Retour sur le concert d’André Manoukian au Trianon
Ce dimanche 19 mars, le Trianon Paris accueillait le cosmique et généreux André Manoukian. En l’espace d’une soirée, accompagné de musiciens aux origines indienne, grecque et bulgare, il a fait voyager son public vers le Levant et dans les doux pas d’Anouch, sa grand mère arménienne. Un moment magique !
Hommage à Anouch
Si vous ne le connaissez pas encore, le dernier album d’André Manoukian est une véritable perle de jazz orientaliste. Sorti en novembre 2022, il est dédié à sa grand mère Anouch qui a été déportée durant le Génocide de 1915. Oscillant entre mélancolie et allégresse, André y convoque ses racines, parle d’amour, chante l’exil et s’en sert accessoirement de thérapie douce pour évacuer ses traumas d’Arménien.
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Jazzman & pédagogue
En ce 19 mars, le public du Trianon Paris a eu la chance de savourer en live les multiples morceaux de cet opus. Dans un mélange de folklore, de jazz, d’orient et d’occident, il a pu découvrir une partie intime d’André (Pas celle là !) et se laisser porter vers des terres lointaines aux saveurs douces et suaves.
Par-delà ses talents de pianiste et de compositeur, André Manoukian s’est montré fin pédagogue tout au long de la soirée. Expliquant les rythmes, les nuances, la sensualité des demi-tons ou les harmonies classiques, il a initié les spectateurs au solfège et à l’histoire de la musique en les abreuvant de mélodies délicieuses.
Accompagné par le joueur de tablâ Mosin Kawa et le violoncelliste Guillaume Latil, il a exploré les modes orientaux, évoqué le rebetiko, taquiné Brubeck ou Sinatra, et réussi à insuffler à son public autant de joie majeure que de douleur mineure.
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Le retour des muses ?
Excellent musicien mais aussi « Entertainer », André Manoukian sait séduire son auditoire en lui offrant une foule d’apartés. Maniant à ravir l’humour et l’autodérision, il ponctue son récital de confidences, évoque ses dérives sentimentales, taquine sa libido et annonce avec conviction qu’il ne tombera plus jamais amoureux de ses muses… (On y croit ?)
Fort heureusement, cela ne l’empêche pas de se frotter encore un peu au Beau Sexe et de convier sur scène trois des chanteuses du groupe “Balkanes“. Superbement entouré par ces voix bulgares, André interprète alors Before Beethov, L’ange à la fenêtre d’Orient et demande à Milena Jeliazkova de chanter le vibrant Oulyana qu’ils ont composé ensemble en hommage à leur mère et grand-mère respectives.
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Dafne Kritharas : une voix sortie de l’Olympe
Poursuivant cette exploration musicale des plus féminines, André invite ensuite une déesse tout droit sortie de l’Olympe : la silhouette frêle et les pieds nus, Dafne Kritharas entre en scène et ensorcelle en un instant la salle du Trianon. De sa voix pure et intense aux sonorités venues d’un autre temps, cette jeune chanteuse franco-grecque transporte l’assemblée dans un rêve éveillé à mi-chemin entre les terres de Byzance et les rives de l’Odyssée. Chantant en grec, en arménien ou en français, ses envolées lyriques sont d’une telle ferveur qu’elles résonnent en chacun des spectateurs comme une prière sacrée et universelle.
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Pour toi, Arménie
Après cette exploration des musiques du monde, André revient sur les pas d’Anouch et convoque chaleureusement son ami dudukiste Rostom Khachikian. Passant du chvi au duduk, ce musicien hors-pair nous fait vagabonder avec beaucoup d’émotion et de nostalgie parmi les cimes et les verts pâturages des montagnes d’Arménie.
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Puis vient le moment de jouer la vraie marche d’Anouch (The Walk), celle où André raconte du bout de ses doigts la déportation de sa grand-mère en 1915 vers le désert syrien de Deir ez-Zor. Malgré la thématique douloureuse du Génocide, ce morceau « itinérant » n’impose aucun pathétisme. Ses sonorités et son rythme portent au contraire un questionnement lancinant sur l’absurdité de ce massacre.
Afin d’achever les Arméniens qui sont dans la salle, André Manoukian leur offre au final le chant le plus triste de ses ancêtres : Dele Yaman. Avec humilité, il laisse le duduk de Rostom conclure et raconter cette douloureuse histoire d’un amour perdu qui exhorte chaque survivant à trouver en soi la force pour continuer à vivre…
Le message est passé. (Surtout ne pas pleurer)
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Anouch Kezi André !
Tu nous as fait un bien fou avec ton concert sucré-sacré.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
André Manoukian 4TET & Balkanes
Concert “Sur les pas d’Anouch”
Le Trianon Paris
80, boulevard de Rochechouart
Paris 18e
19 mars 2023
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Si vous n’avez pu assister à ce concert, regardez les vidéos d’André Manoukian « Sur les pas d’Anouch ». Il y décortique avec humour et sensibilité chacun des morceaux de son dernier album.
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Photos : ©Florence Gopikian Yérémian