N’essayez pas de trouver dans quelle case Eliott Jane se range, elle n’existe pas. Une artiste affirmant sa liberté et une musique contrastée entre ombre et lumière. Une revanche pour cette ancienne victime de harcèlement scolaire désormais fervente défenseuse des différences. Entretien.
« Plus jeune j’ai beaucoup été persécutée à cause de mon look »
SYMA : Eliott Jane, pourquoi ce pseudo ?
Eliott Jane : Le « Jane » c’est mon prénom version anglicisé. Parce qu’avant j’avais un groupe de rock où je chantais en anglais, donc je l’ai laissé pour avoir cette marque du passé. Et « Eliott » ça évoque pour moi le prénom des enfants différents comme Billie Eliott ou le petit garçon dans E.T. C’est vraiment une façon d’avoir toutes mes personnalités mélangées.
À tout ça s’ajoute un nouveau personnage « Billie » héros de ton nouveau single. Peux-tu nous parler de ce garçon ?
C’est un enfant justement différent, quand il sort en robe dehors il se fait harceler, est victime de violences.
Forcément on pense à « Billy Elliot » c’est un film qui a marqué ton enfance ?
Tout à fait, et à son meilleur ami qui porte une robe dedans justement. Je m’en suis beaucoup inspiré notamment pour le clip. Le film a marqué mon enfance et même encore maintenant je l’adore. Il se bat vraiment pour obtenir sa liberté de danser, il y a vraiment une forte affirmation de soi dedans. Et c’est quelque chose que défend beaucoup dans mes chansons.
L’histoire racontée dans ta chanson fait écho à ton, propre vécu ?
Ça m’était déjà arrivé, pareil plus jeune j’ai été beaucoup persécuté à cause de mon look qui gênait. Et puis j’avais un copain qui venait habillé en robe, et une fois il s’est fait agresser après l’école. Ça m’a beaucoup marqué. Donc j’avais besoin de raconter cela.
Pour ce morceau tu as collaboré avec Hoshi, comment vous êtes vous rencontrées?
Elle m’a contacté après la sortie de mon EP en me disant qu’elle l’avait adoré. Elle m’a dit de ne pas hésiter à lui envoyer des titres. Et de suite elle a eu un coup de coeur pour « Billie ». Pour la petite anecdote, son réalisateur Eddy Pradelles m’avait contacté aussi sans savoir qu’elle aussi. Du coup on s’est dit autant travailler à trois sur ce titre.
Hoshi qui est réputée pour être porte-parole de la condition des personnes LGBTQ+ reçoit régulièrement des menaces, tu n’as pas peur avec ta médiatisation de t’y exposée également ?
Pour le moment les réactions sont hyper positives, justement il y a vraiment cette communauté LGBT qui me contacte. Je reçois plein de messages de personnes qui se retrouvent dans l’histoire de Billie, qui repartagent. J’ai forcément 2-3 commentaires plus insultants mais je passe au dessus. Il y a quand même plus de positif, c’est hyper stimulant.
« Protéger les minorités c’est quelque chose qui me plaît »
Tu as l’impression que les choses bougent dans le bon sens ?
J’ai l’impression que c’est un sujet de plus en plus abordé. Je pense à Eddy de Pretto dans « Kid » ou à Bilal Hassani que ça soit dans sa musique ou sa façon d’être. Il y a quand même beaucoup d’artistes qui le défendent. Donc je ne suis pas la première mais pour moi ça a été assez naturel et instinctif de le faire.
Pour ta part tu as choisi de ne pas te prononcer sur ta sexualité ?
C’est vrai que je n’en parle pas trop. Quand je tombe amoureuse c’est d’une personne avant tout et peu importe ce qu’il y a entre ses jambes. Pour ma part je suis maman, j’ai un mec mais ça n’est pas quelque chose que j’affiche. Pour moi c’est vraiment du domaine privé.
Tu ne te positionnes pas en tant que porte-parole ?
J’ai quand même envie de prendre une posture, de protéger les minorités c’est quelque chose qui me plaît. Après j’ai aussi plein de titres qui n’ont rien à voir. Je me laisse libre de parler instinctivement de ce qui me touche, ça peut être très large.
J’aborde une nouvelle fois le harcèlement sur un titre de mon album, mais je parle aussi de mes sentiments personnels. C’est une posture que j’aime prendre et que j’ai besoin de prendre dans ce titre. Mais ça n’est pas calculé, je ne vais pas devenir une artiste uniquement centrée dessus.
C’est important pour toi passer des messages dans ta musique ?
Carrément, quand y en a un c’est encore mieux. Même si certaines chansons sont plus de l’émotion à l’état brut.
« On peut dire que la musique m’a totalement sauvée»
Plus jeune tu as été victime de harcèlement jusqu’à développer une phobie scolaire, comment as tu vécu cette période ?
Je n’arrivais plus à aller à l’école sans avoir la boule au ventre. C’était très angoissant d’assumer le regard des autres, les violences. Ça marque mais c’est aussi grâce à ça que j’ai fait de la musique de manière exutoire. Donc au final c’est aussi ce qui fait ma force aujourd’hui. On peut dire que la musique m’a totalement sauvée.
C’est une passion que tu as depuis toujours ?
J’ai toujours aimé inventer des histoires depuis petite, puis à l’adolescence j’ai commencé à écrire des compos.
Tu as débuté au sein du groupe de rock Jina, qu’est ce que cette expérience t’a apporté ?
J’ai fait mes premières armes avec ce groupe. Puis comme j’étais très très jeune par rapport aux autres, et une femme dans le monde du punk rock j’ai dû taper du poing sur la table pour m’affirmer, donc ça donne énormément de force.
À l’époque tu chantais en anglais, c’était une manière de cacher tes émotions ?
J’écrivais en anglais pour me cacher, puis une fois seule j’ai pu enfin me mettre en français. Ça faisait longtemps que j’avais le désir, mais ça n’était pas forcément partagé par tout le monde. Donc j’étais contente de pouvoir assumer plus mes propos.
« J’ai toujours chéri ma liberté »
Suite à ça tu as décidé de tout quitter et tu t’es même retrouvée à la rue…
J’avais un fort besoin d’indépendance et d’autonomie donc j’ai fait ma valise et je suis partie faire ma propre vie. J’ai toujours chéri ma liberté. J’avais besoin de ça, de vivre un peu au jour le jour. J’ai vraiment tout lâché pour la musique.
Qu’est ce qui différencie l’ancienne de l’actuelle Eliott Jane ?
Je suis devenue un vrai électron libre. Je pense aussi que j’ai beaucoup de recul par rapport à des situations difficiles, pour ça que je peux en parler avec une certaine légèreté. J’aime jouer avec les contrastes, aborder des thèmes sombres sur des musiques dansantes.
Même si tu n’aimes pas être mise dans des cases, comment décrirais-tu ton univers ?
Disons que je n’aime pas suivre une mode. Je voyage un peu dans plusieurs univers, pour ça que mon premier disque est si hybride. De toute façon dans le monde de la musique tu es toujours ou trop comme si ou trop comme ça, donc je trouve que ça n’a aucun intérêt. Je préfère aller droit au but et ne pas trop réfléchir.
Justement ton premier EP sorti en 2021 s’intitule « Liberté chérie », c’est une notion qui semble vraiment capitale pour toi ?
Oui. Et il y avait aussi cette fin ce compromis artistique que j’avais en groupe. C’était très passionnel entre nous, on se déchirait beaucoup même si il y avait beaucoup d’amour. Au final je me suis retrouvée seule en totale liberté, j’ai reconstruit une identité mais aussi obtenu ma liberté.
Dessus on y retrouve ta chanson « Va voir ailleurs » qui s’est retrouvée sur Netflix dans la série « Emily In Paris », tu as senti que ça t’avait ouvert à un nouveau public ?
C’était une belle revanche, surtout que j’ai écrit cette chanson à mon ex. J’étais très amoureuse de lui et un jour j’ai découvert qu’il avait trois nanas en même temps. Du coup je lui ai écrit « Va voir ailleurs ». Quand elle s’est retrouvée là je me suis dit que c’était trop cool. Ça m’a ouvert un public à l’international, j’avoue que ça m’a ouvert beaucoup de choses.
Quelle est la suite pour toi, un premier album ?
Déjà un second single à la rentrée, et des dates autour de cette sortie et effectivement je travaille sur le premier album. Il sera lui aussi très hybride entre plusieurs univers, des titres plus rock, d’autres plus pop, des ballades, de l’énergie, de l’émotion. Toujours en fonction de mon ressenti et de manière instinctive.
Merci à Eliott Jane
Nouveau single « Billie » disponible
Un poignant hymne libératoire sur l’affirmation de soi, chassant l’intolérance à coup de sonorités dansantes.
DROUIN ALICIA