The Missing : un film d’animation qui dénonce l’inceste à travers une incroyable créativité métaphorique
L’une des pépites du Festival du Film Fantastique de Strasbourg est certainement The Missing. Réalisé par Carl Joseph Papa, ce film d’animation met en scène l’étrange quotidien d’Éric, un jeune philippin luttant contre les démons de son passé. À mi-chemin entre la science-fiction et la triste réalité des victimes d’inceste, il nous fait prendre conscience de la portée d’un tel trauma et nous plonge avec virtuosité dans leur reconstruction.
Les fantômes du passé
Éric est un jeune dessinateur qui crée des films d’animation au sein d’une petite entreprise philippine. Dévoué et travailleur, il a la particularité de ne pas avoir de bouche et ne s’exprime qu’avec un stylo et une tablette. Pris dans un quotidien mutique et sans surprise, il se retrouve un soir face au corps de son oncle gisant sur le sol de son appartement.
Prostré devant ce cadavre couvert de mouches, ses souvenirs refont soudainement surface et entrainent le jeune homme dans des hallucinations à répétition peuplées d’Aliens et de vaisseaux spatiaux.
Épaulé par sa mère et son ami Carlo, Éric va tenter de comprendre et d’apprivoiser ses peurs pour enfin pouvoir mettre des mots sur les fantômes de son enfance et atteindre une résilience.
Du bon usage de la rotoscopie
Réalisé en rotoscopie avec un tout petit budget, The Missing aurait pu déplaire aux amateurs de cartoons lissés et synthétisés de l’ère numérique. Il n’en est rien : ces derniers ont tous été séduits par cette œuvre singulière car, de façon étrange, la technique rotoscopique – qui consiste à redessiner sur un corps en mouvement – sert parfaitement l’œuvre de Carl Joseph Papa.
À la fois réaliste et saccadée, elle confère au récit un aspect artisanal qui résonne avec la ruralité du cadre philippin et répond à l’esprit en reconstruction du protagoniste. Cette approche un peu « ébauchée » du film est d’ailleurs accentuée durant les multiples flashbacks d’Éric où son passé réapparait à travers de candides dessins d’enfants en 2D.
Une immense sensibilité narrative
Le point fort de cette œuvre animée réside cependant dans son extrême sensibilité. Malgré la terrible thématique de l’inceste, tout y est exprimé avec délicatesse à travers d’incroyables métaphores qui explorent le schéma mental post-traumatique du héros. Au premier regard, le spectateur est pris dans un univers surréaliste où des monstres viennent perturber le personnage puis, peu à peu, il prend conscience de chacun des symboles du récit et de la dure réalité qui oppresse Éric depuis ses neuf ans.
De façon alternative, on passe ainsi de l’univers d’un jeune adulte muet à celui d’un petit enfant menacé par un extra-terrestre. Le dessin change, les couleurs s’assombrissent et la réalité happe progressivement le public dans ses tentacules. C’est intense, intelligent et la narration du trauma est très habilement construite. Il faut dire que cette histoire est autobiographique et que le réalisateur s’est inspiré de son propre parcours pour dénoncer avec autant d’empathie les abus sexuels envers les enfants.
L’animation engagée au service du réel
Malgré sa lourde thématique, l’œuvre de Carl Joseph Papa ne comporte pas que des zones d’ombre. Son imagination est d’ailleurs si débordante qu’elle nous séduit et nous intrigue avant tout. La bouche inexistante de son protagoniste place le spectateur dans un questionnement dès la première image et instaure inconsciemment un étrange climat de non-dits. Il en va de même pour certaines des parties du corps d’Éric qui vont être amenées à disparaitre, elles aussi, au fil du récit.
Le silence même du jeune homme est un élément primordial du film : son absence permanente de paroles accentue sa détresse et elle nous fait entrer avec évidence dans la complexité psychologique de son monde intérieur. On doute, on le sent vulnérable, on essaye d’analyser ses cauchemars et on capte peu à peu sa douleur mutique au fond de ses yeux si expressifs.
L’amour est aussi présent dans The Missing à travers la figure un peu naïve de la mère Rosalinda, mais surtout par le biais de l’idylle naissante entre Éric et Carlo. Là aussi, en évoquant l’homosexualité, le réalisateur porte à l’écran un thème encore très peu exploité sur les écrans philippins. Carl Joseph Papa prouve ainsi le potentiel narratif que peuvent avoir les films d’animation comparativement au cinéma réel et signe avec brio une double pépite !
Espérons que cette oeuvre pourra avoir un impact même minime sur le nombre des victimes d’abus sexuels qui s’élèveraient aujourd’hui à plus de 7 millions d’enfants uniquement dans le cadre des Philippines.