La Passion selon Béatrice sort cette semaine au cinéma : retour sur un échange informel en compagnie de Béatrice Dalle et de Fabrice du Welz capturés en septembre dernier durant le Festival du Film Fantastique de Strasbourg.
Comment définiriez-vous votre nouveau film ?
Fabrice du Welz : C’est un documentaire destinée à Béatrice que j’aime profondément. On a eu plusieurs rendez-vous manqués au cinéma et chaque fois que je la voyais, je lui disais « Il faut faire un film sur ta vie ». Elle avait un projet qui n’a pas abouti, alors je me suis lancé. Je ne voulais pas créer quelque chose de littéral sur elle. Je voulais l’emmener dans une quête spirituelle ou poétique, et l’idée de Pasolini a germé. Comme nous sommes tous les deux de grands passionnés de ce maître italien, cette intersection nous a rassemblés.
Quel a été pour chacun de vous le point de rencontre avec Pasolini ?
Béatrice Dalle : La première œuvre que j’ai vue au cinéma était Salò. Je l’ai découvert avec mon premier mari dans une petite salle de Saint Michel. Avec ce film, tu prends une vraie claque et à chaque image tu te dis qu’on ne peut pas aller plus loin. Ce n’est que plus tard que j’ai vraiment capté la poésie de cet artiste.
Quand on est parti tourner en Italie avec Fabrice, j’avais dans l’idée que Pasolini était un saint. J’ai compris ensuite que ce n’était qu’un humain et, même si j’ai constaté des choses qui me plaisaient moins chez lui, j’en suis restée amoureuse. Durant le tournage, j’ai carrément creusé sa tombe pour y planquer des trucs !
Fabrice du Welz : Personnellement, je n’aime pas beaucoup Salò. Je préfère Accattone, le Décaméron et la période lumineuse de Pasolini où se dessine son Évangile selon Saint Matthieu. J’associe cette œuvre à la vitalité, à la pulsion de vie. J’ai beaucoup de mal à voir Salò à cause de ma sensibilité. Pasolini devait être vraiment désespéré quand il l’a tourné. Il en a d’ailleurs payé de sa vie car on lui a volé le négatif et le film que l’on possède aujourd’hui se résume à de mauvais rushs et des secondes prises.
Combien de temps a duré le tournage de La Passion selon Béatrice ?
Fabrice du Welz : Une dizaine de jours. Quand on est arrivé en Italie avec le chef opérateur, on s’est assis sur nos valises sans vraiment savoir ce qu’on allait faire. On avait juste une colonne vertébrale posée entre le Nord et le Sud du pays ponctuée de quelques rencontres qui changeaient sans cesse. On ne savait pas comment on allait articuler ce trajet cinématographique avec Béatrice. La scène déterminante où j’ai su qu’on tenait le film est celle où Abel Ferrara discute avec elle. Cet échange a donné sens à tous les lieux visités, à la quête, au changement d’époque et au monde perdu.
Béatrice Dalle : Moi je vois ce film comme la quête d’un homme avec qui j’ai vécu, que j’ai vraiment aimé, mais que je ne retrouve pas. Ça me donne envie de pleurer rien qu’en y pensant ! Je crois que j’ai usé mon quota de larmes dans cette oeuvre ! Je vais faire des comédies à partir de maintenant !
La fiction réalisée par Ferrara en 2014 sur la fin de Pasolini peut-elle être perçue comme un complément à votre démarche cinématographique ?
Fabrice Du Welz : Ce n’est pas un complément car je reste assez loin de l’œuvre de Ferrara. Mon film est plutôt un portrait de Béatrice Dalle saisie dans son intimité avec tous les paradoxes qui la caractérisent. On a choisi Pasolini comme quête mais ça aurait pu être Jean Genet ou quelqu’un d’autre. Par contre, ce qui est sûr pour moi, c’est que Béatrice a tout d’une actrice Pasolinienne.
Si vous aviez pu jouer dans un film de Pasolini, lequel auriez-vous choisi ?
Béatrice Dalle : J’aime particulièrement Silvana Mangano dans Théorème. Je crois que c’est la plus belle créature terrestre que j’ai jamais vue. Souvent les homosexuels filment bien les femmes ! En regardant Pasolini, on sent justement qu’il les aimait vraiment. Il ne couchait peut-être pas avec elles mais on s’en fou, il s’entourait des plus belles.
Le film possède une esthétique impressionnante, était-ce un parti pris dès le départ ?
Fabrice du Welz : Pas du tout. Je n’avais nullement l’intention de faire de ce long métrage un objet esthétique. L’idée est venue avec le changement de support : quand les quatre caméras sont passées au noir et blanc, tout a basculé, puis c’est ensuite le trajet lui-même qui nous a inspiré.
Au début du film, un texte se dessine : « Je suis une force du passé, je viens des ruines, des églises… ». Qu’évoque-t-il ?
Béatrice Dalle : C’est un poème de Pasolini (Io sono una forza del passato). Je l’ai tatoué sur tout mon dos car j’aime passionnément la poésie. Le quotidien me déplait. Déjà dans ma vie, il m’insupporte mais à l’écran c’est pire : je n’arrive plus à tourner des films en me déguisant en petit cochon ou en princesse. À présent, je préfère me pencher vers des génies comme Fassbinder, Maïakovski ou Pasolini. Il n’y en a pas beaucoup des talents comme ça, alors il faut que je les exploite à mort !
Vous avez dit qu’à vos yeux, malgré les centaines de films que vous avez déjà tournés, celui-ci demeure le plus beau
Béatrice Dalle : C’est vrai, et je ne suis pas la seule à le penser : Abel Ferrara qui n’aime habituellement rien ni personne était présent à Venise lors de la première projection de La passion selon Béatrice. Il était assis à côté de moi. Il a regardé tout le long-métrage et à la fin, il a simplement conclu : « C’est le plus beau film qu’on ait jamais fait sur Pasolini ! ». Abel qui te dit ça, ça n’existe pas ! Et il continue de le dire à qui veut l’entendre !
Florence Gopikian Yérémian – florence.yeremian@symanews.fr
Propos recueillis au Cinéma Star Saint Ex de Strasbourg le 22 septembre 2024
La passion selon Béatrice
Un film de Fabrice du Welz
Avec Béatrice Dalle
En salle : le 20 novembre 2024
Lien vers la critique du film : La Passion selon Béatrice
Photos :©Florence Gopikian Yérémian