William, un amoureux du verbe et du théâtre
Après un été avignonnais survolté (pas moins de 10 spectacles dont 4 par jour en tant qu’acteur ! ), William Mesguich s’installe au Théâtre de la Huchette. Son nouveau seul en scène narre avec lyrisme et introspection l’expérience ascétique de Sylvain Tesson au fin fond de la Sibérie.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Sylvain Tesson est un aventurier philosophe des plus singuliers. Il y a une dizaine d’années, fuyant la superficialité et le chaos de notre civilisation, il s’est réfugié dans une isba face au Lac Baïkal afin d’y méditer pendant près de six mois. Captif du froid et de la lenteur, il a su se détacher de tous les carcans du monde moderne et a mis à l’écrit ses réflexions.
En 2016, le réalisateur Safy Nebbou a fait de ce texte un film magnifique interprété par Raphael Personnaz. C’est aujourd’hui au tour de William Mesguich de porter cette odyssée sibérienne à la scène. Avec verve et exaltation, il nous explique ses choix théâtraux et son cheminement dans l’écriture poétique de Tesson. Rencontre…
Florence Yérémian : Pourquoi avoir choisi d’adapter le livre de Sylvain Tesson au théâtre ? Étiez-vous familier de l’auteur, du film ?
William Mesguich : J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Sylvain Tesson. Je le connais depuis 20 ans. Je l’estime à la fois pour son écriture et pour qui il est, ce qu’il a accompli dans les immensités de la nature. C’est un véritable aventurier mais aussi un styliste de la langue française. Il fait partie, pour moi, de la galaxie des êtres singuliers qui prennent le risque de la découverte et qui consignent de manière magnifique les pensées, les impressions et les visions qui sont les leurs.
J’ai, bien sur, vu le film de Safy Nebbou que j’ai trouvé très beau visuellement, mais l’art théâtral demandait de rendre compte autrement de l’aventure humaine et poétique de Sylvain. Nous sommes donc allés, avec mes collaborateurs artistiques, dans une autre direction. Celle où la parole est reine, celle où résident la beauté des syntagmes, la force de l’allégorie et l’émotion liée au démesuré. Celle, enfin, où l’humour, l’évocation et la métaphore sont en première ligne.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans ce récit ? Sa dimension existentielle ? Sa folie ? Sa lucidité ?
Il y a beaucoup de choses dans l’œuvre de Sylvain Tesson. Entre autres, un rapport au monde, et le commentaire de qui on est, ou de qui on croit être. L’écart qui nous sépare de l’autre, de la nature. C’est un texte qui va dans toutes les directions, mais qui est marqué du sceau de l’élégance, de la poésie, de l’intelligence.
Sylvain Tesson est tout aussi insaisissable qu’il est limpide dans le récit de la découverte d’autres mondes, dans sa capacité à analyser les agissements de l’homme, ses manques ou ses espoirs les plus fous. Il y a des sentiments contradictoires chez Tesson, il veut embrasser la solitude mais souhaiterait que quelqu’un l’accompagne pour sonder la beauté du monde, il porte au pinacle cette solitude et ce silence qui manqueront aux générations futures, mais parfois, les fantômes, les remords profitent de son errance solitaire pour se glisser dans son cœur.
Tesson est un esthète de l’instantané et il est aussi celui qui archive les heures qui passent, qui consignent ses doutes et son espérance pour laisser une trace. Il y a de l’éternel dans sa perception du monde et son rapport aux écritures et aux cultures. Il y a aussi de l’immédiateté. C’est un fou clairvoyant. C’est un phare aventurier et poétique qui éclaire nos vies, parfois, par trop embuées de confort et de non prise de risque.
La philosophie et les méditations de Sylvain Tesson pourraient-elles être les vôtres ?
Oui, je suis très sensible à sa pensée. Il y a sans doute du Tesson en moi, mais tapi dans l’ombre redoutable du chaos citadin. Tesson a une ligne de conduite. Il a le courage du repli, du retrait pour mieux lire le monde. Je n’ai pas son courage mais ça me démange tout de même. J’ai, comme nombre de personnes, le sentiment que les hommes abîment le monde, le balafrent et le fragilisent à force de le pressurer, de le violenter. Il faut se concentrer sur les plus belles choses du monde. Écouter Brahms, admirer Bosch, ou plonger dans le tourbillon Nietzschéen.
Il faut célébrer la fourmi et chuchoter à l’oreille des cèdres et, comme le dit Tesson, ne pas nuire aux êtres vivants de cette planète. Gageure magnifique et atteignable si la conscience est en éveil.
Le théâtre permet également ce retrait, ce surplomb pour mieux nous reconnaître dans l’immensité sociétale, pour tenter de la contourner, de la contrer. Retrouver le calme, la détente et la beauté dans le tumulte du bruit, de la vulgarité devenue majoritaire et dans l’ignorance grandissante des sociétés mondialisées est une aventure qui me touche infiniment.
La responsabilité est grande de sonder le magnifique et de contester avec ardeur la mainmise de l’arrogance de la bêtise et du laid qui avilissent nos cœurs et nos âmes souvent meurtris.
En tant qu’acteur et metteur en scène, vous êtes sans cesse entre deux pièces ou deux écritures. A l’exemple du personnage que vous interprétez, n’avez-vous jamais besoin de calme ou de solitude ? Vous est-il justement arrivé de songer à une retraite spirituelle ?
Oui, j’ai déjà songé à une retraite. Je suis alors rattrapé par les démons urbains mais je vais y arriver. “Dans les Forêts de Sibérie” m’éloigne des rôles que j’ai pu interpréter ces dernières années (Les mémoires d’un fou, Le dernier jour d’un condamné, Pompiers, le Souper, Pascal et Descartes, Artaud-Passion, Macbeth). C’est un autre registre. Un territoire différent qui demande de l’apaisement et une retenue. C’est un rapport au silence qui est différent, l’adresse à soi ou aux autres demande une maîtrise et un phrasé dont je ne suis pas familier mais qui me passionne. Il est nécessaire pour un comédien, un artiste de s’aventurer dans des territoires qu’il connaît moins bien. Un peu comme Tesson. Explorer une part de soi inconnue ou aperçue de manière trop intermittente. Il est bon également d’être bercé par des mots, des images, des sentiments qui ont moins ou pas avoir avec l’excès, “la folie”. Alors, la douceur et l’élégance sont des compagnes qui bercent avec ravissement votre cœur et c’est une sensation très agréable.
Iriez-vous vous réfugier en Sibérie ou dans un pays plus clément ?
J’adorerais aller en Sibérie. Je vais tenter de découvrir ces contrées lointaines et incroyables dans un avenir proche.
Sylvain Tesson a-t-il vu votre pièce ?
Sylvain est venu à la première. Il était, je crois, ému. Entendre ses mots portés à la scène est toujours un événement pour un auteur. Nous nous sommes congratulés et j’étais moi-même très ému. Ce projet s’est déclaré très tard, vers la mi-août, il a fallu aller très vite pour adapter, apprendre le texte et rêver autour de cette aventure littéraire et gorgée d’humanité et de beauté. C’était une expérience formidable et le soir de la rencontre avec Tesson, la pression retombait, teintée, entre l’auteur et moi même, de respect et d’amitié. Le sentiment d’avoir accompli moi aussi un chemin ardu après la frénésie d’Avignon. Sur un terrain, non pas glissant – car l’envie de réussite et la confiance nous habitaient mes compagnons d’invention et moi-même – mais un chemin tortueux, tout de même, où je me devais d’abandonner les oripeaux de mes rôles précédents pour plonger dans la simplicité et le regard apaisé sur soi-même et sur le monde.
Son livre était-il difficile à adapter sur scène ? Quelles ont été les principales contraintes théâtrales ?
Ce n’est jamais simple d’adapter une forme quasi romancée pour en faire un objet théâtral. Avec Charlotte Escamez et Estelle Andrea, nous avons mis en avant le rapport au silence et à la solitude avec quelques saillies dans l’immensité de la Taïga. Peu de rencontres avec nos semblables. Un rapport intimiste à soi pour mieux rêver l’infini et le minuscule, pour placer la beauté et le désintérêt au cœur de cette quête spirituelle. Pas de message. Pas de morale. Mais du plaisir à cheminer avec Kierkegaard et Bachelard, à déclamer de la poésie chinoise, et embrasser du regard le fresne ou la glace turquoise du lac Baïkal. Se perdre dans l’immensité, mais, à la Huchette, se perdre grâce aux mots et aux sons, dans le regard enfantin de la découverte d’un monde magnifique qu’on bafoue trop souvent alors qu’il faut le protéger de toutes nos forces.
On connaît votre boulimie théâtrale. Après votre marathon avignonnais de 2019, quels sont vos projets ?
Je prépare la mise en scène de “Sur les pas de Léonard de Vinci ” dont la première aura lieu le 26 février au Théâtre Paris Plaine. C’est une pièce familiale et musicale écrite et composée par Estelle Andrea (la même équipe que Misérables)
Par ailleurs, je mettrai en scène une comédienne/chanteuse remarquable, d’origine polonaise, Ewa Adamusinska, dans un spectacle intitulé “Les amants de Varsovie”. Ce sera un musical avec chanteuse et pianiste. Il se tiendra les lundis et mardis soirs à partir du 17 février prochain au Théâtre du Gymnase.
En 2020, je jouerai également pour le festival d’Avignon une création d’Alain Didier Weill, mise en scène en scène par Jean Luc Paliès : “Vienne 1913”. Ce sera aux Théâtre des Gémeaux.
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Dans les forêts de Sibérie
D’après le livre de Sylvain Tesson
Mise en scène et jeu : William Mesguich
Collaboration artistique : Estelle Andréa
Adaptation : Charlotte Escamez
Création sonore: Maxime Richelme
Création lumière : Richard Arselin
Scénographie : Grégoire Lemoine
Régie : Yves Thuillier
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette – Paris 5e
Métro Saint Michel
A partir du 11 octobre
Du mardi au vendredi à 21h
Samedi à 16h
Réservations : 0143263899
www.theatre-huchette.com
Photos :©Lot