Avec L’Arlésienne, Daniel Mesguich met en voix une tragédie provençale
L’Arlésienne est initialement une nouvelle d’Alphonse Daudet tirée des Lettres de mon moulin. Adaptée pour le théâtre, elle est à mille lieux du conte enfantin de La chèvre de Monsieur Seguin et nous raconte l’histoire tragique d’un suicide amoureux. Mise en musique par Bizet au XIXe siècle, elle est aujourd’hui mise en voix par Daniel Mesguich qui se régale à interpréter tous les rôles de ce mélodrame provençal.
Daniel Mesguich, un amoureux du verbe
Daniel Mesguich n’est plus à présenter ou peut-être pour les nouvelles générations. Acteur de théâtre et de cinéma, mais aussi metteur en scène et professeur au conservatoire d’art dramatique pendant plus de trente ans, cet artiste est un monument national et un véritable amoureux du verbe.
Avec cette pièce pastorale qu’il met en scène et interprète, il s’empare une nouvelle fois de la langue française en explorant de surcroit les accents de Provence. Inspiré par les personnages hauts en couleurs de l’Arlésienne, il leur offre à chacun une voix qui les fait apparaitre successivement sur la scène :
Tout d’abord, il y le vieux berger Balthazar avec sa pudeur, ses souvenirs et ses inflexions chantantes ; puis vient Jeannet, « L’innocent du village » qui capte étonnamment tout ce qui se passe : le timbre grave, ce simple d’esprit sent le drame se profiler et nous donne l’impression de s’éveiller au fil du récit. Le héros est son frère, le pauvre Frédéri qui ne rêve que d’épouser sa belle Arlésienne jusqu’à ce qu’il découvre que la demoiselle a un amant. Passant du rire aux larmes, ce triste sire va se laisser mourir de douleur au plus grand regret de sa mère Rose et de la brave Vivette qui soupire après lui depuis son enfance.
Vous l’avez compris, l’Arlésienne est une tragédie méridionale où les sanglots se mêlent au chant des cigales et où le mistral souffle sans pitié sur le cœur des honnêtes gens.
Daudet, un auteur tragique à redécouvrir
Au fil de cinq tableaux, Daniel Mesguich incarne avec brio cette funeste farandole où l’émotion augmente crescendo. Debout derrière son micro durant une heure et demie, le comédien virtuose fait se succéder les scènes et les feuillets annotés qu’il égrène du bout des doigts. Enveloppé dans son long manteau, il est tour à tour allègre, poignant, passionné ou terriblement sombre.
Afin de compléter la magie de sa voix qui se démultiplie par-delà la scène, sa narration s’accompagne de projections aquarellées où sont esquissés les lieux du récit : entre une bâtisse du Castelet et de petits fourrés parsemés de fleurs rouges, on se sent dans le Sud, on entend bêler les troupeaux et jaillir les sources fraiches, on imagine la beauté sauvage et ravageuse de l’Arlésienne, on assiste aux tristes noces de Vivette et Frédéri, et puis le drame arrive, et on voit le jeune homme se jeter du haut d’une tour…
Quand l’histoire se termine, on soupèse émerveillés le pouvoir des mots, on rend grâce à Daniel Mesguich de nous avoir ainsi promené au fil d’images et de résonances si particulières, et l’on se dit qu’Alphonse Daudet est décidément un auteur bien négligé : par-delà sa “petite chèvre” et son côté populaire, cet auteur possède une profondeur tragique et une puissance évocatrice à redécouvrir.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
L’Arlésienne
Mise en scène et interprétation : Daniel Mesguich
Les Enfants du Paradis
34 rue Richer
75009 Paris
Réservations : 0142460363
Du 14 avril au 26 mai 2024
Tous les dimanches à 15h30
INTERVIEW EXCLUSIVE
Florence Gopikian Yérémian : Pourquoi avez-vous choisi ce texte de Daudet ?
Daniel Mesguich : C’est une longue histoire. Il y a quelques années, j’ai reçu un coup de fil du grand chef d’orchestre Jean-Claude Malgoire m’annonçant qu’il allait diriger l’Arlésienne de Bizet. Il souhaitait que je sois récitant et me donna le texte. Après l’avoir feuilleté, je lui dis « Mais ce n’est pas un texte, c’est une pièce de théâtre ! ». Sur quoi, Jean-Claude me répondit « Oui, tu te démerdes », et puis il est parti. Je me suis donc approprié la pièce de Daudet en lui imposant évidemment beaucoup de coupures mais j’ai fait le récitant avec son orchestre et le spectacle a eu beaucoup de succès, notamment à Toulouse et au Théâtre des Champs-Élysées.
En 2022, vous avez donc repris la pièce en solo ?
Il y a deux ans, je me suis effectivement souvenu de ce spectacle et j’ai songé qu’il serait formidable d’interpréter cette oeuvre de Daudet seul dans sa totalité. Mes premières représentations ont eu lieu durant le off d’Avignon 2022, et cet hiver j’ai décidé de reprendre ce récital au Théâtre des Enfants du Paradis.
Est-ce un challenge de vouloir vous approprier tous les rôles de la pièce ?
Non, c’est un amusement, un bonheur même car ce texte me permet de changer de voix sans cesse et de varier les accents qui sont tous différents selon les personnages.
Avec l’Arlésienne, les spectateurs sont surpris de découvrir la puissance évocatrice de l’écriture de Daudet. A titre d’exemple, le passage où Rose, la mère du héros, décrit sa perception de l’amour maternel, est un moment très poignant.
Alphonse Daudet n’est pas le plus grand écrivain du monde, ce n’est pas Shakespeare, ce n’est pas Racine, mais il vaut bien mieux que ce que l’on croit. C’est une erreur d’aborder Daudet uniquement à travers sa chèvre de Monsieur Seguin et d’en faire le romancier des collégiens, au même titre que La Fontaine d’ailleurs. L’Arlésienne est une pièce digne des grandes tragédies grecques. C’est une tragédie grecque en Provence !
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À tous les étudiants amoureux de l’art théâtral, n’hésitez pas à allez voir L’Arlésienne : vous capterez ce qu’est le métier de comédien et ne manquerez pas de vous inscrire aux cours d’interprétation de Daniel Mesguich. Son école de théâtre est ouverte aux talents depuis bientôt six ans !
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Cours Mesguich
Ecole d’art dramatique
4, rue Marie Stuart – Paris 2e
Informations : 0652585440
coursmesguich@gmail.com