vieux commissariat.
Obnubilé par ces multiples changements de lieu, notre esprit voyage sans arrêt et se laisse volontiers porter à travers le temps, la création artistique ou les délires oniriques des drogués de la rue Hastings.
.
Une troupe magique de 32 artistes !
C’est avec un enthousiasme unique que les comédiens du Théâtre du soleil se jettent à corps perdu dans cette pièce-fleuve. Il faut dire que le texte de Robert Lepage les touche particulièrement car le collectif d’Ariane Mnouchkine est constitué d’artistes de toutes origines : afghans, australiens, sud-américains, certains sont d’ailleurs des réfugiés ou ont même fait le choix de l’exil !
Face au questionnement identitaire de Kanata, la plupart se sentent impliqués et cela se ressent car ils abordent la pièce à travers leurs expériences personnelles.
Quelle énergie ! Quelle folle mosaïque de personnages ! Quelle belle mixité surtout !
Du début à la fin, on a l’impression d’assister à une fresque familiale où tous les acteurs collaborent en apportant avec sincérité leur propre passé et leur ressenti : qu’il s’agisse du serial-Killer, des drogués, de l’assistante sociale, de la restauratrice de tableaux, de l’artiste peintre ou des flics, chaque comédien se met à nu, offre son ADN et prend intrinsèquement part à ce message universel d’altruisme et de respect.
À n’en pas douter une très belle transmission se fait du texte aux artistes mais aussi de la scène envers le public.
.
Oublions donc la polémique qui s’est déclenchée l’été dernier au Canada à cause de l’absence de véritables acteurs Autochtones au sein de la pièce. Ce spectacle est tout simplement remarquable !
.
KANATA – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
.