Van Gogh au seuil de la mort
Van Gogh s’est suicidé à l’âge de 37 ans. Fatigué de vivre, il s’est tiré une balle dans la poitrine bien décidé à quitter ce monde qui n’a pas su capter sa lumière intérieure.
Dans la pièce d’Emmanuel Fandre, le voici étendu sur son lit, attendant son trépas avec autant de douleur que d’incompréhension. Autour de lui lévitent tous les êtres qu’il a connus durant sa courte existence : ses parents aigris, son cher et tendre frère Théo, sa logeuse si bienveillante, Sien la prostitué qu’il a aimée, Gauguin le peintre jouisseur, mais aussi le fameux Docteur Gachet, ses infirmiers un peu fêlés et, enfin, la terrible Faucheuse.
.
L’heure des reproches et du pardon
Avant que Van Gogh ne disparaisse dans l’au-delà, l’heure des règlements de comptes a sonné, l’heure où chacun va prendre la parole pour dire à Vincent tout ce qu’il pense de lui, de sa folie, de son art et de ses errances. Entre délire et réminiscences, le pauvre peintre doit affronter ces figures qui ne l’ont pas aimé, voire, pour la plupart, détesté. Face à cette assemblée de fantômes inquisiteurs, Van Gogh s’insurge contre les hommes, méprise leur petitesse, se rit de leur aveuglement et blasphème contre dieu.
Un huis clos intense signé Emmanuel Fandre
Écrite par Emmanuel Fandre et mise en scène par Orianne Moretti, cette pièce est un huis clos intense et spirituel. S’ouvrant sur le requiem de Mozart, elle nous transporte dans un univers trouble pétri d’hallucinations, de souvenirs et d’amertume. Évoluant autour de la couche pré-mortuaire de Van Gogh, elle dissèque en profondeur l’artiste incompris en mettant en exergue sa vulnérabilité. C’est à la fois sombre et lumineux car on frôle la mort, la tristesse mais aussi le génie et la fougue créatrice
.
Thomas Coumans, un acteur transcendant
Van Gogh est magistralement interprété par Thomas Coumans. Sous la lumière blafarde d’une croix sculptée de néons, le comédien se met à nu et nous livre sa silhouette tortueuse. Avec ses cheveux clairs comme les blés et ses yeux reflétant la couleur des ciels gris de Hollande, il nous transporte littéralement à travers les errances et la mélancolie de l’artiste incompris. Prêtant sa gestuelle autant que sa parole à ce texte douloureux, il nous fait songer à un martyr. Autour de sa figure christique, les sept autres comédiens de la pièce sont tous très talentueux mais Thomas Coumans absorbe inconsciemment toute notre attention. Le corps contorsionné, la respiration lourde et le phrasé scandé, il laisse paraître avec brio le désarroi et l’instabilité mentale de Van Gogh.
.
Orianne Moretti : une mise en scène pleine d’audace
Afin de mettre en avant cet esprit tortueux et cette atmosphère fantomatique, la dramaturge Orianne Moretti a opté pour le mélange des genres. Passant du tragique au burlesque avec une facilité désarmante, elle nous offre un plateau très pictural qui se décline dans des couleurs sombres et des lumières cliniques. A travers les scènes qui se succèdent, elle parvient à composer de véritables tableaux figuratifs qui évoquent les descentes de croix de Rubens, Le christ mort de Holbein, voire même La leçon d’anatomie de Rembrandt.
Musicienne et chanteuse lyrique, Orianne Moretti a aussi choisi d’envelopper sa pièce de mélodies sourdes et puissantes en faisant se côtoyer Bach et des airs d’électro.
Cette approche grinçante et expressionniste du théâtre est déstabilisante mais efficace car elle brusque sans cesse les spectateurs en les faisant basculer dans des situations drôles et décalées où ils peuvent prendre du recul face aux angoisses du peintre maudit.
Trop de jaune ? Une autopsie scénique de Vincent Van Gogh. Puissante et mélancolique.
PDF de l’article : Trop de jaune – SYMA News – Florence Yeremian
.