Moâ, Sacha : une comédie galante
Décidément Christophe Barbier adore le théâtre. Après un premier monologue consacré à l’art théâtral, le voici de retour au Poche-Montparnasse avec une pièce entièrement dédiée à Sacha Guitry.
Le procès de Guitry
La mise en scène est assez simple: prenant place en août 1944, cette comédie galante nous présente Guitry face à un commissaire de police qui l’accuse de collaboration avec l’ennemi. Il est vrai que ce cher Sacha a eu l’inadvertance de diner quelques fois avec ces Messieurs du Reich mais il ne faut y voir qu’un besoin oppressant de mondanités car l’artiste s’est toujours défendu de faire de la politique…
Afin de se sortir de ce faux pas, notre habile orateur décide donc d’embobiner son pauvre commissaire en lui livrant une diatribe dont il a le secret. Habitué à refaire l’Histoire à travers ses films, Guitry refait donc la sienne devant la justice en argumentant qu’il ne sait pas mentir. Ce vice, paraît-il, est l’apanage des femmes sur lesquelles il remet, comme de coutume, la faute de tous ses malheurs.
Vous les femmes !
Voici donc Guitry lancé dans un plaidoyer qui lui permet de broder sur son sujet de prédilection : ” la femme” ou plutôt “les femmes”. Il faut dire que le bougre (paraît-il, également) s’est marié cinq fois : entre Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève de Sereville et Lana Marconi, ce cher Sacha a donc eu le loisir d’étudier la question féminine dans tous les sens… du terme !
Inspiré par ce grand obsédé textuel, Christophe Barbier nous dresse le portrait charmeur d’un Don Juan des Années Folles et en profite pour nous livrer une réflexion sur l’art de la séduction et des plaisirs amoureux. Reprenant les maximes et les aphorismes du maître, il parle de mariage, d’argent, de passion et, bien évidemment, d’adultère. Dans la salle du Poche Montparnasse, chacun sait que ces vérités sont souvent mensongères et qu’elles débordent de misogynie, mais elles sont si bien tournées que l’on en rit.
Quel séducteur !
Impossible de résister à Guitry lorsque l’on aime le théâtre car ce bel esprit est entièrement dévoué à son art. À la scène comme à la ville, l’homme est un comédien, il ment avec emphase, plaisante avec calcul et déclame dans un unique but : séduire ! Séduire les femmes bien sur, mais aussi les hommes, et surtout son public.
Barbier doit tomber le masque
Christophe Barbier est dans cette optique lorsqu’il monte sur scène, il souhaite aussi séduire ses spectateurs cependant il veut tant se convaincre de son talent de comédien que cela se ressent. Affublé de lunettes rondes et d’un peignoir écarlate, il plagie Guitry avec modestie en usant d’autodérision et en laissant déborder l’admiration qu’il lui porte.
Voilà certainement son erreur : il ne faut pas feindre lorsque l’on monte sur les planches, il faut de l’arrogance, de l’autorité, de la provocation si nécessaire, et même de l’ego ! Beaucoup d’ego ! Guitry en usait à foison, voilà en partie pourquoi il charmait.
Christophe Barbier est trop aimable avec son public, il joue comme il écrit : avec esprit, subtilité, mais aussi avec trop de complaisance.
Pour devenir comédien – à supposer que celà s’apprenne – il doit ranger son écharpe rouge au placard, se mettre à nu, et oublier définitivement ses politesses d’éditorialiste courtois.
Le théâtre, en effet, est un face-à-face avec le public où aucune échappatoire n’est possible : le comédien ne peut se cacher ni derrière un texte, ni derrière un costume, il doit se donner entièrement, sans jamais se soucier du politically correct ou de la bienséance.
Écouter Christophe Barbier est toujours un plaisir et le voir sur scène ou à la télé est fort agréable tant sa conversation est érudite, néanmoins, lorsqu’il choisit d’interpréter Guitry, on se demande pourquoi il s’attaque à un tel monument du théâtre ? Avec sa prestance, sa distinction, son cynisme naturel et son maniérisme mondain, Guitry est loin d’être une partition facile ! Et que dire de sa voix faiseuse de sermons, de son timbre hautain, de son œil à la fois grivois et rempli de lucidité, de son bagout intarissable, de son maintient aristocratique et son arrogance phallocratique ? Il faut une sacrée audace ou de l’inconscience pour vouloir ressusciter un être aussi charismatique !
Un trio dans l’esprit “Années Folles”
Fort heureusement, Christophe Barbier s’est entouré de deux autres comédiens dont la parade et le talent nous empêchent de soupirer après le vrai Guitry.
Dans le rôle de toutes les épouses de Sacha, Chloé Lambert nous offre une belle galerie de muses : tour à tour sensuelle, ingénue, coquette, infidèle ou manipulatrice, elle parvient à nous séduire tant par son énergie que sa fraîcheur.
À ses côtés, Pierre Val prête son profil généreux au commissaire mais aussi à la figure paternelle de Lucien Guitry avec qui Sacha se brouilla durant treize années. L’air penaud et l’humour bienveillant, Pierre Val apporte une douce allégresse à la pièce qui nous fait finalement penser à une comédie de boulevard.
Une comédie de boulevard un peu confuse
Entre les scènes d’amour et de rupture qui s’enchaînent, on savoure en effet les saillies “guitriennes”, la complicité des comédiens et on se laisse porter par le rythme enlevé de la mise en scène. Christophe Barbier est bon dans ce registre, il devrait d’ailleurs concocter plus de spectacles. On peut néanmoins lui reprocher d’avoir voulu en faire trop en mélangeant les pièces de Guitry et une mise en abîme de ses protagonistes. Le double jeu qu’il propose à ses comédiens (endosser un rôle puis reprendre son vrai visage sur scène) est confus au point que le spectateur se perd parmi les personnages et ne sait plus qui se trouve devant lui : est-ce Christophe jouant Guitry ou Christophe jouant Barbier ? Il en va de même pour Chloé Lambert et Pierre Val qui changent sans cesse de figure : on finit par confondre le jeu et la réalité sans en tirer, hélas, aucune satisfaction.
Au lieu de creuser du côté du paradoxe du comédien, Christophe Barbier devrait peut-être faire table rase de tout intellect et de l’amour qu’il porte aux grands auteurs pour nous concocter un pur vaudeville, rien qu’à lui !
Avec cette variation autour de Guitry, une chose est sure : Christophe Barbier se fait plaisir et il a le mérite de remettre le grand Sacha au goût du jour.
Moâ Sacha ? Une comédie confuse, un peu trop sage mais pas désagréable.
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Moâ, Sacha !
D’après l’œuvre de Sacha Guitry
Spectacle conçu par Christophe Barbier
Assisté de Arthur Crussels
Avec Chloé Lambert, Christophe Barbier et Pierre Val
Théâtre de Poche-Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse – Paris 6e
T. 0145445021
www.theatredepoche-montparnasse.com
Du 17 avril au 10 juillet 2019
Représentations mardi et mercredi à 21h
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Photos : Pascal Gely
En novembre 2018, Christophe Barbier a consacré un ouvrage à Sacha Guitry :
Le monde selon Sacha Guitry
Editions Tallandier – 320 pages
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