Michel Ocelot est certainement le réalisateur de films d’animation français le plus célèbre. Papa de Kirikou mais aussi d’Azur et Asmar, il possède une imagination luxuriante invitant à la fois au rêve et au voyage. Maintes fois récompensé pour ses œuvres oniriques, il a reçu le le César 2019 du meilleur film d’animation pour Dilili à Paris. Bien qu’il soit actuellement en plein travail sur son prochain opus (Trois contes prévu pour 2021), Michel Ocelot a eu la gentillesse de nous accorder une très belle interview.
Célia Soumet : De Kirikou à Dilili à Paris en passant par Princes et Princesses, vous avez fait rêver des milliers d’enfants mais aussi des adultes. D’où vous est venu cet attrait pour les contes et les légendes, et surtout d’où provient cette envie de transmettre ces histoires merveilleuses ?
Michel Ocelot : Je ne sais pas très bien d’où cela me vient. Enfant, j’avais assez peu de livres. Je me rappelle quelques recueils appelés “Contes et Légendes de ….” qui m’intéressaient. En fait, c’était moi qui racontait des histoires à ma grand-mère, et non l’inverse. Nous vivions loin l’un de l’autre et je lui écrivais des lettres illustrées. Une source d’émerveillement enfantin fut les premiers dessins animés de Walt Disney, qui étaient franchement des contes de fées. Cet émerveillement m’est resté. L’envie de raconter des histoires s’est beaucoup développée à l’âge adulte.
Quels étaient vos rêves d’enfant ? Aviez-vous déjà un imaginaire aussi chatoyant ou est-ce venu plus tard ?
Mes rêves d’enfant ressemblaient assez à ce que je fais aujourd’hui. J’étais un garçon actif, j’aimais créer de belles choses, j’aimais le dessin et la couleur, j’aimais faire de petits cadeaux. C’est aujourd’hui mon métier. Je peux m’y consacrer mieux que quand j’étais petit, je ne dois plus aller à l’école…
Comment créez-vous ? De façon studieuse assis calmement à votre bureau ou avez-vous l’esprit qui bourdonne sans cesse de rêves et de souvenirs que vous reconstituez en textes et en images ?
Il y a un certain bourdonnement discret, mais arrive le moment où j’ai choisi l’histoire que je voulais raconter et là le travail à mon bureau devient majoritaire.
Les thèmes du voyage et des différences culturelles sont omniprésents au sein de vos œuvres, pour quelles raisons ? Avez-vous l’âme d’un globe-trotter et l’esprit d’un citoyen du monde ?
Le thème du voyage c’est le sens du spectacle, changer continuellement de décor, et émerveiller. Beaucoup de voyages se passent en esprit, mais j’en ai fait beaucoup en vrai. D’abord avec mon enfance, passée entre l’Afrique et la France, ensuite grâce à mes petits films, puis grâce à mes grands films, je suis allé un peu partout dans le monde pour les présenter. Le thème des différences culturelles est encore autre chose. Ces différences me plaisent, mais dans certains cas elles suscitent beaucoup d’animosité et pire que cela. J’essaie de célébrer ces différences et d’amener plaisir, dignité et souplesse aux gens.
Vous abordez toujours des thèmes forts dans votre cinéma tels que le racisme, le sexisme, ou la place de la femme dans la société, est-ce votre façon de vous adresser directement au public et surtout aux jeunes générations afin de leur ouvrir les yeux ?
Je sais que, avec mon métier d’amuseur, de marionnettiste, j’ai un pouvoir. Je tâche de bien l’utiliser. Je sais que mes films atteignent bien les jeunes générations et je fais bien attention de leur apporter des choses justes et positives.
Vos œuvres semblent de plus en plus s’ancrer dans un esprit féministe, délaissant petit à petit les héros masculins au profit d’héroïnes hautes en couleurs. Est-ce par amour de la femme ? Pour mettre en avant son statut au sein de notre société ?
Je me sens plus HUMAIN que FEMINISTE. La bêtise et la malfaisance me révoltent, et c’est souvent le fait d’hommes contre des femmes. Dans une société où hommes et femmes ne sont pas à égalité, je m’ennuie.
Au fil de vos réalisations, vous avez utilisé un panel très varié de techniques d’animation telles que les ombres chinoises (Princes et Princesses – Contes de la nuit), l’animation 3D (Azur et Asmar) et, plus récemment les photographies redessinées de Dilili à Paris. Est-ce dû à une recherche constante de nouveaux moyens pour émerveiller sans cesse vos spectateurs?
Je ne cherche pas particulièrement à être original. L’image que je fais est d’abord dictée par l’histoire que je veux raconter. Je veux faire des choses qui viennent naturellement et qui sonnent justes. La technique est aussi dictée par l’argent dont je dispose, c’est fâcheux mais c’est ainsi…
Pouvez-vous nous parler de votre prochain film, Trois contes ? Quels en sont les thèmes, les techniques, les singularités ?
La singularité, c’est qu’il y a trois histoires au lieu d’une. Chaque histoire a une durée à elle. Il ne faut pas la compresser, sinon on ne la comprend pas, il ne faut pas l’étirer sinon on s’ennuie. Après l’histoire longue de Dililiu, je sentais venir le temps de trois histoires courtes et bien différentes. L’une se passe en Egypte Antique, l’autre dans l’Auvergne du Moyen-Age, la dernière dans une Turquie de fantaisie aux beaux costumes ottomans.
Vous êtes autodidacte, quels conseils donneriez-vous à de jeunes cinéastes désireux de réaliser des films d’animation ?
Je pense que c’est bien de passer par une des nombreuses excellentes écoles qu’on trouve en France, on gagne ainsi du temps, et de la crédibilité auprès d’employeurs (on peut aussi faire comme moi, se débrouiller et trouver les choses petit à petit). Et il ne faut pas avoir peur du travail, de l’honnêteté et de la sincérité.
Faut-il être, selon-vous, à l’écoute du monde d’aujourd’hui tout en gardant un pied dans la tradition, qu’elle soit artistique ou thématique ?
Bien sûr, il faut tout, le passé, le présent, l’avenir. Et il faut être à l’écoute de ce qui fait palpiter notre coeur. C’est dans cette direction qu’il faut aller.
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