Anna Karénine
Étonnante pièce que celle de Laetitia Gonzalbes qui revisite magnifiquement l’histoire d’Anna Karénine. Fidèle à la trame Tolstoïenne, la jeune autrice nous présente le triste destin d’une femme infidèle rongée par la culpabilité. Par-delà ce thème devenu classique, Laetitia Gonzalbes s’attelle à bousculer les clivages de notre époque en transformant l’adultère de la belle Anna en un amour saphique… Un régal pour les yeux et l’esprit !
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L’histoire d’une passion amoureuse
La pièce débute par la rencontre entre Anna et Alexis Karénine. Ébloui par la beauté et le bonheur pur qui émane de cette jeune fille, l’austère Alexis la demande en mariage sans se douter que sa blanche colombe va bientôt le tromper. En effet, lassée par la vacuité et l’hypocrisie de son couple, Anna perd rapidement toutes ses illusions sur le bonheur conjugal et se laisse séduire par la mystérieuse Varinka…
Un narrateur spectral
Afin de nous retracer cette passion destructrice, Laetitia Gonzalbes a placé son narrateur directement sur scène. Dissimulé derrière son masque, le comédien Samuel Debure devient tour à tour auteur, conteur ou confesseur. Semblable à un oiseau de mauvais augure, il nous intrigue par son timbre froid autant qu’il nous envoute par sa diction déliée, teintée de maniérisme.
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Un excellent trio
Autour de ce drôle de spectre, évoluent les trois principaux protagonistes de l’histoire :
Blanche comme neige avec ses robes de dentelles et ses patins à glace, la comédienne Lise Laffont nous livre de prime abord une Anna Karénine un peu prude. La mine timide et le regard emprunt de candeur, elle fait cependant glisser son personnage vers une femme de plus en plus sombre qui va se noyer dans l’adultère et la culpabilité. Quittant sa chrysalide initiale de belle ingénue, Lise Laffont nous offre ainsi une métamorphose scénique qui gagne en noirceur tant au niveau de son jeu que de son apparence.
A ses côtés, David Olivier Fischer tient le rôle d’Alexis Karénine. Le visage mélancolique et l’oeil doux, il interprète un époux magnanime aux pensées tissées de chagrin.
Bon chrétien mais triste sire, il nous touche tout au long de la pièce car il demeure engoncé dans les moeurs de son temps qui l’empêchent d’exister. Confiné dans une respectabilité oppressante, il ne peut tolérer le déshonneur public même si, intérieurement, il a fort bien compris que sa femme ne l’aime plus.
Face à ce couple sans joie, Maroussia Henrich incarne Varinka, la fauteuse de troubles… Déjà remarquée dans Les Créanciers et La Vergogne, cette séduisante actrice possède une fibre énigmatique qui correspond parfaitement au personnage licencieux de Varinka. Avec sa voix suave, ses postures lascives et ses paupières fardées de bleu, elle dégage une sensualité pleine d’élégance qui charme Anna Karénine mais aussi les spectateurs. Parée d’une redingote d’officier et d’un bustier très féminin, elle nous fait songer à un chevalier d’Eon qui aurait dérobé la place du Comte Vronski, l’amant originel d’Anna Karénine. Déployant son amour passionnel sur la charmante Anna, elle va lui apporter autant de joies que de peine jusqu’à l’acte final…
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Par-delà Dieu et la culpabilité, la femme et sa quête de bonheur
Fidèle à la question redondante de Dieu et du pardon chez Tolstoï, Laetitia Gonzalbes, conserve cette présence divine en amont de son adaptation. Cependant, par-delà la faute et la rédemption, elle préfère explorer le personnage d’Anna en mettant en avant son besoin essentiel de liberté.
Victimisant cette jeune fille fragile et vulnérable, elle n’hésite pas à résumer sa nuit de noce à « un viol légal » et fait aboutir son manque de caractère à un suicide.
Face à Anna qui n’assume ni sa passion ni son identité sexuelle, Laetitia Gonzalbes place alors la figure émancipée de Varinka comme un véritable porte parole : amoureuse, homosexuelle et libre-penseuse, Varinka transgresse toutes les lois en se fichant aussi bien des conventions sociales que maritales.
En revisitant Anna Karenine en mode saphique, Laetitia Gonzalbes, apporte une intéressante modernité à l’oeuvre de Léon Tolstoï. Ancrant cette histoire dans notre siècle, elle lui confère une dimension nouvelle car elle fait de l’amant d’Anna Karénine une maitresse-femme prônant non seulement l’assouvissement des passions mais aussi l’acceptation des différences. De toutes les différences ! A méditer…
Anna Karénine ? De l’audace, du talent et une mise en scène envoutante.
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Anna Kare?nine – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
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Anna Karenine
D’après Léon Tolstoï
Adaptation et mise en scène : Laetitia Gonzalbes
Avec Lise Laffont, Maroussia Henrich, David Olivier Fischer et Samuel Debure
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Théâtre de la Contrescarpe
5 rue Blainville – Paris 5e
Réservations : 0142018188
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A partir du 30 octobre 2018
Le dimanche à 20h30
Les lundi & mardi à 19h30
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La pièce dure 1h30
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Photos : ©Fabienne Rappeneau et ©Yann Gouhier