Électre / Oreste
Ce spectacle raconte la vengeance des enfants du roi Agamemnon, Électre et Oreste. Unis contre Égisthe qui a tué leur père et les a chassés du royaume, ces jeunes exilés vont aller jusqu’à fomenter le meurtre de leur propre mère, la traîtresse Clytemnestre, devenue l’épouse de l’usurpateur…
Ivo van Hove ébranle la Comédie Française
Pour cette saison 2019, le metteur en scène flamand Ivo van Hove est doublement présent à la Comédie Française : d’un coté, il revisite les Damnés de Visconti, de l’autre, il compile judicieusement deux drames d’Euripide : Électre & Oreste.
Novatrices et sans limites, ses mises en scène ébranlent le calme du Français et le dépoussièrent avec audace grâce à leur violence visuelle et leur lucidité intellectuelle.
Épaulé par Bart van den Eynde qui réfléchit à la dramaturgie de ses créations, Ivo Van Hove s’amuse en effet à triturer toutes sortes d’œuvres classiques pour en extraire la modernité et le sens politique. Pour ce faire, il s’attache à la psychologie de ses protagonistes et tente à chaque pièce d’ancrer leurs réflexions dans notre époque.
Usant de percussions, de vidéos ou de danse, il mixe les genres pour nous livrer des spectacles pétris de passions destructrices et de haine où les corps se mettent à nu dans tous les sens du terme.
Une œuvre de Van Hove c’est un éclaboussement théâtral qui vous prend aux tripes, vous énerve ou vous subjugue mais c’est surtout un spectacle qui vous fait réfléchir car rien n’est laissé au hasard : ni le rythme qui monte crescendo, ni les costumes qui reflètent la hiérarchie sociale, ni l’éclairage qui assombrit les esprits ou met en lumière les vérités.
Faut-il répondre au crime par le crime ?
Avec Électre et Oreste, Ivo van Hove entraîne ses spectateurs dans les arcanes de la mythologie antique tout en les interrogeant sur une question contemporaine : faut-il répondre au crime par le crime ?
L’histoire des Atrides est idéalement propice à un tel questionnement : entre un régicide, un matricide, une malédiction familiale et une profusion de meurtres, on ne pouvait trouver de meilleur exemple pour légitimer – ou pas – la violence. A travers les morts qui se succèdent, la brutalité qui se répand durant toute la pièce et les pensées des protagonistes qui se radicalisent, on est pris dans ce tourbillon de haine et l’on s’interroge sur ses conséquences : un tel carnage peut-t-il vraiment apporter le salut aux enfants vengeurs ou va-t-il anéantir définitivement la lignée des Atrides ? Et qu’en est-il du droit de vie et de mort : la justice revient-elle à chacun d’entre nous ? Est-elle l’apanage des hommes de lois ? Ou appartient-elle au jugement des dieux ?
Électre et Oreste
Électre et Oreste ont décidé de rendre justice par eux-mêmes.
Leur conspiration débute en pleine campagne, sur les terres mêmes où la princesse Électre a été transformée en esclave par sa mère Clytemnestre et son nouveau roi Egisthe. De son côté, Oreste a été banni de la ville d’Argos pour évincer ses prétentions au trône, mais le voici de retour auprès de sa soeur pour se venger.
Afin d’interpréter ces deux parias, Ivo van Hove a misé sur des comédiens au caractère bien trempé :
Dans le rôle d’Electre, Suliane Brahim déploie toute sa rage et sa ferveur pour donner vie à cette jeune vierge outragée par sa génitrice. Vêtue de haillons et les pieds nus, elle ressemble de prime abord à une mendiante mais la fierté royale qui coule dans ses veines alimente tout au long de la pièce sa sève vengeresse. Le geste vif et la voix hargneuse, Suliane Brahim nous ébranle par son impartialité, sa force intérieure et son instinct bestial.
Face à cette jeune fille virile aux cheveux courts, le comédien Christophe Montenez nous livre intentionnellement un frère plus fragile. Partagé entre sa folie et sa souffrance, le personnage d’Oreste se plie dévotement aux ordres de sa sœur qui l’enivre avec sa soif de sang. Tour à tour plaintif, grave ou possédé, Christophe Montenez doit faire face à des phases de doute et de lucidité qui vont entraîner graduellement son personnage vers la culpabilité et la démence.
Quels magnifiques comédiens !
Autour de cette fratrie soudée dans la vengeance gravitent les autres protagonistes d’Euripide : il y a le prince Pylade (Loïc Corbery, tout en finesse), frère d’arme d’Oreste, l’oncle Ménélas (interprété avec un certain flegme par Denis Podalydès) ou Clytemnestre et sa sœur Hélène de Troie incarnées successivement par la superbe Elsa Lepoivre dont émane une si douce noblesse. On croise aussi le grand-père Tyndare (Didier Sandre) ou le Dieu Apollon (Gaël Kamilindi).
Et puis, il y a le chœur et son Coryphée (Claude Mathieu) : semblables à des furies en haillons, ces Érinyes accompagnent fougueusement le récit. À la fois narratrices et actrices, elles sont omniprésentes durant toute la pièce et nous donnent l’impression d’évoluer dans un ballet tribal autour de la figure d’Électre. Leur travail chorégraphique signé Wim Vandekeybus nous fait penser à une création de Pina Baush et il est superbement accompagné par un quatuor de percussionnistes qui répond à ces femmes en transe à coups de gong et de timbales.
Une mise en scène sublimement trash
Toute cette troupe de fabuleux comédiens qui se plie corps et âme aux exigences d’Ivo van Hove évolue dans un décor des plus insolites pour la Comédie Française : sans aucune réticence, le metteur en scène a couvert de boue tout le sol du Français et placé en son centre un cube noir en guise de cabane ou de Palais royal.
Sur ce plateau glissant et marécageux, chacun des interprètes se fait tour à tour happer, éclabousser ou souiller par cette terre mortifère : qu’il s’agisse des pauvres miséreux ou des nantis vêtus de bleu-roi, tous finissent par s’enliser dans ce magma infâme symbolisant à la fois le péché, la perversion humaine et la fatalité attachée au destin des Atrides.
Une telle scénographie peut paraitre trash, voire choquante, pour une adaptation d’Euripide mais il en ressort un tel souffle tragique et une cruauté si palpable que l’on est conquis malgré la boue, l’excès de sang et les émasculations.
Ivo van Hove a déjà plus d’une cinquantaine de mises en scène à son palmarès et il a bien compris qu’il faut parfois brusquer les spectateurs pour faire poindre en eux une prise de conscience sur le monde qui les entoure. On attend sa prochaine création avec impatience !
Électre et Oreste ? Cash, clash, cruel, puissant et tout simplement grandiose.
Une pensée amicale à la costumière An D’Huys qui a du concevoir des centaines de costumes voués chaque soir à la boue …
Électre / Oreste
D’après Euripide
Mise en scène : Ivo van Hove
Version scénique et dramaturgie : Bart van den Eynde
Avec : Claude Mathieu, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim, Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française.
Aux percussions en alternance : le Trio Xenakis (Adélaïde Ferriere, Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry), Othman Louati, Romain Maisonnasse et Benoit Maurin.
Comédie Française
Salle Richelieu – Place Colette
Paris 1er
Jusqu’au 16 février 2020
Réservations : 0144581515
Le 23 mai 2019 à 20h15, le spectacle sera diffusé en direct dans 300 salles du circuit Pathé en France et à l’étranger.
Les 26 et 27 juillet 2019, la Troupe de la Comédie Française se produira pour la première fois de son histoire au Théâtre antique d’Épidaure en Grèce dans le cadre du Athens & Epidaurus Festival. Réservations : https://urlz.fr/9AIL
Photos : ©Jan Versweyveld