Lorsque l’on découvre Émeline Coquet au détour d’une pose, on ressent une sérénité tant dans sa physionomie que dans son caractère. La cuisse ferme, la peau laiteuse et le sein rond, la demoiselle possède une beauté aux rondeurs douces que l’on croque à ravir du bout du pinceau. Modèle vivant aux Arts Décoratifs ou à la Grande Chaumière, Émeline est aussi comédienne et marionnettiste. Le sourire plein de malice et le coeur ouvert, elle nous parle de son bel univers artistique.

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Émeline Coquet: Séance photo pour la série “Improvisations” de © Joël Dervaux

Florence Gopikian Yérémian : Comédienne – Marionnettiste – Modèle vivant : quel est le point commun entre vos trois professions ?

Émeline Coquet : L’humain, c’est le premier mot qui me vient à l’esprit. L’humain via la relation qui se noue entre un artiste et un public. Cette relation est bien sûr sensiblement différente dans chacun des domaines artistiques évoqués, mais le public est présent, voire physiquement et artistiquement impliqué lorsqu’il s’agit d’une séance de pose. Il faut composer avec lui, s’en nourrir… et le nourrir !

Vous avez une formation d’ingénieur, comment avez-vous bifurqué vers le théâtre et les ateliers d’artistes ?

Le théâtre est arrivé un peu par hasard. En classe de terminale, j’ai poussé la porte d’un atelier amateur au Théâtre Jules-Julien de Toulouse. J’y ai suivi une copine inscrite depuis quelques années et j’ai passé une audition qui a été une vraie réussite ! D’une certaine façon, ce fût une révélation mais j’ai fini mon bac et je suis rentrée en école d’ingénieur à l’INSA de Lyon (En m’inscrivant tout de même à la section « théâtre-études » de cette école… ). Avec mon diplôme, je me suis installée à Paris où j’ai travaillé dans une société d’ingénierie en informatique. Pendant deux ans, j’ai maintenu un lien avec le théâtre en suivant un cours amateur et puis, un beau jour, j’ai démissionné. Cela a sans aucun doute semblé être un coup de tête un peu fou pour une partie de mon entourage, mais un long travail interne s’était fait et, encouragée par celui qui partageait ma vie à l’époque, j’ai sauté le pas et je suis entrée dans une école professionnelle de théâtre. Les ateliers d’artiste peintres sont venus plus tard, lorsque j’ai commencé à travailler comme comédienne sans être encore intermittente. Poser me permettait de gagner ma vie tout en restant dans un milieu artistique.

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Spectacle de rue au Festival de Collioure – Photo Séverine Bonacchi

En tant que comédienne, vous êtes particulièrement attachée au théâtre de rue, est-ce parce que vous êtes une amoureuse de la liberté ?

La réalité est moins poétique, navrée !… En école de théâtre, j’ai travaillé avec un metteur en scène, Fabrice Eberhard, qui dirigeait à l’époque le Festival de Théâtre de Collioure (événement qui a malheureusement disparu). Il m’a proposé d’intégrer son équipe pour l’édition 2009 de ce festival. Cette année-là, le programme se composait d’un classique présenté dans la cour du Château de Collioure (« L’Avare » de Molière) et de trois spectacles de rue destinés à animer le centre-ville. En résumé : uniquement des spectacles en extérieur. Ce fût passionnant, éprouvant, extrêmement formateur. Et de là est sorti un spectacle qui, après une phase de réécriture, est devenu en 2010 le premier spectacle de rue de La Compâgnie Cîrconflexe avec laquelle je travaille depuis dix ans : « Le trésor des bonimenteurs ». Nous n’avions pas de réseau, pas de sous, pas de contacts… Nous avons commencé à répéter dans le Bois de Vincennes. Mais au moins, nous étions libres !

Un rôle vous a t’il marqué en particulier depuis votre montée sur les planches ?

Bizarrement, j’ai envie de répondre que c’est un travail de scène fait en école de théâtre qui m’a le plus marquée. Il s’agissait d’une scène tirée de « Mithridate » de Racine. Je jouais Monime, aimée de Xipharès, le fil de Mithridate. J’aime profondément Racine. Lors du travail de cette scène, j’ai pu ressentir ce que pouvait être la tragédie jouée de façon organique. La froideur et l’intellectualisme apparents de l’écriture de Racine disparaissent. C’est beau, c’est poignant, c’est cathartique. Je suis sortie d’école en me disant que j’étais une tragédienne née, que c’était ma destinée, émouvoir et faire pleurer les foules… Bon. En fin de compte, le travail mené ensuite avec La Compâgnie Cîrconflexe visait plutôt à faire rire (quitte à ce que ce rire se termine par un grincement de dents). Mais peut-être qu’un jour, je reviendrai à la tragédie. Qui sait ?

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Emeline Coquet dans le spectacle Plouf – Photo Julien Sena

Appartenez-vous aujourd’hui à une compagnie ? 

Pendant quelques années, je me suis pleinement investie au sein de Cîrconflexe en tant que comédienne mais aussi pour la diffusion, l’administration, la création des décors… un vrai sacerdoce ! Actuellement, je travaille avec plusieurs compagnies et cela fait du bien. Il y a Ladgy Prod avec qui j’ai fait mes premiers pas comme comédienne-marionnettiste via le spectacle jeune public « Plouf ! ». Ce spectacle a notamment été présenté au Théâtre Lepic (Paris 18e) début 2019. J’ai aussi rejoint la compagnie Patachon pour sa nouvelle création jeune public : « Gros boudeur, les aventures de Léon ». Et en parallèle, il y a un peu plus d’un an, j’ai rejoins la compagnie ToiMême en tant que chargée de diffusion. Oh et puis… je m’en voudrais d’oublier le Super Théâtre Collectif qui gère un lieu de création à Charenton-le-Pont et propose notamment de l’accueil en résidence. Je passe ainsi du côté des compagnies à celui de la gestion d’un lieu et c’est extrêmement intéressant, sans compter l’aspect humain du collectif.

Qu’est-ce-qui vous séduit dans le métier de marionnettiste ? La possibilité de faire rêver les enfants, de pouvoir créer toutes sortes de personnages, le côté ludique ?

Tout cela à la fois, mais en premier lieu, ce qui m’a plu, c’est de devoir m’effacer derrière sa marionnette. Même si Ghislaine Laglantine, la metteuse en scène de la compagnie Ladgy Prod pourra témoigner qu’en tant que comédienne, j’ai vite tendance à être un chouïa trop présente. (Pardon Ghislaine, je me surveille, promis.) Cela impose une discipline très différente de celle du/de la comédien/ne. C’est très enrichissant.

Et bien sûr, le fait de jouer pour des enfants âgés de 2 à 5 ans, c’est quelque chose de magique. Pour les plus petits, c’est souvent leur tout premier spectacle. J’apprécie particulièrement les « bords de plateau », les temps d’échange en fin de représentation avec les enfants. Certains peuvent avoir des questions extrêmement pointues. D’autres veulent juste pouvoir dire au revoir… parfois avec un petit bisou.

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Émeline sur le tournage d’un documentaire consacré à Berthe Morisot

Beaucoup d’artistes peintres de la place parisienne vous connaissent en tant que modèle-vivant, quels sont les « critères » qui vous ont fait alternativement devenir un modèle attitré des Beaux-Arts, des Arts Déco, des Ateliers Figura et de la Grande Chaumière ?

Il faudrait poser la question aux artistes et aux professeurs ! La toute première séance de pose que j’ai faite s’est déroulée à la Grande Chaumière, fin 2009… J’ai failli rester cachée derrière le paravent : « Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi est-ce que je me suis lancée là-dedans ? C’est par où la sortie ? » Fort heureusement, cette séance s’est très bien passée et au fil des années, j’ai noué de nombreuses relations professionnelles et amicales dans le cadre de la Grande Chaumière. Pour en revenir à la question posée… Je crois que je n’ai jamais eu de mal à trouver de travail en tant que modèle parce que je suis heureuse de poser. L’énergie que l’on dégage en tant que modèle est primordiale pour le bon déroulement d’une séance.  

Quand vous posez comme modèle-vivant à quoi pensez-vous ? Parvenez-vous à faire abstraction de tous les artistes et élèves qui vous croquent ? Ce silence créatif qui vous entoure est-il propice à la réflexion ?

À quoi pensent les modèles ? Je crois que c’est la question qui revient le plus souvent ! En ce qui me concerne, je me concentre sur ma respiration, sur les bruits qui m’entourent et je laisse mes pensées vagabonder. Cela me permet de laisser les éventuels soucis à la porte de l’atelier. Je ne fais pas abstraction de ce qui m’entoure, je m’y fonds et, d’une certaine manière, je me ressource. (Attention, c’est la minute « nous faisons tous partie d’un grand tout… »). En tous cas, que le silence règne, qu’un fond musical soit proposé, ou que se superposent les conseils d’un professeur délivrés à mi-voix d’un élève à l’autre, peu importe, tant que l’ambiance générale est studieuse.

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Lors d’une pose à l’Atelier de la Grande Chaumière – Photo Léo Higel

Quelle a été votre pose la plus longue ? Et la plus complexe ?

La plus longue, c’est facile : une pose académique, debout, tenue durant 4 semaines, à raison de 3h par jour. Je posais de 13h à 16h et la première semaine, je crois bien que je n’ai quasiment rien fait en dehors de poser. Ensuite, mon corps a pris le rythme, mais tout de même, il a fallu que j’adapte mon planning. Ce fût intéressant et je pense que si j’en ai l’occasion, je renouvellerai l’expérience.

Quant à la pose la plus complexe… Chacune des poses tenues pour une œuvre de Shane Wolf ! C’est à moitié une boutade même s’il y a un fond de vérité. Il connaît parfaitement l’anatomie humaine et, tout en respectant la sensibilité et la personnalité de son modèle, il construit chaque pose pour qu’elle soit, disons-le, parfaite. La bonne position de la main, la bonne inclinaison de la tête, etc. C’est très exigeant, mais il prend tellement soin de ses modèles que cela reste un plaisir de travailler avec lui.

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Émeline pose régulièrement pour le peintre américain Shane Wolf – Esquisse au crayon – “Tempest”

Avez-vous un souvenir particulier à nous raconter concernant une de vos séances de poses ?

Je ne suis pas particulièrement frileuse, mais un jour, pour un atelier de modelage qui se déroulait dans un local très mal isolé et très peu chauffé (évidemment, nous étions en hiver…), l’intervenant m’a conseillé de venir avec mon propre chauffage. Il y avait plusieurs séances prévues et la première fût pénible à cause du froid. Pour la séance suivante, j’ai donc suivi le conseil donné en arrivant avec un petit chauffage d’appoint pris dans ma salle de bain. En y repensant, je me demande pourquoi j’ai accepté de poser dans ces conditions. Sans aucun doute parce que je débutais. Dans la plupart des ateliers, le travail du modèle est respecté et les conditions de travail sont bonnes. Mais parfois, il est important de signaler ce qui fait défaut. Aujourd’hui, je n’hésite plus. Il n’en reste pas moins qu’un événement imprévu lorsque l’on pose nu n’est pas toujours facile à gérer ! 

Avec le confinement, comment passez-vous vos journées ? Pensez-vous à un prochain spectacle ? Faites-vous des poses en ligne via internet comme en propose l’école d’art de La Grande Chaumière ?

Les tous premiers jours, j’ai dormi, lu et mangé. Rien de plus. Malgré le caractère exceptionnel et dramatique de la situation, je suis passée par une phase de relâchement à la fois physique et mental. Et puis, le travail s’est rappelé à moi. Il a fallu trouver un nouveau rythme et accepter de ne pas savoir de quoi l’avenir allait être fait. Je devrais plutôt dire « tenter d’accepter… ». Ces jours-ci, je surveille les mails qui arrivent au compte-goutte, je me tiens au courant des dernières informations concernant le monde de la culture, je continue à lire et je me suis remise à la guitare. Je travaille, notamment en prenant le temps de m’occuper de tâches que je repoussais jusque là car n’ayant pas de caractère d’urgence. Mais je suis bien incapable de me projeter dans l’après-confinement. Et les injonctions à rester créatif durant cette période me paralysent. Quant à poser via internet, c’est hors de question. Je pose pour nouer un lien humain et artistique avec d’autres personnes. L’œil froid d’une caméra d’ordinateur, très peu pour moi. 

En attendant la fin de la pandémie, auriez-vous un livre à conseiller à nos internautes ?

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Son conseil de lecture durant le confinement

J’aurais envie de répondre : celui qui se trouve sur la table de nuit de chacun, peut-être depuis des semaines, voire des mois, et que l’on n’a pas pris le temps d’ouvrir jusque là… Evidemment, il faut avoir du temps et le confinement est loin d’être synonyme de temps et de tranquillité d’esprit pour tout le monde. Tout en étant intermittente et en nourrissant des questionnements et des inquiétudes pour les mois à venir, j’ai conscience d’être dans une situation privilégiée. Mon seul vrai défi du moment, c’est d’être partie à la conquête de la (très) haute « pile à lire » que j’entretiens religieusement (je suis incapable d’entrer dans une librairie sans en ressortir avec au moins un livre). Et dans mes dernières lectures, il y en a une qui m’a particulièrement plue en ces temps de confinement : « Un été sur la Bièvre » d’Adrien Gombeaud. Je cite le texte de présentation qui se trouve sur le site internet des éditions WARM : « Avec Un été sur la Bièvre, il [l’auteur] propose une promenade buissonnière dans la littérature et les arts au travers de quartiers méconnus de Paris et de sa proche banlieue ». Tout un programme, non ?

Qu’est-ce qui vous manque le plus ?

J’hésite entre jouer et aller boire un verre en terrasse… Disons : aller boire un verre en terrasse après avoir joué (le tout sans avoir eu d’auto-attestation à remplir pour pouvoir sortir de chez moi…)

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L’humour, l’optimisme et l’autodérision font partie intégrante de la personnalité d’Émeline. Photo prise par Séverine Bonacchi au Festival de Collioure

Quand le confinement va se terminer, quelle va être la première chose que vous allez faire ?

Une longue promenade au soleil dans les rues de Paris ! Et puis, j’espère retrouver le plus rapidement possible le chemin des ateliers et celui des salles de spectacle, notamment avec « Gros boudeur ». Mais je crains que ce ne soit malheureusement pas pour tout de suite… ce qui est inquiétant pour l’ensemble du secteur de la culture au vu de la faiblesse des mesures annoncées jusqu’à présent par le gouvernement pour soutenir ce secteur !

Florence Gopikian Yérémian

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Dessin de Jessica Artman
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Fusain de Florence Yérémian

Pour en savoir plus sur Émeline Coquet ou pour la contacter :

www.emeline-coquet.info

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Florence Gopikian Yérémian est journaliste culturelle. Rédactrice auprès de Muséart, Paris Capitale, L’Oeil ou le BSC News, elle couvre l’actualité parisienne depuis plus de vingt ans. Historienne d’Art de formation (Paris Sorbonne & Harvard University), correspondante en Suisse et à Moscou, elle a progressivement étendu ses chroniques au septième art, à la musique et au monde du théâtre. Passionnée par la scène et la vie artistique, elle possède à son actif plus de 10000 articles et interviews.