Brazzaville accueille une nouvelle galerie d’art
Sandra Plachesi est née en France mais vit au Congo Brazzaville depuis plus de dix ans. Collectionneuse dans l’âme, elle s’est découvert une passion pour l’Art Africain qui l’a menée cet automne à ouvrir la première galerie privative d’art contemporain de Brazzaville : la Brazza Art Galerie. Cette très belle initiative, qui s’adresse autant aux amateurs d’art africain qu’aux esthètes, va enfin permettre de promouvoir le travail des artistes locaux. Et ils sont nombreux !
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Comment est né le projet de la Brazza-Art Galerie ?
Sandra Plachesi : Je collectionne des oeuvres d’Afrique équatoriale depuis de nombreuses années et j’ai eu envie de faire partager ma passion tout en épaulant les artistes locaux qui éprouvent de grandes difficultés à diffuser leur travail. J’ai donc décidé de créer la Brazza Art Galerie afin de présenter des oeuvres déjà reconnues mais aussi pour faire émerger les talents de demain.
D’autres galeries d’art existent-elles à Brazzaville ?
Il y a la Galerie du Bassin du Congo, les Ateliers Sahm ainsi que le centre d’exposition de l’Institut Français du Congo. Les missions que se sont fixés ces lieux sont un peu différentes des nôtres mais nos projets se complètent. La Brazza Art Galerie soutient et promeut des artistes de l’Afrique Equatoriale avec une attention particulière portée aux talents des deux Congo. Nous avons pour ambition de faire rayonner cette création dynamique, jeune et singulière à l’international en offrant aux artistes un cadre qui n’ait rien à envier aux consœurs d’Afrique de l’Ouest ou du Sud.
Vous positionnez-vous comme défenseur de l’art africain dans sa globalité ou allez-vous uniquement vous consacrer aux artistes congolais ?
La Brazza Art Galerie ambitionne de devenir l’une des vitrines de l’Art Africain qui souffre encore d’une sous représentation au niveau mondial. Des expositions croisées sont en prévision avec nos voisins du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Nous espérons aussi construire des collaborations pérennes avec des artistes du continent et multiplier les échanges culturels intra et extra continentaux : nous avons déjà des sollicitations de Cuba et du Venezuela pour aller exposer sur place et recevoir en retour leurs artistes.
Vos accrochages fusionnent des oeuvres du Congo et de la RDC : est-ce une façon de réunir Brazza à Kinshasa ?
C’est effectivement une manière de montrer que les deux capitales les plus proches au monde ne forment qu’un seul et même élément culturel et artistique. Elles partagent une histoire millénaire où le fleuve n’était pas une frontière mais un lien de communication essentiel. C’était également, et c’est toujours, un lien mystique très fort qui a impacté tout autant l’art traditionnel que l’art contemporain sous toutes ses formes de représentation. Visuellement, les deux styles ne s’opposent pas mais ils se complètent, ce qui permet d’accéder à une immense diversité de créations autour de thèmes souvent communs.
Il semblerait que le Congo soit un véritable creuset d’artistes peintres : est-ce une tradition locale ?
Il est certain que la peinture est prééminente des deux côtés du Fleuve. Durant la période de libération artistique qui a suivi la décolonisation, l’école de Poto Poto au Congo Brazzaville et l’Académie des Beaux Arts de Kinshasa ont permis à de très nombreux artistes d’avoir une visibilité, un cadre structuré et un outil de promotion des œuvres. Celà a beaucoup compté dans le dynamisme artistique actuel de ces deux pays. Les traditions de ferronnerie, de taille de la pierre, de poterie par exemple étaient moins ancrées dans la tradition ancestrale. Il est donc possible que ce soit l’une des raisons de la force de la peinture aujourd’hui. Mais là aussi, les choses évoluent et la créativité s’exprime désormais sur tous les supports.
Qu’est-ce qui caractérise l’art du Congo et de la RDC par rapport aux créations des autres pays d’Afrique ?
Il est difficile d’être didactique sur le sujet car il n’existe toujours pas de référencement précis des styles, artistes ou thématiques évoluant autours du Fleuve. D’un point de vue personnel, je pense que les artistes congolais travaillent beaucoup sur la nature, sur leur environnement proche, sur l’actualité et sur la cosmogonie africaine. On voit dans leur travail une gamme chromatique très étendue, sans doute reflet de l’environnement équatorial qui les entoure. Le travail d’abstraction porte essentiellement sur l’humain plus que sur des formes géométriques et, hormis quelques représentations animales, l’Homme est pratiquement toujours au centre du travail pictural et photographique. C’est un art très gai, vivant et coloré, que ce soit dans le figuratif ou l’abstrait.
Quels sont les artistes phares de cette première exposition à la Brazza-Art Galerie ?
Pour les Brazzavillois, nous avons bien sur Gotene avec de très belles pièces dont deux peintures sur raphia (ce qui est extrêmement rare), mais aussi Ndinga père et fils, Boboma, Mouelo, Mangouandza, Iloki père & fils (ces trois derniers étant issus de l’Ecole de Poto Poto).
Pour Kinshasa : Chéri-Chérin, Chéri-Samba, Khan, Dole, Mika, Shula, Botembe, Alfi-Alfa, un magnifique sculpture de Lyollo…
Hormis les peintures, d’autres techniques sont-elles présentent au sein de votre galerie ?
Tout à fait. Concernant la photographie, nous avons accueilli Baudoin Mouanda qui est internationalement connu, notamment pour son travail sur les Sapeurs de Bascongo. Nous exposons aussi Robert Nzaou, un jeune photographe en pleine ascension qui s’est fait récemment remarquer en illustrant le dossier « Congo » de Jeune Afrique. Nous présentons également des sculptures de Lyollo, Moukala, Matuka et espérons enrichir notre collection dans ce domaine.
Selon vous, comment se porte le marché de l’art africain contemporain et précisément celui des artistes congolais ?
Depuis une dizaine d’années, il semblerait que ce domaine ne cesse de séduire les collectionneurs internationaux. Jusqu’à récemment, il n’était connu que des amateurs éclairés et sa commercialisation ne se faisait guère qu’en intracontinentale. Avec l’arrivée d’internet, un plus grand nombre de personnes ont enfin accès à la richesse de cette création jeune et foisonnante et l’art africain contemporain sort enfin de son anonymat ! Il va trouver naturellement son public car de nombreuses œuvres sont de qualité, inventives et elles reflètent le dynamisme de ce continent qui se réapproprie son passé culturel, l’intègre et le transforme dans un processus créatif sans cesse renouvelé.
Des expositions prestigieuses (Vuitton, Cartier, Art Bassel…) font désormais la part belle à certains de ces artistes, notamment en provenance de Kinshasa mais le chemin est encore long : bien peu ont une côte officielle sur les marchés de l’art et il reste à faire un vrai travail de promotion pour augmenter la diffusion de ces œuvres auprès des collectionneurs internationaux.
Qu’en est-il des collectionneurs locaux ? Les artistes vendent-ils aussi localement ou sont-ils dans l’obligation d’exporter leurs créations ?
Il est encore difficile de vendre au sein des deux Congo. Il y a des collectionneurs locaux mais ils ne sont pas nombreux et l’achat d’œuvres d’art contemporain n’est pas encore un réflexe tant pour des raisons financières que culturelles. On s’aperçoit donc que les artistes reconnus ont effectivement pris l’habitude d’exporter leurs œuvres, soit par le biais d’expositions internationales, soit, quand ils ont la chance de pouvoir être représentés, par le truchement de galeries étrangères.
Et au niveau des musées et des institutions publiques ? Ces espaces sont-ils autant acquéreurs que les particuliers ?
C’est un peu compliqué: il existe des lieux qui fonctionnent en partenariat public-privés ainsi que des musées. Dans le cas des P.P.P., il y a souvent un problème de manque de financements pour l’acquisition et c’est encore plus vrai en ces périodes de récession économique. Les œuvres présentées sont souvent mises en dépôts vente ou sont données par des mécènes pour permettre aux artistes locaux d’avoir une visibilité nationale.
Pour les musées, ils sont subventionnés par l’Etat quand il en a les moyens ou par de riches mécènes. Mais là aussi les fonds manquent pour pouvoir organiser une politique d’achat d’œuvres sur une ou plusieurs années et/ou sur des thématiques précises qui permettraient à des artistes d’avoir une visibilité sur un moyen ou long terme.
Avez-vous déjà une thématique pour votre prochaine exposition ?
Oui. Nous allons accueillir, fin janvier, une grande rétrospective de l’œuvre photographique de Baudoin Mouanda. C’est un vrai retour aux sources !
Après avoir exposé partout dans le monde et gagné de nombreux prix pour l’ensemble de son travail, il a accepté de venir présenter chez nous des clichés emblématiques de ses 20 dernières années de carrière. Nous sommes très fiers de l’avoir à Brazza-Art Galerie et nous le remercions de la confiance qu’il témoigne ainsi à notre jeune Galerie.
Quelles vont être vos prochaines expositions en dehors de Brazzaville ?
En 2019, nous avons pour projet d’exposer à Kinshasa et nous sommes en discussion avec certains de nos voisins de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale) pour organiser des échanges artistiques. En 2020, nous allons nous rendre à Dubaï dans le cadre de l’Exposition Universelle et y organiser un vernissage pour présenter au plus grand nombre le travail de nos artistes.
Si vous deviez choisir une œuvre phare de votre accrochage actuel, laquelle prendriez-vous ?
Choisir c’est renoncer…. Une seule c’est difficile. Je dirais deux, un Brazzavillois et un Kinois : l’un des Gotene sur raphia pour sa rareté et son symbole (il a peint sur du raphia car il n’avait pas assez d’argent à cette époque pour acheter des toiles. Il a ainsi démontré une fois de plus que l’Art prime sur tout pour un créateur) et la Panthère de Lyollo qui est un travail d’une finesse et d’une force esthétique exceptionnelle.
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Brazza Art Galerie – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
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Brazza Art Galerie
213 rue de la Musique Tambourinée – Brazzaville
Tel. +242 05 031 2020
contact@brazza-art-galerie.com
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Photos : ©Baudouin Mouanda et ©Daniel Elombat
La peinture titre de cet article est une oeuvre de Jacques Iloki : “Les masques KEBE KEBE”
La peinture finale est une toile de Michel Hengo : “Femme qui nourrit son enfant”