Dialogue avec un maquisard et son petit fils
Dans sa nouvelle pièce, Maquisard, le comédien Jean-Philippe Beche met en scène un dialogue poignant entre son père écrivain et son grand-père résistant. Semblable à une confession, ce texte à deux voix fait sortir de l’ombre bien des silences et transpose sur la scène un devoir de mémoire. Car il faut jouer pour ne pas oublier et surtout ne pas répéter les horreurs de la guerre …
La pièce s’ouvre dans les années 40 avec le chant des partisans. « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Seul sur scène, Jean-Philippe Beche fait apparaitre son père Pierre et son grand-père Jacques. L’un est un brave instituteur, allègre et respectueux. L’autre est un ancien résistant pétri d’amertume qui a traversé l’occupation de SA France par les Allemands.
Avec courtoisie Pierre demande à Jacques de lui raconter ses souvenirs afin d’écrire un livre, mais la confidence semble douloureuse… Trop de souffrances, trop de noirceur à faire remonter de ce lointain passé. Trop de non-dits aussi et de secrets enfouis dans les recoins de la mémoire.
La langue pourtant se délie et l’ancien maquisard commence à parler. Par bribe d’abord, par silences ensuite, puis le flot jaillit. Entre les lettres codées et les sabotages, Jacques évoque la cruauté des nazis, la bassesse des collabos et l’exécution des traitres au sein des petits villages.
Vivant dans des arbres ou dans des tunnels, il explique comment il a rejoint les FFI et se remémore avec fierté le slogan des résistants « Vivre libre ou mourir ».
À l’exemple de Pierre qui prend note, les spectateurs écoutent et analysent cette triste histoire qui les ramène au cœur du maquis dans la France de Vichy.
Képi sur la tête et fusil sur l’épaule, Jean-Philippe Beche épouse les deux rôles avec autant de verve que d’implication. Alternant entre la curiosité de Pierre et les doutes de Jacques, il nous livre une confrontation faite d’amour et de rudesse. Le texte est cathartique car il raconte non seulement le combat quotidien des maquisards mais il décrit également leurs doutes et leurs peurs. Face à tant de cruauté humaine, on désespère et s’interroge : comment oublier l’occupation ? Comment soigner sa haine ? Parfois, même le temps ne suffit pas…
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Maquisard
Une pièce écrite et interprétée par Jean-Philippe Beche
8-9-10 mai au Bunker de La Rochelle
6 juin à l’Alhambra de Vittel
15 juin aux Théâtrales de Chessy les Mines
20 juin au Théâtre de Touques
22 juillet à Couleuvre
23 et 24 août à Veauce (03)
25 août à Laféline (03)
5 septembre à Chalon sur Saône (71)
7 septembre à Riousse-Livry (03)
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INTERVIEW EXCLUSIVE DE JEAN-PHILIPPE BECHE
Florence Gopikian – Yérémian : Comment est-née l’idée d’écrire cette pièce qui met en scène un dialogue entre votre père Pierre Debresse et votre grand-père maquisard, Jacques Lièvre ?
Jean-Philippe Beche : Je l’ai écrite pendant le confinement. Je me suis longtemps occupé de mon père et lorsqu’il est décédé, j’ai voulu lui rendre hommage. Cet homme était la seule mémoire vivante qui me restait. Il était instituteur dans un petit village du Beaujolais et était passionné d’histoire. De son vivant, il a publié une douzaine de romans chez Magnard et je voulais mettre en avant ses talents d’auteur. Au fil de ma rédaction, j’ai retrouvé des photos de famille, des archives et des échanges de lettres entre ma grand-mère et son époux maquisard qui évoquaient entre autres des passages de la Gestapo au sein de leur maison. La figure de mon grand-père s’est alors imposée et j’ai donné la parole à mon père pour en parler. Je pense qu’il voulait écrire sur cette période de la Résistance car à l’époque, ma grand-mère lui racontait ses souvenirs et il prenait des notes. Je ne les ai hélas pas retrouvées. Peut-être un jour ressortiront-elles ?
Votre « legs » sur le maquis s’est donc fait via votre grand-mère ?
Oui. Mon grand-père ne parlait jamais de cette période. Si par hasard, il lâchait une phrase sur le maquis ou la guerre, il regrettait d’avoir parlé et se refermait. En tombant sur les archives de ma famille, j’ai tout remis en perspective. J’ai découvert plein de choses que je n’avais pu capter quand j’étais gamin, notamment quand mon grand-père me disait « Tu sais, on a voulu le faire sauter plusieurs fois le pont du Veurdre et on a finalement réussi ! ». Du haut de mes 10 ans, je ne réalisais pas que cet ancien résistant me racontait une tragédie, j’avais l’impression d’entendre un récit d’aventure. J’aurais vraiment aimé échanger davantage avec lui …
Comment était ce grand-père Lièvre ?
Il était super ! Avec mon frère, on allait tous les étés en vacances chez lui, dans l’Allier. Durant les années 60-70, il nous a fait connaître le Limousin, là où se passe précisément le récit de ma pièce Maquisard. C’était un grand pécheur, très proche de la nature. Il adorait aussi ramasser des champignons. J’ai compris plus tard à quel point il appréciait cette seconde vie qui lui avait été offerte. Il savait qu’il avait été chanceux : tous les frères de ma grand-mère étaient morts durant la guerre de 14-18 et lui, non seulement il avait survécu à la guerre, mais en plus il avait été épargné en tant que maquisard ! Je vous garantis que c’était un vrai bonheur pour cet homme de pouvoir promener ses petits enfants dans les rues du village. Quand on lui demandait comment il allait, il répondait toujours « Ça va très bien ! »
C’est une pièce de transmission ?
Oui. C’est un devoir de mémoire sur la folie de la guerre afin de ne pas oublier et d’empêcher que le mal revienne.
Pensez-vous qu’avec le temps votre grand-père a pu soigner sa rancœur, pour ne pas dire sa haine envers l’ennemi ?
Je suis partagé car il a toujours dit « les Boches » lorsqu’il nommait les Allemands. On sentait qu’il conservait une blessure et un rejet intérieur mais en même temps il s’est peu à peu apaisé grâce à ma grand-mère qui l’a soigné, qui aimait rire et qui était aussi une combattante. Jacques Lièvre était très fier de sa femme car quand il faisait le maquis, c’est elle qui gardait la maison et faisait face à la Gestapo qui recherchait son époux. C’était une femme très forte. Consciente du danger, elle avait caché ma mère à Cavaillon chez des amis pour la protéger des nazis ! Elle disait « Ils me chopent moi, mais pas la môme ! ».
Combien de temps a duré le maquis pour votre grand-père ?
De 1941 jusqu’à la libération. Il est rentré blessé de la guerre, puis il est devenu postier en zone occupée et là, il s’est engagé chez les FFI.
Sur l’affiche du spectacle vous arborez justement le sigle des FFI. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces Forces Françaises de l’Intérieur ?
Jacques Lièvre faisait partie du Réseau Vengeance. C’était un réseau bien particulier. J’ai eu pas mal de documents sur ce groupe car j’ai écrit à la commune de Moulins et ils m’ont envoyé la fiche de mon grand-père ainsi que le résumé de ses actions durant la guerre. Il faut prendre conscience qu’au début de la Résistance tous les réseaux étaient complètement désorganisés. Quand Jean Moulin a rencontré De Gaule à Londres, il lui a demandé de souder tous les résistants, ce qu’il a fait avant d’être dénoncé et torturé par la Gestapo.
Avez-vous rencontré d’autres descendants de maquisards pour écrire la pièce ?
Non, par contre lors de ma tournée en Normandie, une dame est venue me voir très émue en me disant que sa sœur était de l’Allier et qu’elle connaissait très bien tous les villages que je citais dans ma pièce dont celui de Livry. Quelques jours plus tard, cette sœur m’a recontacté pour m’annoncer qu’elle avait connu ma mère, qu’elle était en train de me faire une liste des résistants qui avaient connu mon grand-père et qu’elle était allée voir le maire et les élus du village pour que la pièce puisse y être programmée ! C’est juste incroyable : cette petite commune souhaite que je joue le 7 septembre 2024 sous le pont que les Maquisards ont fait sauter le 7 septembre 1944 ! Précisément entre Livry et le Veurdre, au niveau du pont qui faisait la liaison entre la zone occupée et la zone libre. J’ai hâte que ça se concrétise !
En attendant, vous allez jouer dans un bunker ???
Oui ! Après le théâtre de la Huchette, ma tournée se poursuit dans le bunker de la Rochelle ! Ce lieu est devenu un musée et je vais y interpréter Maquisard pour les 80 ans du débarquement, les 8-9 et 10 mai. Ce sera un grand moment. Ensuite, le 6 juin, je serai à Vittel : ma pièce partagera l’affiche avec Laurent De Gaulle qui sera présent pour signer son ouvrage sur le Débarquement.
Votre pièce se termine sur “la valse du P’tit Bal perdu” chantée par Bourvil, pourquoi cette chanson ?
C’est une chanson qui me bouleverse car elle parle avec légèreté de choses tragiques. Mon grand-père avait une adoration pour Bourvil. Il nous faisait écouter ses chansons et le seul film de guerre qu’il pouvait encore regarder était La Grande Vadrouille. Il ne supportait rien d’autre sur cette période. Dès qu’un film de guerre passait à la télévision, ma grand-mère venait immédiatement changer de chaine ou elle éteignait.
Maquisard est votre troisième mise en scène. Quelles sont les précédentes ?
Il y a quelques années, j’ai créé un spectacle avec une chanteuse lyrique qui s’appelait Diva sur Divan. Il a été joué plusieurs fois à Avignon Off. J’ai ensuite mis en scène Le Roi Arthur que la Compagnie du Rameau a interprété au Théâtre de l’Épée de Bois en 2018. Je souhaite préciser que j’ai fait Maquisard avec la collaboration de Laurence Lustyk et Catherine Azzola. Comme c’est un seul en scène, j’avais besoin de regards extérieurs et je voulais que ce soit elles, car je savais que ces femmes, aussi bienfaisantes soient-elles, ne me passeraient rien !
Quels sont vos projets ?
J’aimerais adapter Maquisard au cinéma. En attendant, je travaille sur l’adaptation théâtrale d’un roman que j’ai publié aux Éditions l’Harmattan: Je serai un géant . C’est une oeuvre à trois personnages qui parle de la période new-yorkaise de James Dean, juste avant son ascension. Je veux la réaliser en pendant de la pièce que j’avais créée à Avignon en 2016 sur Marilyn Monroe. Pour moi, ce serait formidable de mettre en parallèle ces deux icônes du cinéma en proposant en double affiche leurs parcours tragiques au sein d’un même lieu.
Photos : © Cédric Vasnier