Ilya Répine : un fabuleux portraitiste de l’Histoire russe
À travers cette grande rétrospective consacrée à Ilya Répine, le Petit Palais rend enfin hommage à l’un des plus grands peintres des XIXe et XXe siècles. Via une centaine de tableaux prêtés par la Galerie Tretiakov de Moscou ou le Musée d’État de Saint Petersbourg, cette exposition nous permet de capter le génie d’un portraitiste hors pair tout en nous offrant un regard sur l’Histoire du peuple russe.
Une magnifique fresque de la Russie
L’une des choses qui marque le plus le visiteur lorsqu’il découvre cette très belle exposition, ce sont les grands formats de Répine. Par-delà leur intérêt pictural, ces œuvres monumentales nous racontent avec vivacité une foule d’épisodes de l’Histoire russe.
Entre les processions religieuses, les fresques paysannes, les représentations de militants antitsaristes et les portraits de souverains (Alexandre III, Nicolas II), Répine nous fait capter la pauvreté des campagnes et le tumulte des mouvements populistes autant que la grandeur et les légendes de son pays.
Il en va ainsi des Haleurs de la Volga qui fut son premier succès et reçu la médaille d’or de l’Exposition Universelle de Vienne en 1873. Sensible au dur labeur des bateliers, Répine a peint ces hommes en haillons tirant des bateaux à voile le long de la rivière. Fatigue, misère, tension, désarroi, tout y est fabuleusement incarné.
Il en va de même de La Procession de Kourks où se bousculent des mendiants, des gendarmes et des ecclésiastiques portés par une impressionnante ferveur religieuse.
Et que dire des Cosaques zaporogues ? Cette toile est d’une telle puissance visuelle qu’elle devrait se classer parmi les chefs-d’œuvre de la peinture mondiale ! Avec autant d’ironie que de technicité, Répine y met en scène des Cosaques hilares en train d’écrire une lettre à l’envahisseur turc pour défendre la Petite Russie (L’Ukraine). Tout vibre à travers ce tableau grâce à la maîtrise picturale de Répine : qu’il s’agisse de la perspective, de la lumière, des textures, des couleurs, sans parler des expressions des visages et des corps qui nous ferraient presque entendre les rires moqueurs de ces grands guerriers.
Un portraitiste hors pair
Par-delà son encyclopédie historique, Ilya Répine est de toute évidence l’un des meilleurs portraitistes de son temps. L’intelligentsia qu’il côtoie ne s’y est pas trompée et s’est laissée croquer par son pinceau si habile : qu’il s’agisse du compositeur Moussorgski, du collectionneur Tretiakov, de Tolstoi ou de Tourgueniev, Répine a représenté la plupart des figures artistiques et littéraires de son époque.
Afin de saisir son génie, il suffit de scruter les visages de ses modèles. Qu’ils soient écrivains, paysans, archidiacres ou militaires galonnés, Répine parvient à saisir leur âme et à leur conférer une très grande intensité psychologique. Grâce à un trait aussi sensible que vif, il pare ces visages multiples d’humilité, de tourments intérieurs, de désillusion, voire parfois d’un certain mysticisme.
Un album familial
Afin de parfaire son talent de portraitiste, Répine n’a cessé de peindre ses proches. Entre son père Efim, son frère Vassili, ses enfants légitimes, son épouse et sa maîtresse, il a constitué un album familial qui s’est étoffé tout au long de sa vie. Par-delà son réalisme et sa liberté de touche, ces tableaux intimes sont empreints d’une certaine tendresse qui se teinte régulièrement de mélancolie ou de gravité.
Répine et la France
Au cours des années 1880, Répine a longuement séjourné à Paris. Installé à Montmartre durant près de trois ans, il a peint les rues de la capitale, des scènes de genre ainsi qu’un grand tableau nommé Le Café parisien dont l’exposition du Petit Palais présente de ravissantes esquisses.
Stimulé par son nouvel environnement et par la vague impressionniste qui règne en France, Répine se met à la peinture en plein air, il se déplace en Normandie et nourrit sa créativité.
Parmi les compositions qu’il a conçues durant cette période prodigue se distinguent des portraits “types” comme celui d’une jeune Femme noire ainsi qu’un tableau représentant un Juif en prière dont les transparences et l’atmosphère sombre nous rappellent les œuvres de Rembrandt.
Encore bravo au Petit Palais d’avoir obtenu le prêt de ces oeuvres spectaculaires pour nous faire parcourir le coeur de l’âme russe. On regrette juste que la toile d’Ivan le terrible tenant son fils ensanglanté ne soit pas présente : sa force démentielle aurait définitivement convaincu le public français du génie d’Ilya Répine !
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
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