L’occupation
Malgré son titre, cette pièce ne parle absolument pas de la seconde guerre mondiale. Elle évoque néanmoins un conflit bien réel : celui d’une femme de quarante ans rongée par la jalousie. Alors qu’elle vient de quitter son amant, cette dernière apprend qu’il l’a déjà remplacée par une autre… Mais qui est donc cette nouvelle maîtresse qui vit bourgeoisement dans le 7e arrondissement et se permet, de surcroît, d’être plus âgée qu’elle ? Pas à pas, cette rivale va “occuper” la totalité des pensées de cette femme trahie au point qu’elle va mettre tout en oeuvre pour tenter de lui attribuer un visage. Mais, à bien y réfléchir, le doit-elle vraiment ?…
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Quand la jalousie vous ronge…
Tiré du livre d’Annie Ernaux (Prix Renaudot 1984), ce monologue se déploie comme une confession aussi désespérée qu’ironique. Interprété avec beaucoup d’authenticité par Romane Bohringer, il expose avec précision toutes les pensées intimes de la narratrice qui transforme sa rivale en une figure obsessionnelle. Qu’à t’elle donc de plus qu’elle cette inconnue pour que son amant la préfère ? Est-elle belle ? Riche ? Fait-elle mieux l’amour ? Loin de toute rationalité, notre héroïne au coeur brisé va partir à la recherche du moindre détail pour briser cette liaison qui la paralyse.
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Une pièce cathartique
Écris dans un esprit cathartique, ce texte très contemporain est en fait une crise de jalousie soigneusement décortiquée. La pièce pourrait être banale et un brin redondante si elle n’était incarnée par Romane Bohringer qui s’y investit entièrement. Audacieuse et sans fard, la comédienne apporte une respiration à cette écriture nombriliste qui enlise le spectateur dans les caprices d’une quadra pétrie d’égoïsme.
En effet, comment en vouloir à son amant de vouloir refaire sa vie alors que l’on vient consciemment de le jeter ? Cette illustration parfaite de déraison féminine montre à quel point l’on finit par tomber dans la souffrance la plus complète lorsque l’on est possessive et de mauvaise foi ! À l’exemple de cette héroïne maraboutée, l’on peut alors perdre toute sa dignité, passer son temps à espionner les autres et atteindre un stade où l’on admet la légitimité des crimes passionnels !
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Romane Bohringer : une héroïne contemporaine, sensuelle et authentique
Pour nous raconter ce sentiment d’impuissance et de frustration paranoïaque, Anne Ernaux utilise une langue crue et possédée qu’elle déverse d’un bout à l’autre de son texte. Fidèle à cette prose pétrie de fiel et d’érotisme, Romane Bohringer ne garde pas sa langue dans sa poche et s’exclame avec autant de rancœur que de sensualité. Tandis qu’elle râle, rage, peste, s’égare et se laisse merveilleusement engloutir par la jalousie, les vidéos de Pierre Pradinas défilent en fond de scène et le compositeur Christophe “Disco” Minck l’accompagne ludiquement au synthétiseur ou à la harpe. Pleine d’astuces Romane nous séduit autant qu’elle nous interpelle car elle parvient étonnement à “péter les plombs avec flegme” ! Il faut dire que sa maitrise du texte est telle qu’elle conserve une distance et une légèreté délicieuse sur ce constat de femme trahie transformant ainsi les maux d’Annie Ernaux en des mots d’une ironie grinçante !
Bravo Romane !
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
L’Occupation – PDF SYMA News – Florence Yeremian.
L’Occupation
Texte d’Annie Ernaux
Mis en scène : Pierre Pradinas
Avec Romane Bohringer et Christophe “Disco” Minck
Musique originale : Christophe “Disco” Minck
Scénographie, lumières et images : Orazio Trotta et Simon Pradinas
Maquillage / coiffures : Catherine Saint-Sévère
Assistants à la mise en scène : Aurélien Chaussade et Marie Duliscouët
Son: Frédéric Bures
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Festival d’Avignon
Du 7 au 30 Juillet 2022 à 14h
Théâtre des Halles
Rue du Roi René – 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 24 51
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Durée du spectacle 1h05
La pièce a été vue en 2018 au Théâtre de l’oeuvre
Photos : ©Marion Stalens