Les photographies hors du temps de Christophe Jacrot
La Galerie de l’Europe propose une très belle exposition photographique autour des dernières pérégrinations hivernales de Christophe Jacrot. Originaire de Paris, ce jeune photographe a déjà de multiples accrochages à son actif ainsi que de très beaux ouvrages autour de ses voyages.
Après plusieurs séries artistiques consacrées aux villes sous la pluie (Paris – New York), c’est à présent la neige que Christophe Jacrot a prise pour sujet. Se lançant dans une exploration septentrionale, il a parcouru le Canada, la Sibérie, le Groenland mais aussi le Japon et les montagnes du Vercors.
Rencontre avec un photographe en quête de beauté et d’intempéries.
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SYMA : La plupart de vos clichés mettent en avant des intempéries, comment est née cette idée de photographier des villes et des paysages par mauvais temps ?
Christophe Jacrot : Quand j’ai commencé à travailler il y a une dizaine d’années, on m’a demandé des photos pour un guide touristique avec un impératif dans le cahier des charges : les clichés devaient être ensoleillés. Manque de chance pour mon commanditaire, c’était un printemps parisien assez pourri et il pleuvait tout le temps. Celà ne m’a pas empêché de faire des prises entre les gouttes qui ont donné naissance à ma première série « Paris sous la pluie » (Editions du Chêne – 2008). J’ai réalisé que cet aspect inhabituel de la photographie me plaisait vraiment et j’ai continué sur cette voie. Petit à petit, j’ai quitté les villes, je suis parti vers de grands espaces et je me suis intéressé à l’hiver.
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Pourquoi choisissez-vous des zones désertiques ou isolées ?
J’aime voyager et aller dans des coins un peu perdus néanmoins, si vous faites attention, il y a toujours un élément humain sur mes photos. Certes mes zones de travail sont calmes mais elles demeurent accessibles. J’avoue que j’ai parfois eu quelques soucis, comme en Islande où j’ai bien cru que j’allais passer une nuit dans les congères… Heureusement on est venu me récupérer !
Quel pays avez-vous préféré photographier ?
Côté pluie, l’Asie du Sud-Est avec notamment Hong Kong et le Japon.
Côté neige, le Groenland, l’Islande, le Canada et la Sibérie bien sur !
Votre exposition à la Galerie de l’Europe présente justement plusieurs clichés sibériens…
Ces photos proviennent de la ville de Norilsk. C’est l’un des endroits à la fois les plus fascinants et les plus inhospitaliers du monde : non seulement il y fait -30 tout l’hiver (Norilsk se trouve à 200 kilomètres au nord du cercle arctique) mais, en plus, la région est hyper polluée à cause des minerais qui y sont exploités. C’est une ville de l’extrême dans tous les sens. J’y retournerai certainement bientôt.
D’un point de vue urbain vous avez aussi croqué New York en 2012
Le 29 octobre 2012, New York a été inondé et privé d’électricité à cause du passage de l’ouragan Sandy. Des milliers de gens ont été évacués et je me suis retrouvé avec mon objectif face à une ville fantôme. Cela a donné « New York in black », un album présentant Manhattan plongé dans les ténèbres : aucune lumière, aucune enseigne, aucun éclairage public, tout était arrêté et baignait dans une atmosphère inquiétante. Depuis j’ai du y retourner une dizaine de fois.
Avez-vous exposé sur place?
Durant deux ans, j’ai eu effectivement mes tirages en galerie et j’ai très bien vendu. A présent, je suis en discussion avec d’autres lieux d’exposition. Je dois préciser qu’il y a très peu de photographes français qui sont exposés à New York : les pointures historiques trouvent, bien sûr, leurs galeristes mais pas les contemporains. A l’inverse, beaucoup de photographes américains sont mis en avant dans les galeries parisiennes…
Utilisez-vous un matériel photographique spécifique par rapport au froid ?
Jusqu’à -10 degrés, il n’y a aucun problème pour prendre des photos. Il faut mettre des gants et des sous-gants bien serrés en laine ou en soie et conserver l’appareil le plus longtemps possible dans sa sacoche. Le problème peut venir à partir de -15 notamment au niveau des chocs thermiques : il faut que le taux d’humidité entre ma voiture et l’extérieur soit minimal. Quand je reviens vers mon véhicule, je fais donc attention à la température intérieure pour ne pas avoir de buée sur mon appareil.
Faites-vous un travail purement numérique ou l’argentique a encore sa place chez vous ?
Je travaille uniquement en numérique car cette technique a atteint des sommets aujourd’hui et elle me permet de travailler avec des lumières très basses que j’apprécie particulièrement. Et puis quel plaisir de pouvoir rester des heures dehors quel que soit le temps sans avoir à changer de pellicules toutes les 36 poses. A ce niveau là, l’argentique c’était juste un enfer !
Dans votre nouvelle exposition vos tirages sont faits sur un papier aussi poudreux que délicat. Quel support utilisez-vous ?
Pour cette série sur la neige, j’ai utilisé du papier etching de chez Hahnemühle, C’est un papier épais que j’adore car il est très texturé et amène autre chose : on bascule au delà de la photo, on passe dans une zone picturale proche de la gravure car il est à la fois velouté et légèrement grainé.
Avez-vous une œuvre favorite au sein de cette exposition 2018 ?
Peut-être le tunnel dans le Vercors avec son immense sapin et son halo de lumière orange. J’aime son coté irréel qui disparait dans le brouillard. Tout y est givré, féerique.
Votre prochaine escale ?
J’en ai plusieurs dont le Canada, la Sibérie et la Norvège. Mais je vais surtout retourner à Saint-Petersbourg. J’y suis déjà allé pour prendre des photos mais sans la connaître. Il faut que je crée une intimité avec les lieux que je photographie pour qu’ils se révèlent. Quand on revient le regard change, il est plus exigent, ce n’est pas la même chose que la première fois. A titre d’exemple, je suis allé sept fois en Islande pour concevoir Snjór et je risque encore d’y faire escale…
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Christophe Jacrot – PDF SYMA News – Florence Ye?re?mian
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Christophe Jacrot
En dessous de zéro
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Galerie de l’Europe
55, rue de Seine – Paris 6e
Tel. 0155429423
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Exposition du 27 novembre 2018 au 5 janvier 2019
Du mardi au samedi, de 11h à 13h et de 14h à 19h
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