Mémoires d’un escargot a reçu la Cigogne d’Or du meilleur film d’animation du FEFFS
Quinze ans après Mary et Max, le réalisateur Adam Elliot est de retour sur les écrans avec une création entièrement réalisée en pâte à modeler et en stop-motion. À la fois drôles et mélancoliques, ses Mémoires d’un escargot racontent les parcours chaotiques de jumeaux pris dans les tourments de l’existence. Une œuvre brodée d’humour noir où l’émotion se déploie en spirale avec délicatesse.
Grace et ses escargots…
Grace Pudel est une drôle de petite fille qui n’a pour amis qu’une famille d’escargots. Lorsque son histoire démarre, elle semble désillusionnée et nous raconte tristement la séparation qu’elle a dû subir avec son jumeau à la mort de leur père paraplégique. Aussi anxieuse que solitaire, Grace passe son temps à collectionner des bibelots en forme de limaçons et s’enferme au fil des jours dans ses livres et son syndrome de Diogène.
Harcelée par ses camarades, elle s’enfonce dans un sombre désespoir et se cloitre jusqu’à ce que son chemin croise celui d’une octogénaire répondant au prénom acidulé de Pinkie. Pétulante et excentrique, cette vieille dame va envoyer valser le triste fatum de Grace et lui apprendre à sortir pas à pas de sa coquille…
Les destinées tragiques d’Adam Elliot
Qu’il s’agisse de Mary et Max ou des Mémoires d’un escargot, il est impressionnant de constater à quel point Adam Elliot possède un attrait particulier pour les destins tragiques, les marginaux et les êtres décalés. Avec cette nouvelle création, le réalisateur explore le schéma mental d’une enfant prisonnière d’une symbolique coquille qu’elle s’est elle-même imposée. Coiffée en permanence de cornes d’escargot, Grace est une héroïne qui ne cesse d’en baver, au sens littéral du terme. Orpheline et séparée de Gilbert, son frère adoré, elle s’est volontairement murée dans une conche de gastéropode pour ne plus avoir à souffrir des séparations et des moqueries. Seulement voilà, Grace est en manque d’amour et seule une famille ou de vrais amis pourraient enfin lui faire oublier son existence si cabossée.
Humour noir
L’univers d’Adam Elliot est très particulier et peut faire penser aux Noces Funèbres de Tim Burton pour sa réalisation en stop-motion, ses figures morbides et son excès d’humour noir. La différence réside dans la sensibilité du réalisateur australien qui fait preuve d’une compassion et d’une empathie infinie à l’égard de ses personnages. Certes l’atmosphère de cet animé est glauque et même cruelle cependant, à chaque malheur, Adam Elliot tend la main à ses protagonistes pour les faire rebondir et les mener, graduellement, vers la lumière.
Dear Pinkie
L’élément salvateur de cette tragédie animée est sans conteste le personnage de Pinkie. Face à la petite Grace et sa tête d’opossum déprimé, la vieille Pinkie est la joie de vivre incarnée. Naturiste et totalement désinhibée, cette octogénaire sans filtre apporte beaucoup de fraicheur et de générosité à la narration du film. Les moments où Pinkie raconte sa jeunesse en enchainant les cigares cubains sont d’ailleurs savoureux : entre une partie de ping-pong avec Fidel Castro et ses recettes de biscuits à la marijuana, le ton est donné et il est impossible de ne pas être charmé par un être aussi rock’n’roll.
Un véritable cabinet des curiosités
Mémoires d’un escargot est une œuvre impressionnante du point de vue technique : qu’il s’agisse de la confection des décors, des personnages en argile ou du sens du détail qui a nécessité des années de travail, tout est époustouflant.
Entre une gamine coiffée d’un chapeau d’escargot, des breloques empilées au fil des pièces et des limaçons qui rampent de partout, on a parfois l’impression d’évoluer dans un véritable cabinet des curiosités !
Par-delà cette créativité débordante, ce qui nous touche le plus est l’intelligence avec laquelle Adam Elliot aborde des sujets graves : sous un aspect à la fois mordant et candide, son film évoque la maladie, la mort et le deuil. Il parle aussi des ravages de la solitude et de la prostration. Balayant lucidement la société qui l’entoure, son regard analyse également l’hypocrisie des religions, les vices humains et il dérive parfois avec beaucoup de cocasserie sur certaines addictions sexuelles.
Sarah Snook en narratrice
Le fil narratif du film est quant à lui parfait : porté par la voix humble et nuancée de Sarah Snook (l’actrice qui lien le rôle de Siobhan Roy dans la série Succession), il démarre dans une froide tristesse, puis la désillusion de la petite Grace fait place à l’espoir, la résilience et la joie.
Derrière ses airs bourrus et sombres, ce film invite chacun des spectateurs à ne pas s’enfermer dans sa coquille et souligne le fait que “Les pires cages sont celles que l’on se construit soi-même.”
À l’exemple des escargots qui ne peuvent reculer, la morale de cette œuvre poignante est qu’il faut toujours faire marche avant, quels que soient les peurs et les traumas qui échelonnent nos existences !
🙂 Après avoir remporté le premier prix du Festival d’Annecy, Mémoires d’un Escargot vient de rafler la Cigogne d’Or du Festival du Film Fantastique de Strasbourg 2024. Bien mérité.
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Mémoires d’un escargot
(Memoir of a snail)
Un film d’animation signé Adam Elliot
Avec les voix de Sarah Snook, Nick Cave, Dominique Pinon, Eric Bana, Jacki Weaver, Kodi Smit-McPhee, Magda Szubanski et Adam Eliot
Musique : Elena Kats-Chernin & The Australian Chamber Orchestra
Sortie en salle : le 15 janvier 2025
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