Tintoret : un génie éclectique
Après son exposition consacrée à Rubens, le musée du Luxembourg accueille les œuvres de jeunesses du Tintoret. A travers un intéressant parcours thématique, ce nouvel accrochage met en avant l’éclectisme et la fougue de ce modeste fils de teinturier qui s’imposa, grâce à son audace, comme l’un des grands génies de la Renaissance italienne.
L’envol de Tintoret
L’exposition s’ouvre sur les jeunes années de l’artiste. Aux alentours de 1545, pétri de talent et d’ambition, Tintoret se fraie déjà un chemin dans l’ombre de Titien, premier peintre de Venise. Ornant de riches demeures patriciennes ou des églises, il y exprime son imagination débordante sur de grands panneaux présentant essentiellement des allégories ou des scènes religieuses.
Cette première période témoigne d’une approche presque décorative avec des œuvres (trop) riches, truffées d’architectures antiques et de profondes perspectives. La touche de Tintoret y est ample, nerveuse, chaotique, ponctuée de contre-plongées et de figures en raccourcis qui se contorsionnent outrageusement.
Lorsque l’on regarde l’ensemble de ces compositions, l’on a l’impression d’entendre un grand fracas assourdissant tant il y a de mouvement et de personnages. L’on sent déjà l’audace du jeune peintre et son goût prononcé pour les mises en scène théâtrales; l’on ressent également son attrait pour les corps massifs et leur déploiement dans l’espace.
Une peinture « sculpturale »
À l’inverse des tableaux raffinés de Veronese, Tintoret à une approche en “ronde-bosse” de la peinture : qu’il s’agisse d’un ecclésiastique, d’un héros ou d’une noble dame, il confère à ses figures une plastique massive et musclée qui les rend presque palpables. Ce style robuste et brutal lui vient certainement de son caractère fougueux mais aussi de son observation permanente de la sculpture antique. Comme le montre l’exposition, Tintoret a effectué de nombreuses études de statues lui permettant de croquer les muscles et les anatomies de ses personnages : s’inspirant de bustes romains ou de figures en cire représentant des dieux ou des héros mythologiques, il a progressivement rendu ses compositions très expressives en jouant de surcroit sur l’intensité des lumières et de la dramaturgie.
L’art du portrait
Parallèlement à cette peinture ample et vigoureuse où les corps s’enchevêtrent, se mêlent et se multiplient, Tintoret est un artiste qui maîtrise aussi l’art du portrait. Captant le regard de ses modèles et ses commanditaires, il parvient à leur insuffler une très belle profondeur psychologique en usant cette fois d’une touche beaucoup plus précise. Il en va ainsi de son autoportrait, de celui d’Andrea Calmo ou du visage supposé de Lorenzo Soranzo.
Dans ces œuvres sobres et « silencieuses », nulle trace de torsions ou de tensions exacerbées. Tout y est contenu, intériorisé et pourtant si vivant ! Éclectique à souhait, Tintoret sait donc faire preuve de minutie et de précision quand cela s’avère nécessaire. L’on peut d’ailleurs admirer cette autre manière de peindre à travers de magnifiques panneaux décoratifs comme son étonnant Labyrinthe de l’amour inspiré d’oeuvres flamandes.
Prélude au maniérisme
Le parcours de cette exposition s’achève par une salle très sensuelle entièrement dédiée à la femme. Qu’elle soit muse ou servante, princesse ou prostituée, la femme selon Tintoret s’impose et déborde de puissance. Une puissance physique de prime abord, faite de chair et de charme. Une force mentale, ensuite, qui s’exprime à travers le choix perspicace de ses héroïnes. Il en va ainsi de son Eve à la peau douce et laiteuse tendant sa pomme d’amour à Adam ou de sa Judith vengeresse, prête à trancher courageusement la gorge d’Holopherne.
Qu’elles soient belliqueuses ou séductrices, Tintoret n’hésite pas à parer ces dames de beaux atours, de tuniques précieuses ou de coiffes raffinées. Il nous les révèle également dans leur nudité toutes en courbe ou l’épée à la main, imperturbable.
Plaisir des yeux et de l’esprit, ces charmantes figures bibliques et mythologiques s’inscrivent parfaitement dans l’esthétique chatoyante de la peinture vénitienne du XVIe siècle. De part leur beauté, leur esprit lucide, leurs courbes voluptueuses et leurs tuniques luxuriantes, elles symbolisent, sans le savoir, le maniérisme propre à la Cité des Doges dont Tintoret deviendra bientôt l’un des plus grands maîtres.
Tintoret : Naissance d’un génie
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard
Paris 6e
Tel. 0140136200
Du 7 mars au 1er juillet 2018
Du lundi au jeudi – De 10h30 à 18h
Du vendredi au dimanche – De 10h30 à 19h
http://museeduluxembourg.fr/
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Conférence
Le jeudi 17 mai à 18h30: L’Institut Hongrois (situé 92 rue Bonaparte – Paris 6e) accueille François Boespflug (Théologien, historien de l’art et des religions, titulaire de la Chaire du Louvre 2010) pour une conférence autour d’un tableau biblique du Tintoret : Le recouvrement de Jésus au Temple
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