KUPKA : un parcours obsessionnel vers l’abstraction
L’exposition du Grand Palais dédiée à François Kupka est très interessante car elle décortique en détail le cheminement vers l’abstraction de ce peintre tchèque. A travers une multitude de tableaux et d’oeuvres graphiques, les visiteurs prennent conscience de l’évolution mentale et picturale de ce très grand artiste dont l’oeuvre considérable demeure encore trop peu connue en France.
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Un classicisme fort sage
Le parcours s’ouvre avec des toiles très classiques marquées par le symbolisme de la fin du XIXe siècle. Kupka, issu des Beaux-Arts de Prague et de Vienne, livre des autoportraits et des scènes champêtres emprunts d’un certain romantisme et d’une tradition académique évidente. Il propose aussi d’innombrables dessins sur papier témoignant de son attachement à la philosophie de Nietzsche et aux idées ésotériques.
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Un trait pamphlétaire
Installé à Montmartre dès 1896, Kupka va travailler pour la presse et produire des centaines d’oeuvres graphiques. Illustrateur engagé et de grand talent, il élève cette discipline à un art à part entière et collabore à des revues satiriques telles que Cocorico ou l’Assiette au Beurre. Le trait précis et incisif, il croque allègrement ses semblables, dénonce les régimes oppresseurs et met en avant ses convictions de libre-penseur. Entre une caricature du capitalisme, une critique de la monarchie et des esquisses anti-cléricales, Kupka nous offre un très beau portrait des pensées subversives de son temps.
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Quelle magnifique période fauve !
Revenant à la peinture, Kupka se laisse séduire par la couleur. Quittant ses charmantes bourgeoises et son académisme, il projette sur ses toiles des personnages d’une grande intensité aux teintes criardes. A travers les portraits de ses « Gigolettes » l’on voit ainsi s’opérer une fabuleuse stylisation de sa touche : les traits de ses muses s’empâtent, leurs paupières se fardent de khôl, quant à leurs lèvres lippues, elles deviennent si rouges qu’elles frôlent la vulgarité. A mi-chemin entre un art fauve et une sensibilité expressionniste, Kupka nous livre là l’une de ses périodes les plus belles et les plus sensuelles !!
Un cheminement vers l’abstraction
Au fur et à mesure que Kupka commence à traiter les volumes par la couleur, il avance vers l’abstraction. Au départ, celle-ci est encore timide car elle se traduit par de grands aplats qui recouvrent des personnages sculpturaux. Peu à peu, cependant, les motifs prennent le dessus et nivellent en plans toute la toile. A l’exemple de Mondrian ou de Delaunay, Kupka concentre alors sa recherche artistique sur la dynamique des formes et des tonalités au détriment des figures qui perdent progressivement leur regard, leur contour et leur carnation…
Une disparition totale de la figure
Dès les années 1910, Kupka va se focaliser sur la problématique de l’espace et expérimenter des compositions purement abstraites. Rompant avec la tradition mimétique, il abandonne une fois pour toute la figure humaine et crée une réalité picturale très avant-gardiste. Seul compte à présent le langage des formes et leur agencement sur la toile.
Passionné par la sciences, Kupka aborde dorénavant sa peinture avec la rigueur d’un théoricien tel que Kandinsky ! La ligne, le point, le plan commencent à devenir des sujets obsessionnels au point que l’artiste finit par se perdre dans ce dédale structurel.
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Place à la théorie
L’une des toiles qui marquent la fin de l’exposition du Grand Palais est une peinture géométrique en blanc et noir : réalisée en 1930, cette oeuvre minimaliste conclue en quelque sorte le cheminement impressionnant de Kupka vers l’abstraction. Reposant sur 3 plans noirs qui s’équilibrent remarquablement, cette composition possède de nombreuses qualités narratives mais elle est si construite qu’elle nous donne l’impression que Kupka a perdu toute son inspiration ! Où est donc passée la fougue de sa période fauve ? Qu’en est-il du trait brut et irrégulier qui mordait la toile sans se soucier de calcul et de perfection ? Et que dire des couleurs qui happaient nos regards autant que nos esprits ? De toute évidence, le souffle et la création pure ne sont plus là. Il y a, bien sûr, une conscience du trait, une logique des espaces, un codage savant des couleurs mais à quoi rime une telle quête mathématique si l’émotion a entièrement disparu ?
KUPKA – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
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KUPKA
Pionnier de l’Abstraction
Grand Palais
3 avenue Winston Churchill – Paris 8e
Jusqu’au 30 juillet 2018
Lundi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche de 10h à 20h.
Mercredi de 10h à 22h. Fermeture hebdomadaire le mardi
Fermeture exceptionnelle le samedi 14 juillet