Art Paris 2019 : un bon millésime pour l’art contemporain
Art Paris vous attend jusqu’à dimanche sous la Nef du Grand Palais pour une belle promenade parmi les œuvres choisies de 150 galeries. Au cours de cette XXIe édition, le Salon met l’Amérique Latine à l’honneur et consacre une section spéciale aux femmes artistes.
Comme chaque année, SYMA News vous présente sa sélection personnelle.
Étoiles du Sud
Sur cent cinquante exposants, la Foire d’Art Paris accueille cette année soixante quatre galeries étrangères. Apres avoir mis à l’honneur la Chine en 2014 et l’Afrique en 2017, elle nous propose cette fois une exploration des différents pays d’Amérique du Sud.
Cette scène artistique est aussi vaste qu’éclectique mais elle demeure encore trop peu connue en Occident. Parmi la cinquantaine d’artistes venant du Pérou, du Chili, de l’Argentine mais aussi de Cuba ou de Colombie, un peintre mexicain sort du lot par la singularité de sa démarche picturale : Alfredo Vilchis Roque.
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Alfredo Vilchis : le peintre des “miracles”
Né dans les quartiers défavorisés de Mexico, Alfredo Vilchis s’est spécialisé dans la réalisation d’ex-voto. Ces petites peintures sur métal sont pour la plupart d’humbles commandes de voisinage servant à remercier les saints pour leurs bonnes actions ou à leur demander une grâce.
Mélangeant le sacré au profane, elles évoquent des guérisons miraculeuses ou des scènes de rues présentant le Christ aux cotés de prostituées repenties ou de junkies ayant échappés à la mort.
De par le traitement naïf des personnages et l’archaïsme des compositions, ces miniatures exceptionnelles nous font penser à des retables. Cet aspect religieux est d’ailleurs accentué par l’ingénieuse galerie Moisan qui a disposé les oeuvres d’Alfredo Vilchis à la manière de pieux polyptyques.
Alexandrine Deshayes : une artiste à la palette douce mais engagée
Tout aussi consciente des dérives contemporaines, la peintre normande Alexandrine Deshayes se penche de son côté sur l’exil, les migrants ou les rapts de femmes durant les guerres civiles.
Inspirée par l’art des grands peintres autant que par l’actualité , elle a remis à jour des œuvres classiques pour éveiller nos consciences. Il en va ainsi de son radeau de la méduse qui met en scène les migrants de Lampedusa (Mare nostrum) ou de son enlèvement des Nigérianes qui n’est autre qu’un clin d’oeil lucide aux Sabines de Jacques-Louis David.
Par le biais de ses tonalités pastel et de son travail presque lissé, Alexandrine Deshayes a le talent de transmettre en douceur ses désillusions d’artiste face au monde dans lequel nous vivons. Elle est représentée par la Galerie des sens de Caen.
Un sans-faute pour la Galerie Rabouan Moussion
Cette démarche critique à l’égard du monde actuel est aussi celle de la Galerie Rabouan Moussion. Figure de prou d’un art engagé – voire politique – , cette galerie parisienne a un flair évident pour dénicher des “artistes messagers”.
Stelios Faitakis fait partie de ces peintres éveilleurs de conscience. Originaire de Grèce, il s’inspire des icônes et de l’art ancien pour ses créations. Peignant sur bois, il use de dorure, confère à ses visages une patine propre aux figures de Saints et nimbe d’auréoles ses protagonistes féminines tout en les revêtant de mini-jupes et de cuissardes. Le contraste est amusant d’autant plus que Stelios Faitakis possède une maîtrise évidente de la composition et de la provocation.
Dans un autre genre, tout aussi judicieux mais un peu plus cynique : le moscovite Dimitri Tsykalov a choisi de mettre en scène une vanité en utilisant comme support un assemblage de caisses de munitions. Démarche singulière mais intéressante et fort bien travaillée pour ce Mémento Mori qui dénonce ludiquement les guerres et le trafic d’armes.
La peinture et les assemblages de bois n’étant pas suffisants, la galerie Raboan Moussion a aussi déniché un talentueux photographe : Erwin Olaf. Né aux Pays-Bas, il conçoit des impressions chromogéniques d’une très grande finesse qui se moquent avec beaucoup de subtilité de l’American Dream. Mettant en scène le pouvoir de l’argent, l’hypocrisie des familles catholiques et les perversions de notre époque, il les livre silencieusement à nos regards et nous laisse réfléchir …
Back in the USSR
Peu connu en France mais renommé dans tous les pays de l’ex-unionsoviétique, Zurab Tsereteli est l’une des figures les plus importantes de ce salon. Vivant actuellement en Russie, cet artiste d’origine géorgienne a réalisé un grand nombre de sculptures monumentales parmi lesquelles se distingue celle de Pierre le Grand dominant les bords de la Moskova.
La galerie Art Agency de Sofia offre donc au public parisien une très rare occasion de voir le travail de cet artiste multiple. Elle présente en priorité de grandes toiles aux tonalités vives et criardes, mais ce sont surtout les carnets de dessins de Tsereteli et ses lithographies qui sont intéressantes. La ligne épurée et le trait souple, elles nous laissent découvrir des personnages du folklore caucasien ainsi que des figures à corps amples rappelant le style avant-gardiste de Malevich.
Du côté de l’Asie
Encore plus à l’est, du côté de l’Asie, trois peintres se distinguent :
Il y a, d’une part, les encres oniriques de Gao Xingjian qui débordent de douceur et invitent réellement le visiteur à une contemplation silencieuse. Poursuivi au siècle dernier par le parti communiste, ce peintre et écrivain chinois (Prix Nobel de littérature en 2000) a fort heureusement trouvé asile en France où il réside et crée de merveilleuses oeuvres depuis 1988.
Viennent ensuite les grands paysages de Raymond Fung. Assemblés comme un alignement de kakémonos, ces compositions quasi-architecturales possèdent une certaine noblesse. Véritable ode à la nature, certaines laissent même échapper de fins nuages de brume à travers de petits trous.
Enfin, ne ratez pas les acryliques mystiques de Kiyoshi Nakagami : fidèle à la technique du nihon-ga, cet artiste japonais mâtine minutieusement peinture et pigments d’or afin de capturer des effets de lumière. Il en résulte une matière picturale aussi évanescente que délicate qui nous transporte dans une dimension inconnue. .
Redécouvrons Leonor Fini !
Belle surprise également, la Galerie Minsky expose plusieurs oeuvres de Leonor Fini (1908-1996) ! Née d’une mère italienne et d’un père argentin, cette artiste surréaliste est remise en lumière à travers ses huiles des années 50 déclinant des nus, des portraits et des thèmes plus fantaisistes tel que cet ange de l’anatomie.
Côté sculptures
Du côté des sculptures, on apprécie les bronzes patinés de Manolo Valdes qui déclinent des figures de Menines aussi féminines que hiératiques. (Opera Gallery)
Dans un tout autre genre, on aime aussi les “Moss People” de Kim Simonsson : réalisés en verre et céramique recouverts de mousse, ces drôles d’enfants font un lien direct entre l’humain et la nature. (Galerie Nec Nilsson et Chiglien)
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Art is everywhere !
Pour finir, sachez que l’art se déniche aussi parmi les visiteurs à l’exemple de ce couple abracadabrant qui pose amicalement devant une œuvre de Boris Nzebo (Galerie MAM de Douala – Cameroun). Belle coïncidence : la coupe explosive de madame fait écho aux tonalités du tableau qui se nomme justement “L’architecte capillaire” !
Un bon cru donc pour cette Art Fair 2019 ! Merci à son commissaire général Guillaume Piens qui permet aux professionnels et aux amateurs d’art contemporain d’explorer tous les continents en déambulant au cœur de Paris.
ART PARIS 2019
Grand Palais
Du 4 au 7 avril 2019
La photo titre de l’article présente une installation signée Betsabeé Romero qui accueille les visiteurs sur le parvis même du Grand Palais : intitulée “Requiem pour la voiture polluante”, cette oeuvre de 2019 traduit le parti-pris de cette artiste mexicaine pour l’écologie et la défense de l’environnement. (Galería Saro León)