Orianne Moretti est romantique comme une héroïne nervalienne, belle comme une sylphide et bosseuse comme une career-woman. Grace à sa sensibilité polonaise et à son opiniâtreté corse, cette artiste compulsive enchaine les spectacles et les créations depuis des années. Violoniste, danseuse au sein du Ballet de Roland Petit et chanteuse lyrique, elle a conçu plusieurs opéras et ne s’est jamais laissée enfermer dans aucun registre. Nous la rencontrons aujourd’hui autour de la pièce “Trop de Jaune” qu’elle a mise en scène au Théâtre Hébertot avec autant d’audace que de talent.
Florence Gopikian Yérémian : Pourquoi avez-vous fait le choix de mettre en scène « Trop de jaune » ? Avez-vous un attrait particulier pour Van Gogh ou pour l’art pictural en général ? On sait que vous avez déjà consacré un opéra au peintre Kokoschka (Amok).
Orianne Moretti : J’ai eu un grand coup de coeur quand j’ai lu cette pièce en septembre 2014 après avoir rencontré son auteur, Emmanuel Fandre. C’est la puissance expressionniste du texte, celle de la figure de Van Gogh et la façon dont l’écrivain la traite qui m’a fait faire le choix de monter cette pièce. Emmanuel Fandre m’a tout de suite proposé de le faire en découvrant mon univers et mon parcours aussi, (je suis spécialiste de l’expressionnisme allemand). Je lui ai répondu que ça prendrait du temps mais que je monterai sa pièce. Presque 6 ans après notre rencontre, c’est chose faite.
Je n’avais pas d’attrait particulier pour Van Gogh avant décembre 2012, date à laquelle une visite à la Pinacothèque de Paris à l’occasion de l’exposition “Hiroshige l’Art du voyage/Van Gogh Rêves de Japon” a provoqué chez moi un choc émotionnel devant les toiles de Van Gogh : celles des vergers en fleurs d’Arles et du Jardin de l’Hospice à Saint-Paul. Je suis restée hypnotisée devant ces toiles, Ce jour là il neigeait à Paris, j’ai senti devant ces oeuvres un souffle printanier, une lumière qui m’arrivait sur le visage avec ses parfums : une rencontre émotionnelle très forte. Je travaillais depuis 3 ans sur mon opéra AMOK, sur la relation entre le peintre expressionniste autrichien Oskar Kokoschka et Alma Mahler (opéra contemporain créé à l’Opéra de Reims en février 2016) et je trouvais devant ces tableaux le père spirituel des expressionnistes allemands et autrichiens avec cette palette, ces traits torturés, ces gros aplats et cette épaisseur de peinture sur la toile, spécifiques à la peinture des expressionnistes aussi.
Je suis inconsciemment portée par l’Art pictural non seulement par ma formation d’historienne spécialiste de la propagande des années 30 en Europe qui m’a permis d’étudier les différents courants d’arts de cette époque en Europe (expressionnisme, futurisme, constructivisme), les caricaturistes et publicistes français et européens mais aussi par mes visites “sentimentales” dans les musées grâce à une amie historienne de l’Art. J’aime les “rencontres” , ”les chocs sentimentaux” avec les tableaux, ce que les tableaux racontent, comment ils vous interpellent par leurs couleurs, leurs lumières, leurs mises en scène. Je suis très sensible aux couleurs des peintres : elles sont pour moi une “signature”, “une marque de fabrique”. J’adore le jaune chez Artémisia Gentileschi, le rouge du Caravage, le rose et les formes avant-gardistes chez Le Greco qui a tant inspiré les peintres expressionnistes plusieurs siècles après. Plus jeune, j’allais aux nocturnes du Louvre dire bonsoir à Balthazar Castiglione (Raphaël) dans la Galerie des Italiens, son regard bleu pénétrant est une conversation à lui tout seul !
Auparavant connaissiez-vous le travail d’écriture d’Emmanuel Fandre ?
Non absolument pas. Cela a été une rencontre à un instant “T” entre un texte, un auteur et moi, dans une période de création intense sur un autre peintre, Oskar Kokoschka. Avec Emmanuel Fandre nous partageons aussi les mêmes goûts pour la musique classique et nous sommes sur la même longueur d’ondes sur beaucoup de sujets de société que l’on retrouve dans son texte.
Le titre « Trop de jaune » a-t-il un lien avec la consommation de digitaline prescrite par le docteur Gachet à Van Gogh pour traiter son épilepsie ou s’étend-t-il à d’autres significations plus religieuses, voire plus abstraites ? Cette couleur, en effet, peut autant faire allusion à l’auréole d’un saint qu’à l’illumination, ou tout simplement aux pigments des tournesols et des autres toiles lumineuses de Van Gogh… tout est question de point de vue. Quel est le vôtre ?
J’avoue n’avoir aucune idée si le titre est en lien avec la consommation de digitaline : je demanderai à Emmanuel ! Le titre de cette pièce est polysémique comme la symbolique des couleurs. J’ai beaucoup étudié celle-ci à travers les ouvrages de Michel Pastoureau, l’historien spécialiste des couleurs, qui vient de sortir en décembre son dernier ouvrage consacré à la couleur JAUNE. Le philosophe Gaston Bachelard également apporte des lumières sur la signification des couleurs. Le jaune a une histoire (des histoires) et une symbolique très forte, dans l’Antiquité mais aussi au Moyen-Âge puis à notre époque contemporaine. La couleur du Soleil, la couleur sacrée, la couleur précieuse de l’or, des Dieux. Cette couleur navigue du sacré à la malédiction. Au Moyen-Âge par exemple elle est réservée aux Juifs déjà, aux hérétiques, aux sorcières, que l’on stigmatise par la couleur jaune…
Il y a une polysémie de sens dans le texte d’Emmanuel Fandre. Le jaune navigue entre signification religieuse à travers la révélation, la mission divine, la vision, l’illumination du peintre, avec ce sentiment chez Vincent d’avoir été élu par Dieu pour rendre compte de la Nature, trouver ce Jaune absolu grâce à son génie, mais aussi une signification plus abstraite, plus intellectuelle, le jaune symbole de la lucidité et même symbole de l’éclair de la folie. Cette couleur se retrouve dans les toiles de Vincent Van Gogh aussi comme symbole du Sud et tout se que la Provence lui apporte en termes de lumières : le Soleil, les champs de blés, les Tournesols, les façades et les intérieurs des maison à Arles, “La Maison jaune”, la luminosité de la nature végétale et minérale de la Provence. Le texte d’Emmanuel Fandre parle aussi des boutons d’or, cette fleur (ma préférée !), sauvage au jaune éclatant.
Si je devais me prononcer sur la signification du titre de cette pièce, je dirais que le jaune est synonyme de lucidité, “Trop de jaune” : trop de lucidité. Cette lucidité chez Van Gogh, cette acuité à voir, l’a mis au ban de la société comme “fou”, comme quelqu’un qui dérange par sa trop grande clairvoyance sur le monde qui l’entoure. Sur ce sujet Antonin Artaud livre une magistrale réflexion dans son livre “Van Gogh, le suicidé de la société”.
Comment avez-vous abordé votre mise en scène ? Vous êtes-vous rendue à Amsterdam ? Avez-vous visité tous les musées présentant des toiles de Vincent ? Vous êtes-vous plongée dans ses échanges épistolaires avec Théo ? Rien de tout cela ?
Je travaille essentiellement à l’instinct, en faisant confiance à mon inconscient après avoir bien sûr lu et relu la pièce, m’être imprégnée profondément du texte, de sa musique. De là naissent en moi des tableaux, des couleurs, des atmosphères pour ma mise en scène. Je suis un peu comme Scriabine pour qui chaque note évoque une couleur. Pour moi le texte, les mots, les scènes m’évoquent des couleurs, des sons, des musiques, des textures différentes. Mes mises en scènes se nourrissent de toutes mes expériences sensorielles, (auditives et visuelles en grande partie) corporelles et intellectuelles, elles s’inspirent de musiques que j’ai découvertes ou que je découvre, de films, de tableaux. Je m’inspire beaucoup de la musique, celle de Mozart, Bach, Vivaldi et Haendel, qui peignent de véritables tableaux à travers leurs œuvres. Leurs musiques me portent, nourrissent mon imaginaire quand je travaille un texte. Je puise aussi mon inspiration dans l’univers cinématographique. Pour Trop de Jaune, beaucoup d’images, d’ambiances d’”Amarcord” de Fellini, de “Théorème” de Pasolini, “Les Damnées” de Visconti, “Paris-Texas” de Wim Wenders, du “Parrain” de Coppola, de “Nikita” de Besson ou du dernier film de Lynne Ramsay, “A beautiful day” …
A dire la vérité et cela va paraître peut-être choquant, je ne me suis pas rendue à Amsterdam (par contre j’ai visité la boutique en ligne du Musée pour les objets dérivés concernant les œuvres de Van Gogh, le choc!!), ni à la Fondation Van Gogh à Arles, je n’ai lu aucun échanges épistolaires de Vincent avec Théo hormis la lettre fragmentaire qui est présente dans la pièce originale d’Emmanuel Fandre et que j’ai décidé de supprimer dans mon adaptation.
Votre approche théâtrale est aussi intéressante qu’audacieuse car vous vous moquez des carcans scéniques : vous mélangez pièce classique et contemporaine et vous faites côtoyer le drame et le burlesque. Il faut oser dériver ainsi en habillant Gauguin d’une veste en cuir et en mêlant Mozart à de la musique électro…
Oui, j’ai toujours souhaité bousculer les codes, les époques, transgresser les genres, m’affranchir des carcans des stéréotypes et de la bienséance. Ces mélanges, ces anachronismes, ces entrechocs comme les boules d’un jeu de billard alimentent pour moi l’imaginaire, la liberté d’interprétation, ils permettent de faire des ponts entre les époques, la société d’hier et d’aujourd’hui et celle de demain et questionner l’humain, tout cela afin de donner un aspect peut-être plus intemporel, au-delà de la temporalité historique, chronologique d’une œuvre, d’un sujet.
La mort, le sens de la vie, l’amour, le rapport à la famille, au monde, sont des sujets universels et atemporels. J’aime cette image des bulles pour illustrer mon travail. En tant que metteur en scène, je crée des bulles chargées de couleurs, de sens multiples, les artistes par leur interprétation en créent d’autres et le spectateur vient avec ses propres bulles (attente, vécu, imaginaire personnel) : et toutes ces bulles se rencontrent à cet instant “T” du spectacle vivant, dans cet espace commun entre le public et la scène, qui fait du théâtre un espace sacré où les rêves se réalisent, où les instants de grâce, de beauté et de communion sont possibles malgré toutes nos différences.
Le texte d’Emmanuel Fandre comporte une critique évidente de Dieu et de la religion. Vous avez pris le parti de faire blasphémer Van Gogh sur la cruauté divine et pourtant au final, cet homme se doit de pardonner pour mourir en paix. Qu’en pensez-vous ? Quelle est votre approche de la religion et spécifiquement du pardon ?
J’aime l’ambivalence et les contradictions que porte le texte d’Emmanuel Fandre. Son texte n’est pas manichéen, il n’adopte aucune thèse sur le suicide de Van Gogh, il pose des questions, il “en-quête” et ne répond jamais, laissant libre le lecteur comme le spectateur de choisir sa ou ses réponses si tant est qu’il y en ait une.
Le texte de Trop de jaune n’est ni blanc, ni noir, ni jaune… il est multicolore : il se moque de la religion, la blasphème et en même temps la vénère comme le fait Pasolini dans son œuvre cinématographique et littéraire. “Trop de Jaune” montre que la société de consommation, la marchandisation des personnes, de l’Art, a fait imploser les cadres traditionnels de notre société, comme la religion ou la famille, qui donnaient du sens et “cadraient” positivement nos sociétés en offrant des valeurs fortes, des ancrages humains et spirituels, via la foi par exemple. Trop de jaune montre la solitude des individus, leur isolement par l’implosion de ces valeurs. Trop de Jaune, critique la religion, la famille rigoriste certes, mais est plus une charge contre la société actuelle mue par le pouvoir de l’argent et l’appât du gain, l’argent qui a fait imploser les valeurs traditionnelles laissant “l’homme sans abri” pour reprendre une expression d’Emmanuel Fandre dans son introduction à la pièce.
J’ai été élevée très loin “des voix du Seigneur” pourrait-on dire, ma formation d’historienne m’a permis d’acquérir une culture religieuse que je trouve encore très lacunaire. Je me réjouis chaque jour de côtoyer des personnes qui m’apportent, dans un syncrétisme et une tolérance salutaires, plus d’enseignement sur la religion, sur la foi, sur le rapport à Dieu. La Bible et toutes les références qu’elle a provoqué et inspiré dans l’Art, la musique et les sociétés humaines, est une mine d’inspirations pour moi.
Cette scène quasi finale du pardon dans la pièce est extrêmement intéressante, elle montre, que l’homme, croyant ou pas, a besoin du pardon pour continuer d’exister, de se sentir exister parmi ses semblables, pour “mourir en paix” et pouvoir exister aussi ou enfin parmi les autres dans la Mort, ne plus être le “maudit”, “le banni”. La pardon pour moi est comme l’oubli, il est nécessaire pour avancer dans la vie, l’accepter même et permettre ce vivre ensemble tout en respectant la mémoire, les mémoires et l’histoire de chacun. On considère trop souvent le pardon comme un acte religieux, très connoté dans tous les cas, alors que pour moi, c’est un acte de partage, universel.
Thomas Coumans incarne le personnage de Van Gogh avec maestria. Comment avez-vous connu et choisi un comédien aussi transcendant ?
J’ai mis 5 ans à réunir mon cast. Il est le fruit du hasard grâce à des rencontres humaines fortuites et c’est cela que j’aime dans mon métier. J’ai repéré Thomas Coumans en 2015 lors de la projection du court métrage “L’aveugle et la Cardinale” du réalisateur Frédérick Laurent. Il jouait aux côtés de Claudia Cardinale. Dès les premières images du film, j’ai su que j’avais trouvé l’interprète de Vincent Van Gogh pour ma mise en scène. Thomas est un acteur magnétique, hypnotique, très physique avec une voix parlée magnifique, aux couleurs incroyables (en tant que chanteuse lyrique, je suis très attachée aux voix des acteurs, et je caste souvent les yeux fermés rien qu’à la voix les acteurs). Thomas n’était pas présent à la projection. J’ai demandé au réalisateur ses coordonnées pour un projet théâtral sur Van Gogh et tout s’est enchainé très vite : Thomas est venu de Bruxelles quelques semaines après cette projection à Paris me rencontrer et récupérer le script pour le lire et il a accepté de partir dans cette aventure pour laquelle, à l’époque, nous n’avions aucune date.
Je ne connaissais pas son parcours, c’est ensuite au fil des répétitions, bien après notre première rencontre, que j’ai découvert que cet acteur belge avait été formé aussi à la danse (auprès des danseurs de Pina Bausch) et au cirque. Thomas est quelqu’un de très engagé. Je tiens ici à le remercier de sa confiance tout comme tous les autres comédiens et comédiennes incroyables de cette aventure.
Vous êtes chanteuse lyrique et violoniste, ce qui explique la part importante de la musique dans vos mises en scène. Comment avez-vous choisi vos mélodies ? Comportent-elles des sous-entendus, des allusions ou sont-elles présentes juste pour nous porter émotionnellement ?
Là aussi, je laisse parler mon instinct, mon feeling pour les choix musicaux. Comme je l’ai dit, le texte me parle toujours de façon musicale, sonore et colorée. J’entends toujours de la musique quand je lis du théâtre ou de la poésie et je vois toujours une couleur, une texture dominante. J’ai une formation classique à la base (j’ai étudié le violon puis j’ai été danseuse au Ballet Roland Petit à Marseille et je suis devenue chanteuse lyrique après une blessure à la cheville). La musique classique baigne mon imaginaire. Mais si je navigue depuis mon enfance dans cet univers classique, j’ai toujours été attirée, et ma formation d’historienne spécialiste de l’expressionnisme allemand et mes études germanistes y ont contribué, par la culture punk, new wave, électro allemande, en particulier celle propre à l’Allemagne juste avant et après la Chute du Mur. Beaucoup d’artistes allemands de la culture punk et électro comme Klaus Nomi ou Nina Hagen viennent du classique. Je retrouve dans cette culture une spiritualité, un désespoir, un mysticisme acéré et implosif comme dans la musique classique. Là aussi les ponts, la transgression et l’affranchissement des codes, des époques et des genres sont présents dans cette culture “no future”, transgressive et subversive. Et c’est ce qui me plait. Elle se rapproche beaucoup selon moi de l’expressionnisme allemand des années 20 : Klaus Nomi semble tout droit sorti des dessins et peintures du peintre Georg Grosz !
Quand je travaille sur le texte, j’ai donc des musiques, des mélodies familières qui me viennent à l’esprit et je me fabrique également, à travers des heures de recherches et d’écoutes, une banque de musiques. Je suis très curieuse de découvertes ! A partir de là, si des images me viennent en concordance avec le texte sur lequel je travaille, si cela me parle alors ces mélodies vont alimenter ma créativité pour bâtir ma mise en scène. Bach m’inspire beaucoup pour créer, sa musique est du cinéma pour moi, quand j’écoute du Bach, j’ai l’impression de regarder un film. Il n’y a qu’à voir ce qu’à fait Francis Ford Coppola de la Passacaille dans la scène du baptême dans son film “ Le Parrain”. Extraordinaire.
Les mélodies que je choisies comportent sous-entendus, allusions, émotions. Elles peuvent porter la douleur, la tristesse, l’existentialisme. La musique punk, électro véhicule pour moi une dimension de transe spirituelle très forte à l’instar de la musique religieuse. Toutes ces musiques, pourtant élaborées à des siècles de différence, portent émotionnellement selon moi, des valeurs et des questionnements humains communs, universels.
Votre mise en scène de “Trop de Jaune” est également très visuelle et l’on sent une forte inspiration picturale : les amateurs d’art peuvent discerner en un instant des allusions à la toile « La leçon d’anatomie » de Rembrandt, à des descentes de croix de Rubens ou au Christ Mort de Hans Holbein. Avez-vous volontairement puisé vos tableaux scéniques auprès de ces maîtres du Nord ou est-ce un hasard ?
Selon moi, c’est le fait d’un hasard conscient ou une volonté inconsciente ! Les tableaux que je créé dans mes mises en scène sont nourris de toutes mes expériences sensorielles, de rencontres avec des tableaux, des musiques, des films, des chorégraphies aussi et des personnes : c’est cet ensemble de rencontres qui inspire “les tableaux” de mes mises en scène. L’homme comme toute ses créations m’inspirent. Dans tous les cas, j’accorde une place majeure dans mes mises en scène aux corps humains, au corps humain, à sa mise en scène en tant que chair figée ou mouvante, corps qui se frôlent, se déploient, se brisent. J’aime comme dans les tableaux qu’il y ait de la chair. A ce titre, oui l’inspiration picturale est forte et elle me vient des artistes de la Renaissance italienne et Allemande (Masaccio, Raphaël, Michel Ange, Dürer) mais surtout de l’univers pictural des artistes expressionnistes, plus torturé, celui d’Egon Schiele, Käthe Kollwitz, Otto Dix, Conrad Felix Müller et Georg Grosz mais aussi celui des cinéastes Fritz Lang et Murnau.
La peinture fait-elle également partie de vos talents artistiques en plus de la musique, la danse et la mise en scène ?
Enfant et adolescente, je faisais beaucoup de fusain avec le charbon récupéré dans la cheminée de mes grand parents maternels ! Et aussi de l’aquarelle. En autodidacte. J’ouvrais le dictionnaire, ou un magazine Beaux-Arts et ce qui m’inspirait, j’essayais de le reproduire. Le modelage a été aussi très important pour moi à une certaine époque. Je manque cruellement de temps malheureusement ou je ne sais plus le prendre pour faire tout cela.
A travers cette pièce, ne pensez-vous pas qu’Emmanuel Fandre souhaite emmener le public à revoir sa conception de l’art et de l’artiste ? N’est-ce-pas une façon de secouer les préjugés conservateurs de certains spectateurs et de montrer qu’il y a plusieurs façons d’exister que l’on soit un génie ou pas ?
Oui. Même si je ne souhaite pas parler à la place d’Emmanuel Fandre, je pense qu’il a souhaité à travers sa pièce transgresser le conformisme, secouer les préjugés. On ne sort pas indemne de ce texte, de cette pièce. Elle nous essore émotionnellement car elle nous parle de notre propre rapport aux autres, au Monde, notre façon d’être, d’exister au Monde que l’on soit artiste ou non.
Avez-vous déjà d’autres projets ?
En juillet 2020, ma création « Le Rappel des Oiseaux » d’après « Le Journal d’un fou » de Gogol, pour le danseur étoile Mathieu Ganio, sera programmée au Festival d’Avignon OFF dans la sublime chapelle en pierre des Templiers du Théâtre du Petit Louvre. Pour la première fois un danseur étoile de l’Opéra de Paris se produira dans le OFF comme comédien. L’incroyable pianiste russe Ilya Rashkovskiy sera aux côtés de Mathieu Ganio avec la musique de Bach, Rameau et Couperin.
Je travaille également depuis quelques temps sur le cas « Pasolini » pour un seul en scène masculin qui s’intitulera « RA(va)GE », un clin d’œil en partie à son documentaire exceptionnel tiré de son livre « La Rabbia ».
Florence Gopikian Yérémian