Samouraïs, Meiji, estampes… Les expositions sur le Japon commençaient un peu à se ressembler. C’est là que le musée Jacques Chirac du Quai Branly propose opportunément un nouveau thème pour les passionnés de l’archipel : le kimono.
Habit traditionnel nippon, le kimono trouve sa forme quasi-définitive à l’ère Heian (794-1185). Deux siècles plus tard, le terme kimono apparaît vers l’ère Muromachi. En français, le mot kimono est aussi générique que vague. L’exposition fort sobrement appelée “Kimono” se propose ici de décrypter l’habit traditionnel dans ses différents types, son histoire, et son rayonnement artistique et international.
Le kimono présenté en ouverture de l’exposition est probablement celui auquel tout le monde pense, puisque c’est le type le plus médiatisé. Le furisode, porté par les femmes, se distingue par la partie de tissu sous les manches, extrêmement longue et non cousue au tronc. D’où le “furi” de furisode puisque le verbe furu veut dire entre autres “se balancer”. Ce kimono au motif floral classique est très récent puisqu’il date de 2019.
Le kimono et son art expressif
Bien sûr, l’exposition explore très largement la caractère artistique du kimono, dont l’opulence a relativement peu d’égal dans le monde occidental. Ce modèle du début du 19e siècle est un uchikake, un sur-kimono qui se porte au dessus d’un kimono moins épais. Si le regard par le mont Fuji curieusement pointu en haut, c’est en bas qu’il faut comprendre le vrai sens de la décoration de ce kimono. Les deux personnages à la base sont tirés du récit Les Contes d’Ise, un écrit du 10 siècle dans lequel le noble Ariwara no Narihira (supposé avoir été lui-même l’auteur de l’œuvre, auquel cas il se mettrait lui-même en scène) s’arrête au pied du mont sacré pour observer ses neiges éternelles. Tout cela pour dire que le kimono ne se contente pas d’être simplement agréable à l’œil : il exprime et même nous raconte quelque chose, ce qui explique probablement une partie du mythe qu’il est devenu.
Chez l’homme, le kimono est nettement moins ostentatoire et se concentre sur le côté pratique. Les teintes sont moins vives, la palette de couleurs plus réduites et les manches plus courtes. Même si à l’époque d’Edo, l’utilisation du kimono était répandue indépendamment du sexe, les hommes le portent moins facilement que les femmes des nos jours.
Voilà un habit aux motifs pour le moins inattendus. Ce type de vêtement est un kosode, un kimono dont les manches sont courtes et ne disposent pas de poche à leur base. Sûrement un couturier aux goûts exotiques, à moins que l’idée de commercialiser un kimono à la décoration aussi funeste ne vienne de cette représentation de kabuki par l’acteur Bandô Shûka. Les acteurs de kabuki sont les rares hommes à porter des kimonos extravagants, et ne manquent pas de lancer certaines modes.
Il faut dire que sans réseaux sociaux, télévision ou même journal (le premier journal nippon date de 1862), les marchands de kimonos n’ont qu’un moyen de se faire connaître : les estampes. Ce tryptique particulièrement intéressant montre une femme vraisemblablement fortunée (au centre) à qui l’on propose de nouveaux kimonos. En bas à droite, on distingue l’idéogramme dai cerclé, symbole du magasin Daimaruya justement spécialisé dans le commerce de kimonos. Eh oui, même au début du 19e siècle, il y avait déjà du placement de produit!
Au milieu du 20e siècle, le kimono devient malgré lui un instrument de propagande. Le Japon militariste pousse des tissus ornés de croiseurs, d’avions, de chars et autres scènes guerrières. L’habillement conditionne ainsi y compris les plus jeunes garçons à la nécessité de la conquête et de la guerre, avec les conséquences que l’on connaît…
Le mariage au Japon est extrêmement codifié et le kimono est un élément-clé du rituel, pour ceux bien sûr qui n’auraient pas adopté le style occidental. Si pour la mariée le kimono blanc appelé shiromuku fait figure d’incontournable, il lui est possible de porter un sur-kimono aux couleurs flamboyantes comme celui ci-dessus. Le choix est lourd de sens car chaque couleur et chaque motif veulent dire quelque chose de différent. Le rouge a longtemps été inabordable et réservé à la haute aristocratie. Rouge des torii et des ponts des temples shintô, il a le don de chasser les mauvais sorts. La grue, symbole de longévité, est surreprésentée pour augurer d’une longue vie.
Kimono et modernité : un nouveau départ
L’exposition consacre sa dernière (grosse) partie au kimono dans la modernité. Les Trente Glorieuses et l’occidentalisation galopante n’ont en rien effacé l’image de l’habit ancestral. Bien au contraire d’ailleurs, puisque le kimono va s’exposer à l’étranger : David Bowie est le premier artiste à s’afficher et à se produire en kimono en 1973, suivi de Freddie Mercury quatre ans plus tard. Le kimono faisait alors une entrée fracassante dans la médiasphère mondiale. Au cinéma, Star Wars a des allusions discrètes au kimono, en partie parce que George Lucas est connu pour être fan de l’oeuvre d’Akira Kurosawa. Madonna s’est déjà mise en scène dans un ensemble rouge fortement inspiré du kimono.
La sélection cite également avec justesse le jeu vidéo avec l’adaptation de la chanson Senbonzakura dans Hatsune Miku Project Diva F en 2013. Les personnages apparaissent alors portant des kimonos fantasmagorique durant l’ère Meiji. On pourrait aussi citer Kazumi Mishima qui combat en kimono blanc dans Tekken 7, ou encore plus proche de nous, Raiden Shogun de Genshin Impact et son impressionnant kimono pourpre. Quelques 200 ans après sa vulgarisation par les estampes, désormais le kimono crève l’écran dans le réel comme dans le cyber.
Kimono
Musée du Quai Branly – Jacques Chirac
37, Quai Branly, 75007 PARIS
Du 22 novembre 2022 au 28 mai 2023
Ouvert de 10h30 à 19h (22h le jeudi)