C’est un garçon pas comme les autres qui a fait de la musique son repère, son évasion. Un exutoire pour Charlie Pâle qui a décidé de mêler étroitement son univers artistique à son évolution intime. Celle d’un jeune homme en construction témoignant à coeur ouvert de son épanouissement grandissant. Entretien.
« Chanter a toujours été un exutoire pour moi »
SYMA : Pour ceux qui ne te connaissent pas encore peux-tu nous décrire Charlie Pâle en tant qu’artiste ?
Charlie Pâle : J’ai 25 ans je fais de la chanson française, de la pop et je viens de sortir mon premier EP.
Comment as-tu démarré la musique ?
J’ai démarré la musique vers l’âge de 16 ans. J’ai toujours chanté et j’ai voulu apprendre la guitare, ça s’est fait en 3 mois. Ça m’a permis d’écrire mes propres chansons, d’emblée même si j’ai fait quelques reprises aussi pour commencer.
C’est un loisir qui s’est vite transformé en exutoire pour toi ?
Exactement, chanter a toujours été un exutoire pour moi, c’était la seule façon d’exprimer mes émotions, de m’aider. Je l’ai compris assez vite, c’est vraiment quelque chose qui me correspondait. J’écris sur ma vie sur ce que je ressens, parce que je ne sais pas écrire autrement. Ça m’aide à extérioriser apprendre sur moi-même.
Ça a été une évidence pour toi, tu ne te voyais pas faire de la musique autrement?
J’ai commencé en guitare voix, c’était au départ le seul moyen de m’accompagner. Puis j’ai rencontré mon producteur Raphaël d’Hervez avec qui je travaille depuis trois ans en studio. On a crée vraiment ce que je voulais faire mais que je n’arrivais pas à faire seul et que j’avais en tête.
Ta particularité c’est de mêler totalement ton histoire personnelle à ta musique, tu peux nous en dire plus ?
J’ai commencé à écrire mon EP il y a deux ans avec mon ancienne voix, avant d’assumer que j’étais un homme transegenre. Le projet a démarré comme ça. Pour l’anecdote on a réenregistré ensuite l’EP une deuxième fois avec ce que j’appelle « ma voix en travaux » puisque là encore elle a évolué. Ce qui a été cool c’est de me rendre compte que des chansons que j’ai écrit il y a 3 ans ont toujours ce même sens. Je parle de la peur de l’avenir, la recherche de soi, savoir où je vais, qui je suis. À présent j’ai ces réponses.
« C’était autant vital de commencer ma transition hormonale que de continuer de chanter »
Justement ton premier single « Je vais où » aborde tes doutes au démarrage de ta transition.
Il fait parti des premiers que j’ai écrit, à un moment où j’étais perdu. Il parle vraiment d’abord de la période d’adolescence qui a été très compliquée pour moi, comme pour d’autres. Et je pense qu’inconsciemment j’écrivais sur ma transition. En réalité j’étais perdu sur plein de choses de ma vie, parce que ça fait peur, on te demande très vite ce que tu veux faire plus tard. Et c’est compliqué d’être lâché dans un monde où tu ne sais pas où tu vas et où tu n’as pas forcément la maturité nécessaire pour te projeter. Donc il y avait un mélange d’émotions. Je pense qu’inconsciemment on exprime beaucoup de choses. C’est marrant de voir que quelques années plus tard la chanson prend un tout autre sens. Parce que moi concernant mon genre j’ai fait un déni de qui j’étais toute ma vie, même si je le savais depuis enfant par tous les signes. J’ai juste pas voulu le voir, l’accepter parce qu’on n’avait pas de représentation suffisante et que j’étais perdu. Je pense que mon inconscient m’envoyait des messages.
Tu as été jusqu’à tourner le clip dans ton ancien lycée, c’est un beau pied de nez à ceux qui te critiquaient ?
C’est ça, je suis quelqu’un qui adore les symboliques. Je trouvais ça important de revenir dans ce lycée où j’y ai fait ma 3ème professionnelle. Déjà je trouvais le cadre magnifique, ce château et en plus je trouvais important de revenir ici. Il y avait une forme de guérison de revenir dans des circonstances meilleures. Là j’avais vraiment plaisir à y être par rapport à ces années où ça n’était pas du tout le cas.
Aujourd’hui tu dirais que tu prends une revanche sur cette période difficile ?
Ouais je pense que cette période est enfin vraiment derrière moi. J’ai mis des années mais cette fois il est temps d’avancer et guérir de tout ça. Plus j’avance plus je me rends compte que je commence à aboutir mes projets et je prends confiance en moi.
Comment gères-tu les différentes étapes de ta transformation ? Je pense notamment à ton changement vocal qui doit nécessiter du travail supplémentaire.
J’ai eu très très peur de commencer la testostérone à cause de ça, je savais que c’était autant vital de commencer ma transition hormonal que de continuer de chanter. J’étais persuadé au départ que c’était impossible parce qu’on n’avait pas d’exemple. Ce qui m’a aidé c’est que je me suis dit que j’étais comme Justin Bieber à l’âge de 12 ans, maintenant j’en ai environ 16 dans ma mue et je me suis dit si il a réussi moi aussi ! Quand j’ai compris ça j’ai foncé. J’ai fait un travail technique important à côté. La première année j’allais chez l’orthophoniste, je travaillais ma voix tous les jours, faisais des exercices vocaux. Et au final ça l’a fait je pense que c’était l’année la plus difficile. Le chemin est encore long je pense que je vais encore muer pendant 1-2 ans mais j’ai réussi grâce à mon aisance vocale de départ aussi.
En parallèle de la musique tu continues de travailler pour gagner ta vie, le rythme n’est pas trop fatiguant ?
J’avance dans mon coin petit à petit. Je travaille en interim actuellement, déjà pour pouvoir payer mon loyer car je ne peux pas encore vivre à 100 % de la musique. Et ça me permet de ne pas me reposer sur mes lauriers, c’est une source de motivation. Pour moi c’est important de passer par là dans ma construction. Ça m’aide à grandir aussi. Ce qui est bien c’est que ça me permet d’avoir des semaines plus flexibles, de ne pas être tenu par le travail et pouvoir continuer la musique à côté. C’est important de s’installer progressivement, de s’accrocher et travailler dur.
« Je suis en train de créer la représentation que j’aurais aimé avoir »
Egalement tu racontes chaque étape de ta transition sur tes réseaux sociaux, c’est une autre façon de te livrer ?
Pour moi c’est important de documenter mon parcours car de mon côté justement ce qui m’avait freiné c’était le fait de ne pas avoir d’exemple. Plein de personnes sont dans le même cas que moi, je veux leur montrer que si j’y arrive eux aussi. C’est important d’avoir ce genre de représentation, on en manque. J’essaye vraiment de lier mon parcours de transition avec mon projet. Je suis en train de créer la représentation que j’aurais aimé avoir. Tout ce que je raconte sur mon parcours c’est ce que j’aurais voulu voir.
Tu reçois beaucoup de témoignages de jeunes dans ton cas ? Des encouragements ? Des critiques aussi ?
J’ai beaucoup de soutien, plus que de méchancetés pour le moment. Et je vois à quel point ça aide des gens dans leur parcours, ce qui me fait encore plus plaisir c’est de voir des chanteurs. Bien évidemment quelques messages sont très méchants, transphobes on ne peut pas y couper mais j’essaye de ne pas y prêter trop attention et de me concentrer sur le positif et sur ma route.
Tu te considères comme un porte parole de la transidentité ?
Je ne me considère pas comme un porte parole, je suis juste honnête. J’ai ce besoin viscéral de pouvoir partager mon parcours. De base je le fais un peu égoïstement pour moi, et si ça peut aider c’est génial !
Tu trouves que c’est une communauté encore trop peu représentée dans les Médias ?
On est en 2022, ça bouge mais pas assez. C’est important de montrer qu’on est là, qu’on existe, qu’on n’est pas que malheureux et que ce parcours peut être chouette. On parle de nous, on parle mal de nous on doit constamment se battre pour des droits, certains qu’on n’a pas qu’on a du mal à acquérir. On a la sensation d’être constamment sur la sellette. Ce qui est bien avec les réseaux sociaux c’est cette liberté d’avoir la parole. C’est important de continuer de s’installer, montrer qu’on est là, qu’on existe, qu’on n’est pas des extraterrestres. J’espère qu’au fur et à mesure on aura de plus en plus de place dans les Médias.
Après ce premier EP quel est la suite pour toi ?
Je continue d’écrire, d’enregistrer des chansons en studio. J’attends des dates de concert aussi pour voir me défendre sur scène et montrer le projet à des gens qui ne me connaissent pas. J’espère acquérir le statut d’intermittent et penser au futur album. Mais je veux vraiment faire vivre cet EP c’est important. Et le rêve aussi ça serait de remporter une Victoire de la musique révélation masculine. Je vais la gagner j’y crois tellement fort, c’est mon plus grand objectif. En tout cas j’y crois.
Merci à Charlie Pâle
Premier EP « Je vais où ? » disponible
Une douce pop authentique. Mais surtout, un voyage intérieur en cinq réflexions sur la quête d’épanouissement personnel d’un garçon pas comme les autres incarnant la force d’aller vers soi.
DROUIN ALICIA