Héloïse Deschepper est une auteure à suivre. Du haut de sa quarantaine, cette prof bretonne roule ses clopes sans complexe, nous raconte ses cuites franco et évoque avec une ironie grinçante ses déboires d’adolescente, de mère ou d’épouse.
Loin de toute inhibition, son roman – Tribulations d’un con – porte une réflexion audacieuse sur le cheminement d’une jeune femme de notre époque : du calvaire honteux des premières règles à ses galères de mère, Héloïse nous raconte hardiment la liste de ses conquêtes amoureuses aussi bien que la perte de sa virginité sous le regard réprobateur de sa famille.
Replongeant dans ses années lycée, son livre se parcourt un peu comme un journal intime qui pousserait les deux portes de ses pensées mais aussi celles de son entrejambe afin de sonder les transformations de son corps et l’éveil progressif de sa sexualité.
La plume y est alerte, la pensée effrontée et le sens de la formule sans concession. À travers l’écriture contemporaine d’Héloïse, on ressent de toute évidence un besoin de liberté et de révolte. Ses mots fusent, insolents, pertinents aussi, et ils envoient voler avec panache les traditions et les non-dits qui continuent hélas de calcifier les moeurs de notre société.
Bravo !
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INTERVIEW EXCLUSIVE D’HÉLOÏSE DESCHEPPER
Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes enseignante spécialisée ?
Héloïse Deschepper : Tout à fait. Après avoir travaillé en école primaire, je me suis formée pour enseigner le braille à des jeunes déficients visuels. Aujourd’hui j’exerce au sein d’un établissement qui accueille des ados en difficulté scolaire.
Votre fief se trouve en Bretagne ?
Je suis née à côté de Lille dans le Nord. C’est là-bas que j’ai grandi et fait mes études. L’été de mes vingt ans, j’ai travaillé pour le camping dans lequel, avec ma famille, nous venions en vacances depuis plusieurs années. J’y ai rencontré le futur père de mes enfants, je n’ai plus eu envie de partir. Je vis là où j’allais en vacances et franchement, je mesure ma chance !
Est-ce facile de gérer une tribu, un travail dans l’enseignement et une carrière de romancière ?
J’ai deux filles, de douze et dix-sept ans. En fait de “gérer une tribu”, j’ai plutôt le sentiment d’apporter ma contribution à une vie en communauté à laquelle elles participent. Avec plus ou moins de bonne volonté, évidemment ! En tout cas, même quand elles étaient petites, je n’ai jamais eu la sensation d’être empêchée dans mes diverses activités personnelles. Avec leur père, nous avons toujours veillé à laisser à l’autre du temps pour pratiquer ses loisirs. Être parent, oui et avec plaisir. S’enfermer dans ce rôle unique, certainement pas.
Mon travail de prof m’offre évidemment du temps libre et une sécurité financière. Bien plus facile de changer de “casquette” régulièrement quand on n’a pas la tête remplie d’angoisses du quotidien.
Comment avez-vous basculé du tableau noir de l’école à l’écriture d’un livre ?
L’élève, assis devant le tableau noir n’est pas si différent du lecteur allongé dans son canapé. L’enseignant ou le conteur sont avant tout des transmetteurs. Apprendre, réfléchir, grandir, se connaître. Écrire et enseigner sont des activités jumelles. D’ailleurs, bon nombre de profs écrivent. A moins qu’il ne s’agisse d’auteurs qui enseignent… Les deux ont un auditoire et ont pour ambition de le garder éveillé jusqu’au bout !
Avant le livre vous êtes passée par la création d’un blog où vous écriviez des chroniques numériques ?
Oui. Il y a une dizaine d’années, alors que les réseaux sociaux commençaient à peine à coloniser nos smartphones, j’ai lancé le blog “5 minutes pour moi toute seule” . J’avais des tas de carnets griffonnés depuis l’adolescence. Je me sentais à l’aise avec les mots. “5 minutes” a remplacé mes journaux intimes de jeunesse. J’y publiais un texte par quinzaine. Ma communauté de lecteurs grandissait et leurs retours réguliers me galvanisaient. Mes chroniques racontaient des anecdotes de ma vie mais les réflexions que soulevait le récit de ces petits morceaux d’existence ont rapidement trouvé un écho chez les lecteurs qui encourageaient ma démarche.
Il y a quelques années, je me suis rendue compte que vérifier le nombre de “like” sous un texte me rendait con. J’écrivais parfois juste pour publier. J’avais perdu le sens de ce blog. J’ai alors repris mon stylo plume et mes jolis carnets. Et j’ai écrit des textes. Des textes courts. Des souvenirs que j’avais envie de graver dans le marbre. Je ne le savais pas encore, mais j’écrivais les premières tribulations d’un con.
Vous avez écrit votre roman en conjuguant plume et clavier ?
Ces textes ont tous d’abord été écrits à la main. J’aime sentir la plume glisser sur le papier. J’ai une écriture de maîtresse d’école et j’adore prendre mon temps pour inscrire les mots. De cette étape, découle la suivante, celle du clavier et de l’écran. J’y écris plus vite, je réorganise. Quand le fil conducteur des “tribulations” a été trouvé, j’ai abandonné mes carnets pour l’ordinateur. On était confiné, il faisait beau et chaque matin, comme un vrai auteur, j’avais rendez-vous avec mon roman.
« Tribulations d’un con » est un livre autobiographique ?
Je ne sais pas s’il aurait été d’accord, mais pour entamer mon livre, j’ai choisi de citer Victor Hugo : “Ce livre est écrit beaucoup avec le rêve, un peu avec le souvenir. Rêver est permis aux vaincus; se souvenir est permis aux solitaires”.
Cette citation précise au lecteur ce qu’il sait déjà: les auteurs parlent toujours un peu d’eux. Chaque humain voit d’abord le monde à travers sa propre lorgnette. Une fois mes souvenirs racontés, j’ai eu envie de les inscrire dans une fiction, l’histoire d’une quadra, mère de famille qui prend son petit-déj en faisant le point. Cette femme, c’est un peu moi, mais pas seulement, sinon, on se ferait chier.
Vous avez créé votre propre maison d’édition. Pourquoi ?
Avec mon compagnon et trois copines, on a créé une maison d’édition associative (https://editions.5minutespourmoitouteseule.com). L’idée était de continuer à posséder ce bouquin et surtout, de le porter jusqu’au bout. De la fabrication de l’objet à sa mise en vente. J’espérais aussi pouvoir rencontrer mes lecteurs dans la vraie vie. Pas de chance le deuxième confinement s’est imposé à nous tous le jour de la sortie officielle du roman. L’association a d’autres projets que mon bouquin, heureusement. On est en réflexion sur l’organisation d’un événement et nous avons reçu quelques manuscrits. On se veut un espace de rencontres et d’échanges autour de la création littéraire.
Comment définiriez-vous votre style ?
C’est plutôt difficile pour moi de le déterminer. J’écris de manière spontanée. Presque comme je parle. Mes phrases sont assez courtes, mais je sais aussi en faire des longues parfois, pour la frime. Mes lecteurs parlent d’une écriture mi-crue mi-poétique qui peut faire rire ou pleurer. En tout cas, un style qui suscite des émotions, sans vouloir me la raconter.
En philosophe de votre temps, que pensez-vous des smartphones et des réseaux sociaux ? Êtes-vous une instagrameuse jusqu’au bout des ongles ?
C’est un sujet qui rend schizophrène. On a des ordinateurs dans les poches et on ne sait plus rien faire sans. Quand je suis perdue, je lance mon GPS, j’ouvre Marmiton dès que je dois faire une béchamel et je ne retiens plus aucun anniversaire. Les réseaux nous rendent voyeurs ou complotistes. Nos enfants ne savent plus s’ennuyer et les plus fragiles continuent à être harcelés en dehors des établissements scolaires. On est abreuvés de fake news et on lit moins de livres le soir avant de s’endormir.
Mais, grâce à mon appli de meuf, je sais exactement quand je vais avoir mes règles, j’échange régulièrement avec les gens que j’aime, et c’est aussi grâce à ces outils que je partage mes textes.
Schizophrène…
En tant que prof auriez-vous un conseil pour redonner le goût de la lecture aux nouvelles générations? Comment vous y prenez-vous avec votre progéniture ?
Nous devons garder en tête que nous sommes les premiers modèles de la génération qui suit. S’ils nous voient un smartphone à la main, ils auront un smartphone dans la leur. A l’école, dans les classes, l’affichage est un outil supplémentaire pour que les élèves apprennent. Vous vous souvenez sûrement des règles d’orthographe ou des tables de multiplication qui ornaient les murs de la classe quand vous étiez au CE2 ? On part du principe que ce qu’ils ont sous les yeux, les élèves le retiendront, à force. C’est exactement pareil pour les livres, ou même pour toutes les activités qui font du bien, qui construisent. Laissez traîner des instruments de musique, de la peinture et des piles de bouquins chez vous. Les enfants sont curieux, ils s’en saisiront.
Florence Gopikian Yérémian
Héloïse Deschepper : Tribulations d’un con
Éditions 5 minutes pour moi toute seule
Pour découvrir le blog d’Héloïse et ses coups de gueule: « 5 minutes pour moi toute seule »
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Photos : ©Superflux