Les Amants de Varsovie : un voyage musical au cœur de l’âme slave
Polonaise de sang mais française de cœur, la belle Ewunia a composé un spectacle en deux langues en compagnie du pianiste Yves Dupuis. Le timbre suave et l’âme nostalgique, elle a choisi de nous entraîner dans les ruelles de Varsovie à la poursuite d’amants et d’amoureux transis. Arpentant mélodieusement les pavés de la capitale polonaise, elle nous raconte leurs passions, leurs rêves autant que leurs ruptures. C’est à la fois beau et triste, grisant et mélancolique. D’une chanson à l’autre, l’on passe de la folie des années 20 à la liberté de l’après-guerre en savourant le délicieux côté vintage de ce récital. Un peu jazzy, un peu groovy, le répertoire choisi par Ewunia réinvente avec audace les chansons populaires polonaises afin d’offrir au public français cet irrésistible charme slave. Rencontre …
Florence Gopikian Yérémian : Peut-on dire de vous que vous êtes polonaise de sang et française de coeur?
Ewunia : C’est toute une histoire… En fait, je suis née à Paris, de parents polonais qui, à l’époque, travaillaient en France. Même si je ne possède aucune origine française, je suis convaincue que mes affinités profondes envers ce pays et cette langue sont nées avec moi.
Lorsque j’ai eu deux ans, ma famille est retournée à Varsovie, puis nous avons fait escale en Belgique où j’ai appris le français avant de retourner en Pologne. J’y ai étudié les langues, la musique et le théâtre, et lorsque j’ai eu dix-huit ans, j’ai eu une sorte de prise de conscience : j’ai réalisé que je parlais parfaitement le français, que je pensais en français et que cette culture était aussi importante pour moi que la culture polonaise. Je me suis donc mise à l’étudier, notamment par le biais de la chanson française avant de me décider à partir explorer cette deuxième patrie que je ne connaissais qu’à travers des souvenirs d’enfance.
En 2004, je suis arrivée à Aix-en-Provence et j’y ai rencontré …l’amour de ma vie. Celà fait quinze ans aujourd’hui que j’ai mouillé l’ancre dans le Sud et il y a quelques mois j’ai obtenu ma naturalisation. A présent, je peux dire que je suis à la fois française et polonaise. Un magnifique mélange !
Quel est, selon vous, la qualité principale des Polonais et leur grand défaut ?
Humm, je dirais que leur principale qualité est la passion mais qu’elle se transforme parfois en leur principal défaut. À mon sens, les Polonais ne font pas de concession. Ils sont entiers et vivent les choses profondément, intensément. C’est magnifique lorsqu’il s’agit de sentiments positifs et d’élans constructifs, comme l’amour ou l’émerveillement face à la nature… mais cela peut être pesant (pour quelqu’un qui ne comprend pas ce caractère) lorsqu’il s’agit de vivre une douleur ou une tristesse… ils sont alors inconsolables…
Et pour les Français ?
Ce que j’aime chez les Français, c’est la confiance qu’ils incarnent. La confiance en eux, en tant qu’individus, la confiance en la beauté et la valeur de leur pays. Où qu’ils soient, ils se régalent à conter les richesses de chacune de leurs régions, leur histoire, les grands hommes et femmes qui ont marqué la France. Ce que j’aime moins, c’est une sorte de distance qu’ils peuvent manifester face aux choses, comme s’ils ne s’autorisaient pas à montrer leurs vrais sentiments, ce que j’associe parfois à du détachement…
Juste avant la pandémie, nous vous avons découverte dans votre spectacle Les Amants de Varsovie. Le répertoire que vous proposez explore de très anciennes chansons polonaises. Avez-vous baigné dans ces romances lorsque vous étiez enfant ?
Tout à fait. Je me rappelle les sillons des vinyles qu’écoutait ma maman, les mélodies fredonnées par ma grand-mère, les partitions de mon père qui jouait de l’accordéon quand il était jeune… Tout cela a certainement contribué à ma passion pour ce répertoire qui comporte de vraies perles musicales.
Depuis toujours, j’ai été émerveillée par la force de ces chansons anciennes et par la beauté de leurs textes. De telles mélodies sont intemporelles et je pense que dans cent ans, elles brilleront toujours avec le même éclat.
Comment est née l’idée de ce spectacle ? L’avez-vous conçu avec Yves Dupuis, votre pianiste ?
Je voulais faire découvrir la beauté de ces chansons polonaise au public français qui ne les connaît que très peu. J’ai proposé à Yves de nous plonger ensemble dans ce répertoire. Il a été subjugué par leurs harmonies et l’émotion qui s’en dégageait. Instantanément, il s’est approprié cette musique en y insufflant sa propre sensibilité artistique, à la fois romantique et très poétique. Ensemble, nous avons alors cherché comment nous réaproprier chacune de ces mélodies en décidant de quelle manière nous voulions les raconter. Petit à petit, Yves a créé les arrangements, et de mon côté, j’ai réalisé les traductions des textes et imaginé un fil pour relier les chansons. C’est ainsi que « Les Amants de Varsovie » sont nés.
Pourquoi ce titre Les Amants de Varsovie ? Est-ce un hommage à l’amour ? Au romantisme slave en particulier ?
Tout à fait. L’ensemble des morceaux raconte différentes histoires d’amour ayant pour décor la mystérieuse ville de Varsovie. Au fil du récital, toute la palette de couleurs que nous dépeignons, est par excellence slave : passion, émotion, nostalgie, poésie, drame… sans oublier le rire, bien sur ! Même si à la base, les protagonistes de ces romances sont Polonais, ils font écho à tous les amants du monde car ils partagent les mêmes espoirs et désespoirs…
La plupart des chansons que vous interprétez sont donc des reprises que vous avez modernisées ?
En effet, il s’agit pour la plupart de grands classiques polonais, cependant il y aussi deux chansons folkloriques et des escapades vers Chopin et Szymanowski. Le spectacle se décline sous une vingtaine de titres dont Le petit ciné (W małym kinie) de W. Szpilman, le tango C’est notre dernier dimanche (To ostatnia niedziela), le foxtrot J’ai peur de dormir toute seule (Ja się boję sama spać), la valse L’amour te pardonnera tout (Miłość ci wszystko wybaczy) ou le tube des années 1960 Aux deux perruches (Pod papugami). Les Amants de Varsovie propose aussi une interprétation des Deux petits cœurs (Dwa serduszka), une mélodie folklorique que les Français ont pu récemment découvrir grâce au film Cold War de Paweł Pawlikowski.
Votre récital comporte-t-il également des chansons que vous avez écrites ? Est-ce que vous composez ?
Oui, la chanson Varsovie s’habille de gris, est une composition d’Yves, sur laquelle j’ai écrit des paroles. Elle sert d’ouverture au spectacle en nous emmenant directement dans la ville meurtrie de Varsovie qui se relève de ses malheurs grâce à sa soif de vivre.
Vous chantez alternativement en français et en polonais, pourquoi ce double choix ? Pour tisser un pont musical ?
Créer un spectacle de chansons polonaises pour le public français est un défi. Mon objectif premier est d’ouvrir le cœur des Français à cette musique qu’ils ne connaissent pas et qui pourtant les touche dès la première écoute. J’ai donc traduit les textes pour leur donner du sens et puis j’ai unis les deux langues à travers la musique, ce qui me semble particulièrement beau. Pour les Français qui sont d’origine polonaise ou qui s’intéressent à ce pays, ou bien encore, pour les Polonais qui vivent en France, la découverte des Amants de Varsovie est souvent très émouvante. J’ai eu beaucoup d’échos concernant la beauté de cette dualité de langues qui offre un voyage entre la France et la Pologne.
Quels sont vos artistes favoris ? Quel chanteur/se polonais/e nous recommanderiez-vous ?
Il y en a tellement… Pour ce qui est des artistes Polonais, je vous incite vivement à écouter et découvrir l’extraordinaire Ewa Demarczyk. C’est pour moi la plus grande interprète de chansons à texte. Elle est si expressive, qu’à mon avis, sans comprendre le polonais, vous serez subjugués.
Du côté français, je ne cesse d’être émerveillée par la beauté des textes et des interprétations de Piaf, Brel, Aznavour, Barbara, Regianni, Gainsbourg, Michel Legrand et tant d’autres…
William Mesguich est à la mise en scène de votre spectacle, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Lors du Festival d’Avignon 2019, j’ai pu assister au merveilleux spectacle Liberté ! (avec un point d’exclamation) de Gauthier Fourcade, que j’avais rencontré l’année d’avant (nous partagions une même loge car nos spectacles se suivaient dans l’une des salles avignonnaises). J’ai adoré la mise en scène à la fois intelligente et magique de son spectacle. Elle était signée de William. J’ai alors eu la conviction que son regard apporterait aux Amants de Varsovie l’aspect concert qu’il méritait. Je suis très heureuse de cette rencontre, non seulement artistique, mais aussi humaine. William est un artiste aussi passionné que passionnant.
Avez-vous déjà présenté ce spectacle en Pologne ?
Pas pour le moment, mais j’espère dans un futur proche. Ce sera certainement une rencontre très émouvante avec le public polonais.
Comment allez-vous passer cette période creuse due à la pandémie ? Allez-vous travailler à de nouvelles créations ? Écrire d’autres textes peut-être ?
J’avoue que depuis que la pandémie est devenue palpable et réelle, je suis assez chamboulée. Je m’interroge beaucoup sur son sens, j’observe avec tristesse son évolution, mais aussi, je mesure notre impuissance face à une telle situation. J’essaye d’accueillir cette épreuve avec confiance et humilité. J’essaye d’être présente pour mes proches, de prendre soin d’eux et de moi. J’essaye d’accepter ce ralentissement et ne cherche pas à tout prix de combler le vide. Je prends le temps de lire davantage, de méditer, de ranger des idées et des choses que j’avais laissées de côté. Ce temps, malgré sa difficulté, est très inspirant, et me donne effectivement l’envie d’exprimer de nouvelles idées. Je les écoute sagement, et je pense qu’elles se transformeront en chansons prochainement.
Dès que les théâtres rouvriront avez-vous un autre spectacle à conseiller à nos lecteurs ?
Dans le studio Marie-Bell, où se jouent « Les Amants de Varsovie », je vous conseille vivement le seul en scène L’ombre. Un texte magnifique d’Alma Brami, merveilleusement interprété par la très émouvante comédienne, Dedeine Volk-Leonovitch. Je vous conseille également de découvrir ou redécouvrir le très beau texte de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, mis en scène et joué avec une palette de couleurs sublimes par William Mesguich. Un beau voyage.
En attendant la fin de notre confinement national, auriez-vous un livre qui vous tient à cœur à conseiller à nos internautes ? Peut-être un auteur polonais à leur faire découvrir ?
Oh oui ! À découvrir absolument, les livres d’Olga Tokarczuk, qui a été distinguée par le Prix Nobel en 2018. Beaucoup de ses livres sont traduits en français. Une plume et un univers uniques !
Auriez-vous un lien internet pour inviter nos lecteurs à mieux vous découvrir en attendant que les salles de spectacles ouvrent de nouveau ?
Avec grand plaisir. Voici une interview sur mon travail avec Yves Dupuis:
Florence Gopikian Yérémian
Les Amants de Varsovie