Autopsie d’une passion amoureuse
C’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe follement amoureuse d’un écrivain mondain. Au fil des jours, des mois et des années, elle le guette, l’observe, le désire, puis elle finit par s’offrir, corps et âme, à cet inconnu. Malgré l’étreinte de quelques nuits, malgré la naissance d’un enfant, l’homme poursuit sereinement son chemin, sans même se rendre compte que la demoiselle est enceinte ou qu’elle existe encore. Afin de sortir de l’ombre et d’être « reconnue » par cet amant frivole qu’elle idolâtre, la belle va alors se lancer dans une ultime déclaration, quitte à disparaitre définitivement…
Tristesse d’un amour unilatéral
La pièce s’ouvre sur un cri dans l’obscurité. Assise à côté d’un berceau, une jeune femme veille douloureusement son fils mort. Le visage creux et la gorge sèche, elle personnifie à elle seule la souffrance indicible d’une mère qui vient de perdre son enfant. Prise entre le désespoir et la folie, elle laisse son esprit vagabonder dans le passé et commence à nous raconter l’histoire de son seul et unique amour.
Son récit est aussi beau que tragique car la demoiselle a dévoué toute son existence à un homme, un écrivain, qui l’a, hélas, à peine aperçue : de son adolescence pudique à sa vie de femme galante, elle nous décrit l’effervescence de ses émois, la candeur de ses attentes et la tristesse de sa réalité.
Zweig et l’autopsie des passions
Dans ce très beau texte publié en 1922, l’écriture de Stefan Zweig est aussi fiévreuse qu’analytique. Observateur des sentiments humains, il brode son récit comme une autopsie cruelle des passions et de la dépendance amoureuse. Sa protagoniste – qui ne porte pas de nom – aime un homme de façon si inconditionnelle qu’elle va entièrement se consumer. À mi-chemin entre la dévotion et la haine, le discours qu’elle mène est non seulement un constat sur sa névrose amoureuse mais aussi un cri d’angoisse face à un amant qui n’a jamais pu deviner la profondeur de ses émotions.
Betty Pelissou, une comédienne éclatante de sensibilité
C’est avec une grande justesse et beaucoup de générosité que Betty Pelissou donne vie à l’inconnue de Zweig. Seule sur une scène jonchée de lettres et de chandelles vacillantes, la comédienne nous entraine dans le labyrinthe cérébral de sa protagoniste. Changeant d’humeur, de rythme et de visage, elle passe de la jeune fille espiègle à la mère dévastée en nous offrant une vaste palette de sentiments : tour à tour candide, heureuse, jalouse, résignée ou aigrie, elle entraine crescendo son public dans le cheminement de son personnage vers la démence. Criant ou chuchotant, elle fait apparaitre au final une femme dévastée dont l’obsession et le fanatisme amoureux nous attristent autant qu’ils nous effraient.
Interview exclusive de Betty Pelissou
Florence Gopikian Yérémian : Pourquoi avez-vous choisi d’interpréter cette œuvre de Stefan Zweig ?
Betty Pelissou : Je l’ai découverte par hasard et une fois adaptée, j’ai demandé à William Mesguich s’il voulait bien la mettre en scène persuadée qu’il allait dire non parce qu’on se connaissait très peu à l’époque. Il a dit oui ! C’est assez amusant car au fil de nos parcours, on s’est très souvent retrouvés à jouer les mêmes textes dans des productions différentes. Il y a très longtemps, quand je ne le connaissais pas du tout, je lui avais envoyé un petit message en lui disant « Il faut arrêter William : vous n’arriverez pas à me faire de l’ombre ». Suite à cela, on s’est rencontrés et je pense qu’aujourd’hui avec cette pièce commune, nous sommes devenus très complices.
Comment avez-vous travaillé le rôle de cette femme détruite par sa passion ? Sa soumission amoureuse à l’égard d’un homme qui ne la reconnait même pas est effarante pour notre époque !
Effectivement. La première question que l’on s’est posée avec William Mesguich était de savoir comment on pouvait rendre cette femme intelligible et intéressante en 2024. Je pense qu’aujourd’hui on est plus difficilement touché par un amour à sens unique qu’au début du siècle dernier. Ce genre de femme qui se soumet entièrement à un être qui ne la remarque pas est assez rare de nos jours. Donc, pour la rendre plausible et attachante, j’ai insisté sur sa folie en montrant qu’elle était très solitaire dès son plus jeune âge. Cette aspect, proche de la démence, a rendu le texte de Zweig beaucoup plus concevable.
La démence de votre personnage ne se détecte pas en début de pièce, elle monte crescendo et s’impose avec évidence. Vous êtes-vous inspirée d’œuvres ou de certains personnages littéraires pour atteindre cette interprétation de la folie ?
Pas spécialement, par contre beaucoup de spectateurs sont venu me dire que je leur fais penser à Kathy Bates dans Misery ! C’est difficile d’avoir un plus beau compliment pour une comédienne et ça me touche énormément.
La pièce de Zweig part à Avignon cet été ?
Oui. Pour la troisième fois. Je serai à l’Espace Roseau Teinturiers tous les jours à 10h sauf le mardi.
Vous allez également jouer dans un autre spectacle ?
Dans Richard III au Théâtre des Gémeaux d’Avignon. C’est une autre mise en scène de William Mesguich et l’on joue tous les jours à 21h.
Avez-vous une autre actualité parisienne en attendant l’été ?
Je mets en scène Antigone de Sophocle avec la Compagnie Poqueline. C’est à la Folie Théâtre jusqu’au 21 avril et les comédiens sont juste incroyables !
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
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