Michel Gondry se confie sur son dernier film : Le livre des solutions
Après L’Écume des jours, Conversation avec Noam Chomsky puis Microbe et Gasoil, Michel Gondry est de retour sur les écrans à travers un film autobiographique. Son Livre des Solutions revient en effet sur une période abracadabrante de sa vie où le réalisateur hyperactif a mis en place un livre d’auto-conseils afin d’éviter de trop se disperser.
Tourné sur le ton de la comédie, ce long-métrage est interprété par Pierre Niney qui joue avec une belle effervescence le rôle fantasque et capricieux de Marc (c’est à dire de Michel Gondry). À ses côtés, Frankie Wallach et l’irrésistible Blanche Gardin incarnent avec patience ses fidèles assistantes, quant à la comédienne Françoise Lebrun, elle déploie toute sa bienveillance et sa sensibilité pour devenir le seul être sur terre capable de comprendre les délires et les obsessions de Marc, son neveu.
Par-delà l’humour sémillant, la poésie à la Boris Vian ainsi qu’une scène surréaliste où Pierre Niney dirige un orchestre avec tous les pores de son corps, ce film est intéressant car il porte un regard sincère sur les esprits fantasques qui ont du mal à canaliser leur créativité. En dépit de cette singulière pathologie, Michel Gondry semble une fois de plus, avoir réussi à mener à bout ce mille et unième projet !
Lors de la projection du film en avant-première au Centre Pompidou, Michel Gondry a amicalement accepté d’être interviewé.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce film, comment est né Le livre des solutions ?
Michel Gondry : C’est souvent mon fils qui me dit « Tiens, tu devrais faire ça ! » et il a vraiment de bonnes idées. Ce film raconte une période de ma vie où j’étais un peu en désordre dans ma tête. Toute ma famille s’inquiétait et pensait que je devais aller me faire soigner mais personne ne venait vraiment me voir. Mon fils est venu, il a débarqué avec son sac à dos, il est resté une dizaine de jours et a effectivement constaté que je faisais plein de trucs en même temps. Auprès de ses amis, il a une certaine fierté à évoquer mes excès et mes excentricités et il aime montrer que son papa n’est pas complètement normal. Il m’a donc dit « On aurait vraiment dû faire un documentaire sur cette période de ta vie où t’a fait tellement de trucs débiles ». Et le film est parti de là ! Avec du recul, je constate que durant cette période je faisais effectivement pas mal de trucs rigolos mais qu’il y avait aussi une grande souffrance en moi qui a dû faire du mal à beaucoup de monde autour de moi.
C’est à Pierre Niney que vous avez confié le rôle de Marc, c’est-à-dire votre double dans le film
C’est un double par son rôle mais le personnage que compose Pierre Niney existe à part entière. Si je l’envisageais comme un double ça deviendrait une espèce de biopic où les gens se griment et miment une personne qui a existé : ce genre d’exercice ne m’intéresse pas. Pierre Niney a parfaitement compris dans quel état d’esprit j’étais, il m’a observé et il a bien joué en poussant mon ridicule et mon arrogance. C’est d’ailleurs uniquement par le regard des femmes qui l’entourent qu’on parvient à aimer le personnage qu’il incarne : on se dit que si elles peuvent supporter Marc c’est qu’il doit avoir certainement des qualités.
La comédienne Françoise Lebrun incarne le magnifique personnage de Suzette, votre tante, qui a été très importante pour vous
Ma tante était plus rayonnante mais Françoise Lebrun a de la beauté dans les yeux. Quand on la voit et qu’elle commence à parler, sa beauté déborde et commence à envahir son visage et l’ensemble de son corps. Elle a compris toute l’intention des mots qu’elle devait porter à Marc ; durant le tournage, elle a porté ces mots avec son cœur et la douceur de sa voix. Son jeu a fait que c’est devenu ma tante avec tous les sentiments qu’elle avait envers moi. Je voulais que le public comprenne cet amour.
Comment avez-vous décidé de faire une comédie de tout cela ?
Il y a une vraie souffrance en arrière-plan de ce film mais je n’ai pas voulu mettre de filtre dramatique pour expliquer à chaque instant que je traversais une période difficile. Malgré la souffrance, il faut chercher à ne pas esquiver les choses qui ont été drôles : c’est un chemin plus honnête pour parler de ce qu’on a à l’intérieur de soi. L’ironie sur soi est importante. Cet humour est une objectivité des évènements qui se sont passés : de l’extérieur ça reste drôle même si ça représente des choses qui sont assez dures.
Vous avez un rapport très particulier à l’écriture. Quel plaisir avez-vous pris à écrire le scénario ?
À mes débuts, j’avais un gros complexe d’écriture, je pensais ne pas pouvoir m’exprimer et je me suis donc forcé à écrire pour me prouver que j’avais tort. J’ai commencé à prendre la plume dès mon troisième film. Le meilleur moment quand on écrit c’est lorsque l’on a une scène et que les personnages se mettent à parler tout seuls. À un moment, on n’arrive plus à les faire taire ! Ce rapport aux mots et à la phrase est très important pour moi. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire le scénario du Livre des Solutions.
Parlez-nous de la scène où Marc vire un chef d’orchestre, le remplace et se met à diriger tous les musiciens avec son corps et sa musique intérieure
C’est une scène à la fois très poétique et en surchauffe. Elle est assez incroyable mais il faut savoir que je l’avais faite exactement comme ça dans la réalité. Cette ambition a été possible car je n’avais plus aucune inhibition à ce moment-là et que j’imaginais qu’on allait trouver un orchestre dans les Cévennes en une semaine : ce qui s’est passé ! Pour les diriger, j’ai donné une signification à chaque partie de mon corps et à cela est venue se greffer l’interprétation et la personnalité de chacun des musiciens de l’orchestre. Comme ils avaient tous des instruments classiques cela s’est mélangé de manière harmonique et, au final, on a obtenu une sorte de magie musicale pleine de puissance.
Tout au long du film, le personnage de Marc refuse de voir son film ou de participer au montage. Pourquoi cette attitude ?
Il a une extrême estime par rapport à son long métrage et il a peur de se décevoir. Il voit ce film comme quelque chose de très fragile qui va s’effriter quand il va le regarder donc il veut retarder le plus possible l’instant où il va devoir s’affronter et du coup détruire le film par son premier regard. Je vais également répondre à cette question par le « je » car ça s’est aussi passé dans ma vie : si j’évite de regarder un film c’est pour préserver ce moment où je découvre l’ensemble de mon oeuvre en ayant vraiment un regard extérieur. La fin du Livre des solutions est d’ailleurs fidèle à cette attitude… Elle montre aussi que les gens sont attachants quand ils sont un peu déréglés. Ça donne un espoir que finalement je n’ai pas guéri !
Propos recueillis le 8 septembre 2023
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Le livre des solutions
Un film de Michel Gondry
Avec Blanche Gardin, Françoise Lebrun, Frankie Wallach, Pierre Niney et Sting … 🙂
Sortie le 13 septembre 2023
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