Signé Dumas : un beau duel de plumes !
Si vous n’avez pas vu Signé Dumas, il est grand temps d’aller découvrir cette pièce nominée sept fois aux Molières. Dans un face-à-face fougueux et spirituel, elle met en scène Alexandre Dumas et son fidèle collaborateur, un certain Auguste Maquet. Si ce nom ne vous dit rien, c’est que l’homme a su rester discret tout au long de sa vie et pourtant, au même titre que Dumas, il aurait contribué à l’écriture du Comte de Monte-Cristo et pourrait bien revendiquer la paternité de d’Artagnan !
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Une Histoire sur fond de Révolution
La représentation de “Signé Dumas” avait une résonance particulière ce soir de 1er décembre 2018 : tandis que les Gilets Jaunes grondaient dans les rues de Paris et s’attaquaient aux symboles de la République, la pièce écrite par Cyril Gely et Eric Rouquette prenait place en pleine Révolution de février 1848 et réglait ses comptes avec la Monarchie !
Dans ce contexte d’insurgés, la salle du théâtre La Bruyère résonnait donc d’un écho singulier car sur la scène le personnage de Dumas soutenait pleinement la régence tandis que celui de Maquet se positionnait du côté de la République.
Un travail à quatre mains
Mise en scène assez sobrement par Tristan Petitgirard, la pièce débute en 1848 : le glorieux Alexandre Dumas a fait construire son énorme château de Monte-Cristo à Port-Marly auquel il a ajouté avec beaucoup d’humour et de fantaisie un cabinet de travail nommé le Château d’If. C’est dans cette retraite emblématique que le maître rejoint régulièrement Auguste Maquet pour concevoir à quatre mains les aventures du Vicomte de Bragelonne ou les mésaventures de la Reine Margot.
Tandis que l’un imagine des récits fabuleux en profitant au mieux de son existence, l’autre rédige avec application ses feuillets et les met en forme sagement cloitré dans son bureau. Comme chacun sait, Dumas récolte la gloire et les lauriers au dépend de Maquet qui, hélas, demeure dans l’ombre.
À première vue cela tient de l’injustice car les deux hommes travaillent à parts égales. Pourtant, lorsque l’on y réfléchit, Dumas mérite son aura car ce n’est pas uniquement ses écrits que l’on encense, c’est aussi sa légende. En effet, il faut savoir se mettre en avant comme il l’a fait de son temps, devenir opportuniste, affronter les foules, se frotter à la critique, lui offrir des commérages, du rêve, de somptueux châteaux et même des soupers de 600 personnes ! C’est une icône que Dumas a forgée autour de sa personne et qu’il a portée de ses bras ! Certes, Maquet est resté enfermé des heures durant sur ses manuscrits, il a cogité autant qu’Alexandre, il s’est attelé à vérifier toutes les données historiques, mais cet écrivain appliqué n’était certainement pas capable d’assumer le faste et le tintamarre qui rimaient alors avec la légende dumassienne, et il devait probablement en être conscient !
En retour, il est vrai que l’arrogant Alexandre n’aurait aussi pas pu prétendre à un tel succès sans la plume dévouée de Maquet car son caractère truculent l’empêchait de rester pieusement assis sur une chaise pour rédiger ses romans-fleuves…
La plume et le porte plume
Le tandem Dumas-Maquet nous fait donc penser à un vieux couple ne pouvant exister l’un sans l’autre. D’un côté il y a symboliquement la plume, toute blanche, volage, charismatique, fantasque et, sous elle, se trouve le porte plume stable et rigide, gorgé d’une encre aussi sombre que fertile. Impossible de ne pas capter cette belle allégorie en regardant jouer les acteurs.
Parfait dans le rôle de Dumas, l’imposant Xavier Lemaire gronde et domine la scène de tout son poids. Véritable ogre blanc, il ne cesse de remuer, vocifère, mange goulument des rillettes et tente de déstabiliser le pauvre Maquet envers lequel il a des dettes littéraires mais aussi financières. Malgré ses excès et son arrogance, l’on apprécie le jeu plein de panache de Xavier Lemaire qui restitue aussi bien l’extravagance que la mégalomanie de Dumas.
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Face à ce despote gargantuesque, le comédien Davy Sardou nous livre un jeu ponctué d’humilité et de discrétion. Le ton pondéré et la gestuelle toute en retenue, il incarne un Auguste Maquet lucide et intelligent qui va peu à peu passer du stade de victime à celui d’attaquant. Humilié par Dumas qui le traite comme un vulgaire scribouillard depuis des années, Maquet se réveille enfin pour revendiquer la paternité d’oeuvres auxquelles il a plus que contribué.
Entre ces deux écrivains qui se sermonnent et se complètent, l’acteur Thomas Sagols joue alternativement les lecteurs et les brigadiers. Tour à tour coiffé d’un képi ou vêtu de vieux vêtements dignes de Gavroche, il offre au public d’amusantes transitions qui font avancer le récit jusqu’à la chute de la monarchie.
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.Qui est le père de d’Artagnan ?
Cette question vous risquez de vous la poser encore longtemps. Si la pièce de Cyril Gély et Eric Rouquette ne vous donne pas la réponse exacte, elle permet au moins à Auguste Maquet de sortir provisoirement de son anonymat.
En mettant face-à-face un auteur et son porte plume, Signé Dumas propose aussi aux spectateurs de réfléchir à la création littéraire en se penchant sur sa genèse, son cheminement et son exploitation.
Selon vous, lorsqu’un texte est conçu à plusieurs, qui en est l’auteur ? Est-ce celui qui a l’idée ou celui qui la met en forme ? Et qui mérite ensuite la reconnaissance du public ? Dans le cas de Dumas et Maquet, la solution n’est plus à chercher : Alexandre est devenu un monument national et Auguste est demeuré un illustre inconnu.
Après cette pièce, il se peut cependant que vous ne lisiez plus Dumas de la même façon : en croisant au fil des pages Edmond Dantès, Marguerite de Valois ou Joseph Balsamo, la silhouette de Maquet viendra de temps à autres se glisser entre les lignes…
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Signe Dumas – PDF Syma News – Florence Yeremian
Signé Dumas
Photos : ©Lot