Gagarine : la fin d’une cité rouge
Pour leur premier long métrage, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh ont imaginé une fiction sociale qui prend place dans la mythique cité communiste de Gagarine. Leur mise en scène léchée et inventive offre au public de beaux moments de poésie et d’humanité.
Gagarine for ever
Le film démarre sur des images d’archives : on y voit le cosmonaute Gagarine inaugurer en 1963 la cité éponyme d’Ivry sur Seine. Soixante ans plus tard, cette agglomération est menacée de démolition mais un jeune homme, Youri, met tout en oeuvre pour empêcher sa destruction. Tandis que la cité se vide progressivement de tous ses habitants, Youri s’y accroche et transforme son immeuble en un étrange vaisseau spatial. Caché dans des appartements insalubres, il s’enferme dans ce cocon onirique pour ne pas faire face à une réalité qui le submerge…
La cité, cette grande famille solidaire
Pour tous ceux qui ont grandi en banlieue, la cité est une prolongation de sa propre maison. Plus qu’ailleurs, on y vit en interaction permanente avec ses voisins : les repas se partagent, les longues amitiés se tissent, les murs laissent entendre les disputes, les fenêtres laissent imaginer les rêves de chacun, quant aux couloirs, ils résonnent perpétuellement de petits trafics ou de street music. Tout le monde s’y connait, tout le monde s’y côtoie et malgré les dangers, il existe une solidarité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs car par-delà les races, les sexes, les âges et les idéaux, il y a un magma commun qui soude les habitants d’une cité et leur permet de tenir debout même quand tout s’effondre.
Fanny Liatard et Jérémy Trouilh ont parfaitement capté l’esprit d’entraide et de cohésion dont été pétri Gagarine. Cette cité du 9-4 construite à Ivry sur Seine pendant les Seventies faisait partie des grands ensembles urbains qui ont poussé en banlieue durant l’âge d’or du communisme. Pourvue de plus de 370 logements sociaux, elle a logé les ouvriers du siècle dernier puis s’est ouverte successivement à toutes les vagues d’immigrés de l’Hexagone.
Un Vaisseau spatial dans le 9-4
Avec ses longues barres bétonnées et sa façade de briques rouges aux couleurs du PC, Gagarine (« Gag » pour les intimes) a pris des allures de vaisseau spatial dans le film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Par-delà leur attentive réflexion sur le besoin d’ancrage des communautés, ces jeunes réalisateurs ont choisi de poser un regard poétique et inventif sur cette cité.
Au fur et à mesure de sa démolition, ils l’ont transformée en une entité spatiale qui va se détacher peu à peu de la réalité. Grâce à une maitrise étonnante des cadrages, des lumières et des effets sonores, leur long-métrage nous projette subtilement en apesanteur dans une atmosphère SF proche de 2001 l’Odyssée de l’Espace ou de Rencontre du 3e type.
La touche onirique de ce film « social » est aussi originale qu’inédite car elle apporte de l’optimisme, du rêve et de la poésie à l’univers des banlieues si souvent noirci et déprécié.
Une distribution adéquate
Au milieu de cet ilot à la dérive où les murs de béton s’effondrent et les habitant quittent le navire, il est beau de voir à quel point le jeune Youri entre en résistance et reste aux commandes. Interprété avec beaucoup de sensibilité par Alséni Bathily, le personnage de Youri incarne le prototype du gamin de banlieue intelligent au grand coeur. A ses côtés, c’est un plaisir de voir apparaitre le comédien Denis Lavant en troqueur manouche chantant allègrement au milieu de sa fourrière. On apprécie aussi la présence de Finnegan Oldfield (Dali) qui joue les dealers-derviches, celle de Jamil Mc Craven (Houssam) qui interprète l’ami fidèle de Youri, sans de parler de la prestation de Lyna Khoudri (César 2020 du meilleur espoir féminin) qui confère à sa protagoniste (Diana la Rom) autant de malice que de douceur.
Pour cause d’obsolescence, d’amiante et d’insalubrité, la cité Gagarine n’existe plus. Elle a été définitivement détruite l’an dernier face à tous les habitants du quartier qui sont venus voir une dernière fois ce lieu imprégné de tant de souvenirs communs. Le film de Fanny et Jérémy restera donc par-delà un beau moment cinématographique, un outil de mémoire… Merci !
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