Marina Tomé : La lune en plein jour
Autrice et comédienne, Marina Tomé fait partie de ces êtres solaires que rien ne semble pouvoir atteindre. Sa nouvelle pièce révèle pourtant une fragilité qui prend source dans l’enfance. Contrainte de fuir la dictature argentine avec ses parents, l’âme de Marina a longtemps erré entre Paris et Buenos Aires pour tenter de se trouver. Son spectacle « La lune en plein jour » raconte ce cheminement identitaire avec autant d’amertume que d’intensité.
Mis en scène par Anouche Setbon, il prend place sur la scène du mythique Théâtre de la Huchette. Seule face aux spectateurs, Marina nous raconte l’exil, le manque de racines, le besoin de transmission et les épreuves qui l’ont forgée jusqu’à la résilience.
Déambulant entre des malles de voyage et un miroir projetant son double, la comédienne déploie ses pensées et ses souvenirs pour reconstituer devant nous le puzzle éparpillé de sa vie.
Lumineuse et bienveillante, elle évoque avec amour sa terre natale, s’insurge contre les psychothérapeutes, tape du pied pour colmater ses fissures et jure allègrement en espagnol. C’est éclatant de vie, drôle, et vibrant. C’est aussi pudique, douloureux et terriblement humain. Somme toute, quand on y pense, un vrai mélange d’élégance française et de vitalité argentine.
Rencontre avec Marina Tomé
Il y a quelques années, Syma News avait eu grand plaisir à savourer l’ironie de Marina Tomé dans le film de Jérôme Soubeyrand « Ceci est mon corps ». Nous la rencontrons aujourd’hui autour de sa pièce « La lune en plein jour » pour un portrait plus intime sur son travail d’écriture, de comédienne mais surtout de femme en quête de soi.
Florence Yérémian : Comment est né le texte de « La lune en plein jour » ? L’avez-vous conçu dans l’optique d’un spectacle ?
Marina Tomé : J’ai commencé à le rédiger dans le cadre d’un atelier d’écriture mené par l’auteure cubaine Karla Suárez. Elle était en résidence à Vincennes durant le Festival America et elle m’a permis de mettre à plat des pensées que j’avais en jachère depuis un long moment. J’ai écris les premières lignes de ce texte en espagnol mais très vite je suis passée au français car j’ai senti que j’allais le transposer pour la scène. J’ai aussi changé mon processus d’écriture en menant mon récit à la première personne alors que je l’avais commencé en disant « elle ». Un texte théâtral se doit d’être incarné et pour cela le mode narratif direct m’a aidé à déverser mon histoire en supprimant toutes les distances.
Est-ce une pièce autobiographique ?
Je préfère la qualifier d’autofictionnelle. Même « d’automythologique » car c’est une reconstruction poétique de ma vie. Certes, elle comporte des parties réelles mais ce n’est pas un journal. En une heure vingt de spectacle, je raconte 60 ans de mon existence, cela implique de condenser certains moments mais aussi d’en inventer d’autres. Mon écriture est particulière car à l’exemple des Indigènes d’Amérique Latine, je considère qu’il n’y a pas de séparation entre notre imaginaire et le réel. En chacun de nous, deux réalités coexistent : le tonal et le nagual, cela implique que ce que l’on invente est aussi important que ce que l’on voit. Cette façon de penser est loin du cartésianisme français mais c’est la mienne.
Êtes-vous née à Buenos Aires comme votre protagoniste ?
Oui, et j’ai quitté l’argentine à l’âge de quatre ans et demi, au moment de la dictature, celle que l’on nomme localement la dictature blanche. Mes parents étaient des communistes clandestins et ils ont été les premiers à devoir fuir le pays face à la montée du gouvernement péroniste très attaché aux idées d’extrême droite.
Vous êtes donc arrivée en France ?
A Paris, et précisément au Quartier latin dans un petit hôtel à deux rues de la Huchette. Le premier théâtre dans lequel je suis rentrée fut d’ailleurs celui de la Huchette, voilà pourquoi je suis aujourd’hui très heureuse de pouvoir raconter mon histoire dans ce lieu.
Vous dites que « votre âme est restée sur le port de Buenos Aires » quand vous avez pris la mer pour fuir la dictature argentine mais à quel âge s’est concrètement déclenchée cette quête d’identité ?
Des l’enfance. Bien sûr, à cinq ans je n’avais pas la même conscience des éléments qu’à l’âge adulte, mais lorsque l’on endure une coupure très nette comme l’exil, on garde inconsciemment les souvenirs d’un paradis perdu et on cherche toute sa vie à les retrouver.
Vous êtes une exilée des deux côtés de votre ascendance ?
Tout à fait: du côté maternel, mes grands parents ont fui la Pologne antisémite et ses pogroms, et du côté paternel, ma famille a quitté l’Espagne et sa pauvreté en espérant construire une nouvelle vie en Argentine. Ils ne savaient pas alors que la dictature de 76 contraindrait à nouveau mes propres parents à s’exiler en France …
A présent, vous sentez vous Française? Argentine ? Citoyenne du monde ?
Comme je le dis dans mon spectacle: « Je ne me sens bien que dans l’avion entre Paris et Buenos Aires. ». A l’inverse de ma fille qui se considère à la fois Française et Argentine, je ne suis ni l’une ni l’autre car mon existence est bâtie sur un manque.
A travers votre texte, on capte à quel point la transmission est importante à vos yeux. Pensez-vous que chaque être a une mission par rapport à ses enfants et aux générations suivantes ?
On a tous un rôle à jouer. On vient sur terre pour y vivre quelque chose et transmettre notre expérience. Que ce soit une victoire ou une quelconque révélation, notre devoir à chacun est de servir de passeur.
La femme est omniprésente dans vos écrits, êtes-vous féministe ?
On peut le dire oui. « Féministe » ça signifie simplement que l’homme et la femme doivent avoir les mêmes droits et, en date d’aujourd’hui, ce n’est absolument pas le cas, même en France ! Je suis donc non seulement féministe mais en plus militante. Pour cela, j’ai lancé le mouvement Tunnel de la comédienne de 50 ans au sein de l’association des acteurs et actrices de France (AAFA). Ce mouvement dénonce le fait que dans les fictions cinématographiques ou théâtrales, les femmes de plus de 50 ans n’existent pas. Ce constat est très grave car nous vivons dans une société de l’image où chacun cherche un référent : si les femmes du troisième âge ne sont jamais représentées à l’écran, elles vont avoir du mal à trouver leur place au quotidien. Une telle lacune les contraint au rôle réducteur de procréatrices puis les relègue directement au stade de grands-mères. Est-ce encore concevable au XXIe siècle ? Non ! Mon combat au sein de l’AAFA n’est donc en aucun cas une lutte corporatiste pour que les actrices travaillent plus, c’est un réel enjeu de société qui vaut pour toutes les professions.
Comment faites-vous pour déployer une telle énergie ? Est-ce parce que vous êtes une miraculée de la vie ?
Votre question me fait plaisir. Je pense en effet que c’est l’allégresse du survivant qui émane de ma personne. Comme je le dis dans ma pièce, à 17 ans je suis passée sous un camion et j’ai frôlé la mort de très près. A partir de ce moment là, j’ai appris à tout relativiser, à apprécier chaque chose, chaque instant avec ferveur. Mon énergie vient du fait que j’éprouve une surexcitation permanente d’être encore en vie.
Que signifie le titre de votre spectacle « La lune en plein jour » ?
Ce titre traduit tout le travail que j’ai fait sur moi-même pour enfanter ce texte. Lorsque la lune apparait en plein jour, c’est comme si elle mettait nos ombres en lumière pour leur permettre de se révéler. C’est dans de pareils moments que l’invisible devient plus important que le visible, que la force arrive et que notre inconscient peut enfin se déployer.
Travaillez-vous déjà sur d’autres projets ?
Je suis en train d’écrire une pièce de théâtre avec Blandine Métayer. Elle mettra en scène trois femmes en crise de 50 ans qui vont devoir se reconstruire.
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La lune en plein jour
De et avec : Marina Tomé
Mise en scène: Anouche Setbon
Décor et costumes : Oria Puppo
Musique : Michel Winogradoff
Lumière: Jean-Luc Chanonat
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette – Paris 5e
Métro Saint Michel
Jusqu’au 6 avril 2020
Tous les lundis à 20h
Photos : ©Ludo Leleu et Florence Yérémian