Black Tea : une idylle afro-chinoise à déguster par petites gorgées
Aya est une jeune ivoirienne d’une trentaine d’années. Le jour de ses noces, elle refuse de se marier avec un homme qui l’a trompée et part vivre à Canton au sein de la communauté africaine de « Chocolate City ». Travaillant dans une maison de thé, elle y apprend l’art de la cérémonie auprès de Monsieur Wang et se laisse délicatement tomber sous son charme…
Deux êtres en quête de bonheur
A travers ce nouveau film, le réalisateur de Timbuktu, nous invite à suivre une idylle improbable. Avec minutie et délicatesse, Abderrahmane Sissako déploie, en effet, une histoire d’amour afro-chinoise entre deux êtres raffinés aux parcours difficiles.
D’un côté, il y a Aya qui malgré une première déception amoureuse poursuit avec foi sa quête du bonheur. Dotée d’une force douce et d’une joie lumineuse, l’actrice Nina Melo confère à la belle ivoirienne beaucoup de séduction.
Face à elle, le comédien Han Chang interprète le personnage plus réservé de Monsieur Wang : avec autant de maturité que d’élégance, il nous livre un homme affligé au triste passé conjugal qui va pudiquement s’extraire de sa mélancolie.
Un esthétisme sensuel
C’est avec contemplation qu’Abderrahmane Sissako met en scène ce couple. La caméra sensuelle et pondérée, il savoure le temps long et propose un étonnant travail d’images qui se superposent. De fait, la plupart de ses prises de vue sont construites à travers des vitres qui offrent aux spectateurs de subtils jeux de reflets. Alternant les ombres et les miroirs, le réalisateur nous plonge ainsi dans un esthétisme flouté qu’il ponctue intentionnellement de couleurs luxuriantes : entre des myriades de lampions acidulés, des tissus africains et des paysages verdoyants de plantations de thé, il fait magnifiquement voyager toutes nos sensations.
Celles-ci sont d’ailleurs décuplées par les voix chuchotées des protagonistes et par la musique du film : omniprésente de bout en bout, elle décline des envolées pianistiques, des rythmes africains, des mélodies de Nina Simone chantées en bambara et même de langoureuses mornas en provenance du Cap Vert
Une mosaïque de cultures
Black Tea se déploie intentionnellement sur plusieurs continents : outre l’Afrique et l’Asie, Abderrahmane Sissako nous emmène aussi sur l’île de Cesária Evora, la chanteuse capverdienne.
Ce film est une ode à la diversité des cultures et des identités mais aussi une invitation à leur union : entre les traditions ancestrales de la Côte d’Ivoire et la constante modernisation de la société chinoise, il est très intéressant pour les spectateurs de faire une halte au sein du quartier de “Chocolate City”. Ceux qui ne connaissent pas cet endroit singulier de l’Asie seront vraiment impressionnés par l’implantation active de la communauté africaine au sein de la ville de Canton. À travers cette diaspora, le réalisateur ouvre une fenêtre aux mentalités européennes qui malgré la mondialisation continuent de vivre en vase clos : prônant le partage, la rencontre et l’acceptation des différences, Abderrahmane Sissako va même plus loin dans son ouverture en soulignant qu’il est fort regrettable qu’à notre époque le racisme demeure encore présent au sein des anciennes générations chinoises.
Black Tea ? Un breuvage cinématographique riche en saveurs, long en bouche et saupoudré d’élégance. Xièxiè.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Black Tea
Un film de Abderrahmane Sissako
Avec Nina Melo, Han Chang, Wu Ke-Xi
En salle le 28 février 2024