KEAN : Homme ou comédien ?
Il semblerait que toutes les femmes s’entichent de Kean, cet acteur shakespearien adulé de la haute société londonienne.
C’est justement le cas de la Comtesse Elena qui s’ennuie à mourrir auprès de son ambassadeur de mari. Romantique à souhait, l’élégante rêve d’un amour passionnel avec Edmund Kean, mais est-ce vraiment cet homme qui lui tourne la tête ou les personnages qu’il interprète chaque soir au Théâtre Royal ?
Par le truchement de cet acteur, Alexandre Dumas épaulé de Sartre font se confondre l’homme et le comédien et nous proposent un très beau questionnement sur l’être et le paraitre.
Mais qui est Kean ?
Cela doit bien faire une trentaine d’années que le personnage de Kean a déserté les tréteaux de la scène française. Depuis la performance de Jean-Paul Belmondo en 1987 au Théâtre Marigny, peu d’artistes (voir aucun) ont osé s’aventurer sur les traces de ce protagoniste.
Inspiré par le célèbre acteur britannique Edmund Kean, cette pièce prend place à Londres au XIXe siècle. Écrite par Alexandre Dumas Père pour Frédérick Lemaître, elle a été adaptée par Jean Paul Sartre en 1953 à l’attention de Pierre Brasseur.
Kean était un Don Juan égoïste et charmeur qui se moquait de toute les contingences. Insolent, guidé par ses passions et son amour du théâtre, ce débauché est devenu sans le vouloir l’un des héros de Dumas qui lui a consacré une belle variation sur l’art du comédien.
Une mise en scène burlesque signée Alain Sachs
Inspiré par cette réflexion théâtrale autour de la quête d’identité, Alain Sachs a opté pour une mise en scène pleine d’humour et de légèreté. Abordant les grands thèmes de la séduction, l’ego, la liberté et la folie, il a choisi une approche plutôt burlesque de la pièce faisant presque l’impasse sur sa teneur tragique. C’est plaisant, rythmé et drôle mais les sombres questionnements de Kean et ses mises en abime sont balayées un peu trop rapidement.
Derrière l’acteur, il y a l’homme !
En effet, derrière l’acteur qui interprète si bien Hamlet, Othello ou le Roi Lear, où se cache l’homme ? Kean existe t-il vraiment hors de la scène ou ne vit-il qu’a travers ses rôles ? À chaque fois que ces phases cruciales d’introspection arrivent dans la pièce, Alain Sachs les écarte élégamment avec des éclats de rires…
Lorsque Kean nous confie par exemple que “L’acteur est un reflet trouble de l’homme” ou que “L’on devient acteur pour fuir”, ses pensées sont livrées sans trouble ni réflexion : où est passée la dérive identitaire du comédien ? Qu’en est-il de sa fragilité, de sa solitude ou de son égarement en tant qu’homme de paraître ? La proposition d’Alain Sachs fait l’impasse sur la part tragique de Kean et s’éloigne ainsi de l’adaptation existentialiste de Sartre. C’est dommage car une approche plus approfondie du ressenti de son comédien enrichirait la pièce sans lui faire perdre son humour !
Une troupe joviale
C’est à Alexis Desseaux que revient le rôle de Kean. Préalablement discret dans son interprétation, il gagne en hardiesse au fil de la pièce. Jouant dans l’esprit un peu sec de Pierre Brasseur, il manque cependant de charisme, voire de démence. Certes, son protagoniste tutoie avec insolence les princes, mène sa cour effrontément devant les maris et traîne comme un ivrogne à la taverne, mais ses excès demeurent trop contrôlés. On le voudrait fou, exacerbé, séducteur, et peut-être même plus contemporain afin d’effacer cet aspect un peu désuet du personnage de Dumas.
À ses côtés les comédiens pétillent et s’en donnent à cœur joie dans les décors de Sophie Jacob et les costumes multicolores de Pascale Bordet : la Comtesse Elena (Sophie Bouilloux) se laisse courtiser avec une fierté coupable, le Prince de Galles (Frederic Gorny) cultive un snobisme décontracté, quant à la jeune Anna (Justine Thibaudat) qui tourne amoureusement autour de Kean, elle incarne un mélange d’exquise comédienne et de fausse ingénue.
On apprécie particulièrement Ève Herszfeld qui alterne sans distinction les rôles de bourgeoise et de tavernière : la parole vive et le cheveux en pétard, elle est aussi farceuse que décapante et intensifie sans détour l’aspect comique que revendique la pièce.
Vous l’avez compris, cette nouvelle adaptation de Kean est une comédie qui se préoccupe d’avantage de la jouissance des spectateurs que de leur intellect… Et pourquoi pas ?
Kean
D’Alexandre Dumas
Adaptation de Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Alain Sachs
Assisté de Corinne Jahier
Avec Pierre Benoist, Sophie Bouilloux, Alexis Desseaux, Jacques Fontanel, Frédéric Gorny, Ève Herszfeld, Justine Thibaudat et Stéphane Titeca
Décors : Sophie Jacob
Costumes : Pascale Bordet assistée de Solenne Laffitte
Lumières : Muriel Sachs
Musique : Frédéric Boulard
A partir du 5 novembre 2019
Du lundi au samedi à 21h – le dimanche à 17h – le mercredi à 15h
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin – Paris 18e
Kean revient pour le 28 février 2020 à 20h30 à l’Espace Paul Valery 72 avenue Ardouin – 94420 Le Plessis Trevise
Photos : ©Lot