Faut-il encore écrire sur Fabrice Luchini ? Oh que oui ! Car ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de le voir seul sur scène ne savent pas ce qu’ils ratent !
Un spectacle de Luchini c’est un roulement de tambour qui frappe à toutes les portes de la littérature française et vous met en extase devant sa magnificence. Ça commence sournoisement, par quelques mises en bouche littéraires presque humbles, voire populaires : un soupçon de Zola pour amadouer le large public, un zeste de Marx afin de séduire les socialos du poulailler, une longue tirade sur Peguy pour prêcher l’éloge du travail, et puis ça se corse avec le pessimisme de Cioran, la pensée freudienne ou la sublime lucidité de Céline.
Qu’il s’agisse d’un poème ou d’un manifeste, tout est dit avec un détachement apparent qui trahit néanmoins un amour inconditionnel de la langue française et nous transporte crescendo dans la tête de chaque écrivain. Grâce à son talent et sa maîtrise des textes, Sieur Luchini peut tout se permettre et il le sait bien. Voilà pourquoi il a axé son spectacle sur l’un des sujets les plus tabous des Français dont il se gargarise avec délectation : l’argent. Non seulement ce thème est lucratif mais il lui va comme un gant car le comédien adore provoquer son fidèle public.
La bouche insolente et l’oeil biaiseux, voilà donc Luchini qui parle d’oseille, de notaires, de créances et de successions. Taquinant les spectateurs du premier rang, dévotement assis à ses pieds dans leur carré d’or, il leur expose avec cynisme la montée du capitalisme et les méfaits de la fortune. Se posant en moraliste, il leur tient tête, les bouscule un peu, se rit de leurs existences si bourgeoises, et eux l’écoutent bouche bée, en buvant son prêche comme du petit-lait.
Il faut dire que ce comédien a le bagou aussi fluctuant que délicieux ! Son verbe est féroce, ses apartés incisives, quant à ses extraits qu’il a si judicieusement choisis, il les vénère tant qu’il semble littéralement en jouir lorsqu’il les déclame ! Accentuant les allitérations et les mimiques, Luchini joue névrotiquement, fait rouler les rrr quand il parle d’argent et laisse vriller sa pupille lorsqu’il aborde le lien entre l’avarice et l’érotisme anal !
Fougueux, fiévreux, ce grand bavard ivre de mots ne tient pas en place un instant. Allant et venant sur la scène, il se dédouble, récite pieusement Rimbaud, s’emporte contre la droite, tombe la veste, s’échauffe l’esprit contre Kim Kardashian et nous convertit tous !
Entre un poème de La Fontaine, un adage signé Guitry et une réflexion sur la crise des subprimes, il est vrai que tout semble se mêler chaotiquement durant ces deux heures de spectacle et pourtant l’acteur maîtrise sa parade de bout en bout : depuis le temps qu’il lit et relit avec ferveur ces textes merveilleux, il les a quasiment fait siens. Voilà pourquoi, Luchini peut se permettre de réciter le Corbeau et le Renard en verlan, d’inviter Hugo et Calvi à la même table ou d’improviser une joute verbale autour de Ruy Blas avec un spectateur qui a le cran de lui donner spontanément la réplique.
C’est beau, c’est grisant, parfois exacerbé ou excessif, mais d’une fluidité lumineuse qui ressuscite nos écrivains et confère à la langue française une patine si belle qu’elle nous donne tout simplement envie de décimer nos anciens profs de lycée…
Merci pour ce récital littéraire Monsieur Luchini et à bientôt !
Fabrice Luchini – Des e?crivains parlent d’argent – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
Fabrice Luchini
Des écrivains parlent d’argent
Charles Péguy, Émile Zola, Pascal Bruckner, Karl Marx, Jean Cau
Théâtre de la Porte Saint Martin
18 boulevard Saint Martin – Paris 10e
Réservations : 01 42 08 00 32
Jusqu’au 13 avril 2020
Crédit photo de fond : Sylvie Lancrenon