Liberté Cathédrale : une chorégraphie entre profane et sacré
Le Théâtre de la Ville accueille la première création de Boris Charmatz. Ancien élève de l’Opéra de Paris, ce chorégraphe iconoclaste a pris la tête du Tanztheater de Wuppertal depuis 2022. Avec Liberté Cathédrale, il perpétue l’héritage de Pina Bausch et transforme le Châtelet en un temple contemporain où se mêlent étrangement profane et sacré. Son spectacle est fait de violence, de chaos et il peut parfois sembler opaque, notamment dans sa partie consacrée aux viols au sein de l’église. Certains spectateurs ne sont pas réceptifs à cette approche de la danse, d’autres sont outrés par les intentions de Boris Charmatz ou peuvent y voir une imposture. Quel que soit le ressenti de chacun, une chose émane néanmoins de cette partition où la terre et le ciel se confrontent : la transcendance. On ne ressort pas indemne d’un tel déferlement !
Liberté Cathédrale : une partition énigmatique en cinq mouvements
Conçu initialement pour l’église brutaliste de Neviges Mariendom, le spectacle Liberté Cathédrale a été remodelé pour le Théâtre du Châtelet. Afin que les 30 danseurs puissent s’approprier librement la scène, les sièges de l’orchestre ont été remplacés par des gradins permettant aux spectateurs d’encercler les protagonistes de cette cérémonie quasi-religieuse.
I – Chant de chœur
Plongés dans un silence aux couleurs sépia, le public attend. Des voix s’élèvent et les danseurs du Tanztheater Wuppertal entrent sur le plateau en courant. Se précipitant les uns sur les autres, ils se percutent, s’éparpillent, s’enlacent allègrement et véhiculent l’effervescence d’un jour de liesse. Chantant a capella une sonate de Beethoven, ils sont à l’unisson et font résonner dans tout l’espace du théâtre un LA collectif dont la ferveur nous fait songer à un mantra ou à une psalmodie. Pieux et solidaires, ils étirent ce son au maximum de leur puissance, l’inspirent, l’expirent et le transmettent religieusement au public.
II – Volée de cloches
Alors que la salle vibre encore de ce souffle musical, des cloches se mettent à sonner. Tandis qu’elles montent en puissance, les danseurs entrent en transe et improvisent toutes sortes de gestes saccadés et répétitifs. Semblables à des pantins désarticulés, ils calquent leurs mouvements sur la rythmique du tocsin. Tel un carillon infernal, ce dernier s’approprie nos tympans, nous transperce, fait vibrer les murs et ployer les gradins avant de s’éteindre, soudainement.
III – Le silence
Puis le silence envahit les lieux. Est-ce une parenthèse dédiée à la prière ou la méditation ? Nullement. Tels des déments, les danseurs entament une chorégraphie mutique et troublante où ils gardent tous la bouche béante. Entre contorsion et reptation, ils nous font songer à une représentation du Jugement dernier ou à la Nef des fous de Hieronymus Bosch qui symbolise si bien les faiblesses humaines. Lorsque l’on sait que Boris Charmatz a conçu cet acte en demandant à sa troupe d’exprimer corporellement la douleur ressentie par les victimes de prêtres pédophiles, on se demande s’il a précisément gardé en mémoire un vers écrit par Sébastien Brant au XVe siècle « Mieux vaut rester laïc que de mal se conduire en entrant dans les ordres » …
IV – Fuck the pain
Cette critique des dérives ecclésiastiques se poursuit au sein du public où les danseurs vont un par un se glisser. Au son de la chanson de Peaches « Fuck the Pain away» on les voit de nouveau se tordre et grimacer douloureusement. Semblables à des êtres torturés, ils se mettent alors à converser avec les spectateurs, les frôlent, leur tiennent tête, puis retournent au milieu de la scène pour entonner un poème de John Donne « Pour qui sonne le glas »
V – Place aux grandes orgues
Pour le dernier acte, Boris Charmatz a demandé à l’organiste Jean Baptiste Monnot d’interpréter un déluge d’orgue. Jouées à tue-tête, ces mélodies aussi envoutantes qu’accablantes projettent les danseurs au sol. Le mouvement lent et le corps lourd, ils tentent de résister mais finissent un par un par s’affaler sur le plateau comme des cadavres. C’est avec ce charnier assez lugubre que s’achève le cycle infernal de Liberté Cathédrale. Amen.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
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Liberté Cathédrale de Boris Charmatz
Théâtre du Châtelet (avec le Théâtre de la Ville)
Du 7 au 18 avril
Organiste : Jean-Baptiste Monnot. Assistante chorégraphique : Magali Caillet Gajan. Lumières : Yves Godin. Costumes : Florence Samain. Travail vocal : Dalila Khatir.
Avec l’Ensemble du Tanztheater Wuppertal et des invités.
Au programme également :
Sweet Mambo
23 avril – 7 mai
Théâtre Sarah Bernhardt
Aatt enen tionon
27 et 28 avril
hall du Théâtre Sarah Bernhardt
Extraits, répétitions, atelier et pique-nique dans l’espace public
Le 28 avril
Place du Châtelet et jardin Tour Saint-Jacques
Photos : © César Vayssie