Malgré l’ankylose qui paralyse le monde de la culture, il faut savoir que les galeries d’art demeurent ouvertes. Parmi ces rares rescapés du confinement, la Galerie Schwab démarre l’année 2021 en présentant les œuvres néo-expressionnistes de Safet Zec. Si vous passez près de Beaubourg, ne ratez surtout pas cet accrochage d’une force rare.
Florence Gopikian Yérémian : Quelle est la spécialité de votre galerie parisienne ?
Thierry Schwab : J’ai créé cette galerie d’art en 2011 avec mon fils Edouard. Nous sommes spécialisés en art contemporain, essentiellement en peinture figurative mais nous présentons également des œuvres sculptées comme celles de Marc Petit.
Qui sont vos artistes phares ?
L’un des principaux est le peintre Jean Rustin qui est décédé, hélas, en 2013. Nous exposons essentiellement des artistes à dominante néo-expressionniste tels que le yougoslave Vladimir Vélickovic, le suédois Lindström, le moscovite Lanskoy, l’espagnol Juan Porrero ainsi que le français Sereirrof. Ce dernier a récemment présenté au sein de notre galerie un magnifique cycle pictural de douze panneaux autour de son interprétation de la Divine Comédie de Dante.
Ce mois-ci votre salle principale est consacrée à l’artiste Safet Zec. Qui est-il ?
Safet Zec est l’un des plus grands peintres européens. D’origine serbo-croate, il a aujourd’hui 77 ans et ses œuvres sont exposées aussi bien dans les musées d’Allemagne que d’Italie. Jusqu’à l’âge de quarante ans, Safet était considéré comme l’un des maîtres de la peinture yougoslave. En 1992, durant la guerre, il a dû fuir Sarajevo. Il a alors perdu une partie de son œuvre et s’est réfugié à Venise en Italie où il a vécu durant plus de vingt ans. Aujourd’hui, il est reparti vivre en Bosnie-Herzégovine où il poursuit sans relâche sa recherche picturale.
Son talent est immense, a-t-il déjà exposé en France en dehors de votre galerie ?
Au sein de l’Hexagone, Safet Zec n’a jamais eu le niveau de notoriété qu’il mérite. Les Français l’ont néanmoins découvert lors d’une très belle exposition organisée par le Musée Comtesse de Lille, il y a quelques années. On a aussi énormément parlé de lui en 2014 car il a été choisi pour réaliser le retable de l’Église de Jésus à Rome. Sa superbe Déposition de croix a même été inaugurée par le pape François qui venait tout juste d’être désigné !
Comment qualifieriez-vous sa peinture ?
A mes yeux, Safet Zec est un peintre exceptionnel qui demeure l’un des plus grands artistes réalistes de notre époque. Ses œuvres sont très variées car il se passionne autant pour le corps humain que pour les natures mortes ou les paysages. Au fil des années son style a bien sûr évolué. Durant une grande partie de sa jeunesse il a, par exemple, eu une « période verte » et a consacré son travail à la représentation des arbres. Ensuite, il s’est passionné pour Rembrandt et a pratiqué la gravure. Beaucoup voient Safet Zec comme l’un des chefs de file du réalisme poétique car son art possède une force lyrique tout en s’inscrivant dans la tradition classique avec une vraie maîtrise du dessin, des matières ou de la lumière.
La sélection d’œuvres de SYMA News
Il y a quelque chose de magnifiquement tragique dans la peinture de Safet Zec. Qu’il s’agisse de ses barques abandonnées, de ses grands lits vides ou de ses cages à oiseaux silencieuses, cet artiste confère aux éléments du quotidien une latence et une mélancolie mutique qui nous aspirent l’âme.
Il en va ainsi de la thématique du pain qu’il transforme en oeuvre sacrée. Grâce à des jeux de matières, d’ombres et de lumières divinement douces, il rend leur croûte craquante, donne à leur mie une savoureuse plénitude et fait de ces pains des mets christiques.
Cette atmosphère quasi pieuse se retrouve également dans les études de drapés de Safet Zec : entre l’ébauche d’un perizonium, l’étude d’un simple peignoir et la représentation d’un lit parsemé d’édredons, on découvre l’attrait de Safet Zec pour les déclinaisons presque ton sur ton de blanc virginal.
Véritable explorateur du corps humain, il fait surgir de ses modèles une douleur humble et sait les magnifier tout en les tourmentant. Excluant systématiquement leurs visages, il met en images leurs dos noueux ou leurs jambes émaciées et concentre très souvent son art sur le rendu des mains: qu’elles soient tendues, inertes ou suppliantes, Safet Zec parvient à leur donner une force picturale impressionnante.
Florence Gopikian Yérémian