Comprendre le Japon, c’est aussi comprendre l’influence qu’il a eu, ou qu’il a toujours, sur ses voisins. Profitons-donc d’un petit séjour en Corée du Sud pour explorer l’histoire commune des deux pays, leurs similitudes et leurs différences.
Pour cela, pas de meilleur endroit que Busan, la grande métropole côtière au Sud-Est de la péninsule. C’est le port Coréen le plus proche du Japon, et c’est donc là que l’influence réciproque des deux pays est la plus grande. Pour preuve, le musée d’histoire contemporaine de Busan est très largement consacré à l’occupation japonaise de la première moitié du 20e siècle. Le bâtiment lui-même est l’ancien siège de la Société de Développement Oriental, créée par les Japonais pour superviser leurs activités sur le continent asiatique.
1870 – 1945, les heures sombres
Dès le début de l’ère Meiji, l’empire japonais avance ses pions vers la Corée de la dynastie Joseon. En 1875, un navire de guerre nippon arrive au large du Busan. Dans les années qui suivent, la Corée sera forcée de laisser les japonais s’installer économiquement, en leur donnant par exemple des terres à usage exclusif. En somme, la Japon reproduit exactement la méthode utilisée par les américains chez eux vingt ans plus tôt!
Très vite, le Japon installe une succursale de sa propre banque nationale à Busan, afin de développer ses activités rapidement. En pratique, le Japon achète du riz coréen et vend des produits manufacturés. Les moyens de production du Japon sont beaucoup trop avancés pour que la fragile économie de Joseon puisse lui faire concurrence. Les bateaux de pêche nippons sont par exemple bien supérieurs technologiquement aux méthodes coréennes. Les capitalistes japonais ne mettrons que quelques années pour balayer les marchants coréens. Ayant la main sur le monde des affaires, le Japon prend de facto le contrôle de Busan, et y installe même sa propre administration, le Busan-bu.
Au début du 20e siècle, la direction des affaires par les japonais devient ultra-rigoureuse : Busan est considérée comme faisant partie du Japon. Outre les nombreux registres répertoriant tous les fonctionnaires, le musée d’Histoire de Busan montre certains rapports économiques, qui étaient édités périodiquement pour mesurer la performance des divers secteurs d’activité. Ici on peut lire “bulletin mensuel de la chambre de commerce de Busan”. Le très haut niveau d’organisation, alors que le Fordisme commence à peine à faire son apparition aux Etats-Unis, est époustouflant.
Paradis des linguistes, le musée a également quelques superbes exemples de japonais écrit d’avant-guerre. A droite sur cette photo, on peut voir le “13e rapport d’activité” de la banque de Dongnae (quartier de Busan). On constate que 13 s’écrivait encore ??. Aujourd’hui, on écrirait ??.
Deux vues de Busan vers 1920. Alors que le conflit armé en Asie se durcit, le Japon impose de plus en plus sa culture. Sur la maquette, on peut voir un temple Shinto (religion propre au Japon) situé sur la colline appelée Yongdusan. Aujourd’hui s’y trouve la tour de Busan.
Le Japon fit construire un certain nombre d’infrastructures importantes à Busan. La gare, la douane ou le centre commercial Minakai ici à l’image. L’archipel n’a cependant pas “apporté” ces actifs à la Corée, car seuls les ressortissants japonais en bénéficiaient. Les Japonais se souciaient en réalité bien peu du bien-être des Coréens : la modernisation de Busan était avant tout un moyen d’étendre l’Empire du Soleil Levant. Tout ce qui a été fait à Busan l’a été dans un but de conquête violente. A cause de cela, les relations sont encore aujourd’hui difficiles entre les deux pays et les incidents diplomatiques sont fréquents.
Plus impressionnant encore, cette série de photos montre la même avenue à plusieurs dizaines d’années d’intervalle. En 1900, la quartier est très peu développé. 30 ans plus tard, l’urbanisation a fait un gigantesque bond en avant : les bâtiments sont plus robustes et le tram a remplacé les routes en mauvais état. Les enseignes sont en japonais et le drapeau national du Japon est visible à gauche.
En 1950, l’alphabet coréen a remplacé le japonais dans les rues. Les jeeps américaines paradent dans Busan libérée. En 2003, les couleurs de la mondialisation font tant bien que mal oublier le passé guerrier.
Après 1945, le Japon vaincu se retire de Corée et l’armée américaine assure l’intérim à Busan. Non sans difficulté : la ville sera déstabilisée par la rupture brutale des relations économiques avec le Japon. Le gouvernement provisoire américain n’a pas su mener des politiques de substitution efficaces, et Busan continua de faire face aux difficultés, encore aggravées par la guerre de Corée peu de temps après le fin du conflit mondial.
Un monde culinaire assez distinct…
Pour en revenir à des sujets plus légers, rendez-vous au restaurant. L’alimentation en Corée du Sud diffère beaucoup par rapport au Japon. Il y a cependant d’assez nombreux restaurants japonais qui servent des sushis, du curry ou autre, signe que le réalisme économique et la diversité culinaire l’emportent sur la rancœur historique.
Mais la cuisine traditionnelle Coréenne, ainsi que les arts de la table sont assez distincts. Déjà, les baguettes sont en métal et non en bois comme au Japon. Ce plat s’appelle Bibimbap : c’est une série de légumes à mélanger avec du riz et de la sauce piquante. Il existe aussi des versions avec de la viande pour les amateurs. Avec le plat principal, les coréens servent aussi systématiquement de petites assiettes en plus contenant des accompagnements tel que le kimchi (choux fermenté plutôt relevé), une soupe ou des petits poissons. Tout cela ne se voit guère au Japon.
Autre différence surprenante, on coupe la nourriture avec… des ciseaux! Cela surprendra plus les occidentaux, pour qui c’est plutôt un ustensile de bricolage. Au Japon par ailleurs, il y a rarement besoin de couper les aliments pour ce qui est des plats courants. Autre détail amusant, les couverts sont dans des tiroirs!
… mais des loisirs de plus en plus proches ?
En allant à la librairie en revanche, peu de dépaysement pour les habitués de l’archipel. La Corée du Sud produit relativement peu de mangas et de light novels. Ceux présents en rayons sont essentiellement des titres traduits du japonais. De manière assez ironique, la bande dessinée semble être le dernier aspect de la domination japonaise en Corée.
Le jeu vidéo console est très minoritaire en Corée du Sud, où les gens jouent bien davantage sur PC. Pour preuve, il n’y a que deux endroits à Séoul où on peut en acheter. La vente en Corée, à l’inverse des rayonnages japonais impeccables, est très désorganisée : les jeux ne sont parfois même pas rangés par console. L’importation de consoles de jeu depuis le Japon est assez récente, le traduction de jeux en coréen encore plus. Le jeu vidéo sur console n’est donc pas un gros loisir populaire comme au Japon, ou comme chez nous, mais la mode s’installe tout doucement.
Une similitude pour finir : comme les japonais, les Coréens sortent en nombre pour admirer les cerisiers en fleurs. La manière est différente cependant, le pique-nique n’est pas l’objet. A Busan, les Coréens préfèrent se promener et se divertir sur des stands installés pour l’occasion.