La licence Pokémon à 20 ans en Europe, période pendant laquelle elle s’est progressivement transformée en phénomène culturel mondial. Mais voilà, plus le succès grandit, plus les exigences du public sont fortes. Pokémon Epée et Bouclier arrive donc à un moment assez particulier où les attentes exacerbées ont fini par exploser : le développeur Game Freak est vivement critiqué depuis 6 mois, et les millions de dollars en jeu créent un climat de tension jamais vu pour un jeu estampillé Nintendo. Les mots-clé #ThankYouGameFreak et #GameFreakLied se sont télescopés dans la sphère digitale avec violence à l’approche de la sortie du jeu. Mais alors, qui a raison?
Le déroulement de Pokémon Epée et Bouclier s’avère très classique. Le personnage principal (héros ou héroïne, selon la préférence du joueur) récupère son premier pokémon dans sa ville natale et part en voyage avec un seul but : devenir le meilleur dresseur pokémon de la région de Galar, comme elle est ainsi appelée dans ce titre. Son premier pokémon en poche, il va pouvoir affronter d’autres créatures, en capturer pour agrandir son équipe et finalement affronter d’autres dresseurs jusqu’à vaincre les plus forts d’entre eux.
Une aventure qui n’a plus le charme d’antan
Il y a trois axes majeurs qui se dégagent pour évaluer l’aventure de Pokémon Epée et Bouclier. Le premier concerne le level design, c’est à dire la construction géographique de Galar. C’est l’un de point de déception de cet épisode car les donjons et les routes sont ultra-courts, mais surtout plats et monotones. Le joueur ne fait qu’aller tout droit du début à la fin en battant les dresseurs sur son chemin, sans la moindre esquisse de labyrinthe, d’énigme, de passages secrets… bref, de tout ce qui faisait la variété et l’intérêt de la série jusque-là. Toutes ces subtilités n’existent plus, au grand dam des passionnés qui voient là un de leur plaisirs s’évanouir.
Autre point noir du déroulement, la narration. Celle-ci est plus ou moins en filigrane dans la majeure partie de l’aventure, avant de se développer à la toute fin. Il y a donc un problème de rythme évident pour le joueur qui affronte les leaders de Galar sans qu’il se passe grand-chose à côté. Le fond de l’histoire en lui-même n’est guère fantastique : la partie purement scénaristique dure trois ou quatre heures à peine et les personnages sont superficiels. L’industriel fou et sa secrétaire possessive ne sont pas vraiment marquants, et les hooligans de la team Yell sont parfaitement ridicules et navrants. On est loin du charisme de l’ignoble Giovanni et sa Team Rocket, ou même de Elsa-Mina de Pokémon Soleil et Lune. Le rival a autant de personnalité qu’une laitue, et en plus, il triche…
En revanche, le très bon point de Pokémon Epée et Bouclier, ce sont ses combats d’arène. Pour devenir le maître absolu, le joueur doit affronter les huit champions d’arène de Galar dans des matchs au sommet. L’expression n’est clairement pas usurpée dans ce jeu car ces affrontements transcendent tout ce qui a été fait en la matière. La rencontre a lieu dans un immense stade rempli, sur une musique incroyablement dynamique et les innombrables angles de caméra font sensation comme dans une grande retransmission sportive! Les champions sont d’ailleurs de loin les personnages les mieux réalisés : leurs postures et les grimaces en font des compétiteurs attachants, et en plus on peut les ré-inviter à combattre après la fin du jeu. Le revers de la médaille, c’est que Pokémon Epée et Bouclier supprime le Conseil des Quatre, autre tradition abolie par Game Freak ici.
Le gameplay de base ne change pas : Pokémon Epée et Bouclier reste un jeu de rôles au tour par tour, en match solo ou en double. Chaque dresseur choisit une attaque avant le début du tour, en visant le point faible de l’adversaire. Chaque pokémon a en effet un type bien particulier et certains types sont efficaces sur d’autres (l’eau contre le feu par exemple). D’autres capacités dites de soutien vont permettre de renforcer son pokémon ou de gêner celui d’en face (avec du poison par exemple). L’éventail de possibilités incommensurable a fait de la série une référence en matière de tactique et sa qualité en cela n’est plus à prouver.
Mais (car il y a malheureusement un “mais” à presque chaque aspect de Pokémon Epée et Bouclier) la difficulté risible du jeu ne fait pas vraiment honneur à ses prouesses sur le plan tactique : on a vraiment l’impression d’un jeu programmé pour une classe de maternelle. Les champions se laissent battre en quelques minutes et il faut attendre le grand maître, puis la Tour de Combat en fin de jeu pour apprécier un peu de challenge. En matière de game design, on a vu mieux dans la série…
Des nouveautés de taille…
L’occasion de rappeler que oui, c’est un épisode de nouvelle génération sur le plan technique. Le passage de la 3DS à la Switch permet un rendu en HD beaucoup plus fin, des créatures plus mignonnes ou plus impressionnantes, des personnages encore plus attrayants, et des villes plus jolies bien que minuscules. Le sommet du raffinement graphique réside dans le phénomène Gigamax : un pokémon “gigamaxé” devient gigantesque et prend un aspect dix fois plus imposant. Scolocendre par exemple se transforme en une sorte de dragon chinois de dix ou vingt mètres! Toutes les attaques changent et crèvent l’écran à grand renforts d’effets spéciaux. Question spectacle, on a été servis.
Avec tant d’enthousiasme, on pourrait se dire que le phénomène Gigamax remplace avantageusement les méga-évolutions, elles aussi mises à la corbeille par Game Freak. Mais il n’en est rien, car si chaque pokémon d’une espèce pouvait méga-évoluer dans Pokémon Soleil et Lune, le phénomène Gigamax est en réalité excessivement rare dans Pokémon Epée et Bouclier. Les pokémons capturés dans la nature ne peuvent être que “dynamaxés” : il deviennent géants mais gardent leur apparence d’origine. Le boost de puissance est bien là, mais visuellement ça fait très gadget. Les pokémons “gigamaxés” doivent être obligatoirement capturés lors d’un raid coopératif.
Et si un tel raid est déjà peu fréquent, il est encore plus difficile d’y rentrer et de le gagner. Faute à des fonctionnalités en ligne excessivement bancales : non seulement le jeu ne regroupe pas automatiquement les joueurs, mais en plus l’affichage des raids est carrément sporadique! Le résultat, ce sont des raids souvent complets, fermés, et des temps d’attente irritants pour rien puisque rare sont ceux qui viennent rejoindre les parties. Dès, tout somptueux qu’il est, le phénomène Gigamax apparaît comme une promesse à moitié tenue.
Les raids apparaissent tous dans les Terres Sauvages, une très grande zone contenant énormément d’espèces de pokémon, et qui n’a aucun équivalent dans la série. C’est une sorte de méga parc safari en 10 fois plus riche, avec de nombreuses variations de la météo qui influe sur les créatures qui apparaissent. On peut donc y revenir plusieurs fois dans la semaine pour trouver des espèces de pokémon différentes, certaines étant excessivement rares en plus de ne venir qu’une seule fois par semaine à un ou deux endroits seulement. C’est le lieu idéal pour se procurer les nouveaux pokémon : 80 nouveaux monstres, plus des nouvelles formes régionales pour les anciens comme un Ponyta psy tout mimi, un Canarticho combat à hurler de rire ou encore un Linéon ténèbres complètement fou! Beaucoup de nouveautés très excitantes dans lesquelles tous les fans devraient se retrouver.
Chose extrêmement appréciable, Pokémon Epée et Bouclier arrivent avec tout un tas d’améliorations de gameplay, comme la possibilité d’avoir accès aux boîtes PC où que l’on se trouve : cela permet au joueur de modifier ses pokémons actifs à tout moment et c’est fort bienvenu. Autre restriction complètement levée, le réapprentissage des attaques est libre, gratuit et illimité pour tous les pokémon. Le gain de temps est ici phénoménal quand on sait qu’il y a une dizaine d’années, il fallait aller chercher des écaillecoeur tous les jours pour avoir ce privilège. En outre, les capsules techniques allouant des attaques puissantes sont monnaie courante en raid ou en magasin, tout comme les cristaux d’expérience qui économisent de nombreuses heures de jeu. Mais la meilleure innovation reste les aromates qui vont changer la nature d’un pokémon, et donc d’obtenir les bonus statistiques idéaux pour la créature en question. De la même manière, l’équivalent existe aussi pour modifier le talent. Bref, Pokémon Epée et Bouclier met le paquet sur l’optimisation au point qu’il en ravira les puristes de l’élevage.
… mais levée de boucliers sur le jeu en ligne
Mais le problème fondamental avec Pokémon Epée et Bouclier, c’est que pour tout ce qu’il apporte, il retire deux fois plus de choses. Cet épisode Nintendo Switch, pour la première fois dans la série, supprime des pokémon : plus de la moitié des créatures des générations précédentes n’apparaissent pas dans le jeu et ne pourront jamais être importées. Bon nombre d’attaques passent à la trappe, ce qui déséquilibre la scène compétitive. La Global Trade Station, qui permettait d’échanger des pokémon avec le monde entier, n’existe plus. En d’autres termes, il est impossible d’échanger efficacement si vous ne connaissez personne qui joue à Pokémon! Les fonctionnalités de l’écran tactile ont disparu.
Le système de customisation du personnage principal, avec des tas de tenues sportives à acheter, est tronquée puisque l’uniforme des matchs officiels est unique et imposé (sans parler de l’immonde maillot à pois qu’on est obligé porter sur le vélo). On regrette également l’absence de voix, surtout que Pokémon Masters sur smartphone les a… alors même qu’il est gratuit! Jamais on a joué à un jeu Pokémon en se disant autant “Ça aurait été bien si…”. L’absence d’effort de la part du développeur est limpide, Pokémon Epée et Bouclier nécessitaient plusieurs mois de développement supplémentaires.
Pokémon Epée et Bouclier est un excellent jeu de rôles japonais, il n’y a aucun débat là-dessus. Avec sa nouvelle génération de pokémon tous adorables, ses combats et sa bande-son très soignés, ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau. Mais cet épisode est hélas aussi celui des insuffisances et des renoncements sur le plan du gameplay comme du contenu, puisqu’il casse tout un tas de traditions auxquels les fans se sont attachés en 20 ans. Un bon jeu que Game Freak n’a pas pu (ou pas voulu) rendre grandiose.
Pokemon Epée et Bouclier
Editeur : Nintendo
Développeur : Game Freak
Genre : Jeu de rôles
Modes : Solo, 2 à 4 joueurs en ligne
Sortie en France : 15 novembre 2019
Machine : Switch