Le Musée d’Orsay consacre une très belle rétrospective à Berthe Morisot qui remet en perspective la modernité picturale de cette artiste.
Portraits de femmes
La peinture de Berthe Morisot est celle d’une artiste mettant la femme à l’honneur sous un autre regard que la nudité : cernant la mère autant que la domestique, son trait singulier confère une nouvelle beauté à ses congénères en les capturant dans la simplicité de leur quotidien.
Qu’il s’agisse d’une nourrice, d’une servante cousant dans un jardin ou d’une bourgeoise veillant sur son enfant, beaucoup de tendresse émane de ses toiles, notamment celles représentant sa sœur Edma qui fut l’un de ses modèles de prédilection. Entre un portrait d’Edma enceinte ou d’Edma au berceau, on ressent de la douceur et du recueillement, mais l’oeil introspectif de Berthe Morisot parvient également à diffuser une subtile mélancolie à ses modèles qu’elle plonge régulièrement dans de profonds silences.
La bourgeoise parisienne
Berthe en effet s’immisce avec beaucoup de pudeur dans les intérieurs de son temps : qu’il s’agisse d’un salon cossu ou d’une pièce japonisante, elle y met en scène des dames chignonnée aux tenues élégantes et dresse au fil de ses toiles un portrait précis des jeunes bourgeoises parisiennes.
Entrebâillant la porte de leurs chambres, elle dévoile aussi leur toilette intime, ose dessiner un nu de dos et s’attarde sur une demoiselle s’apprêtant avec coquetterie devant sa psyché.
Par delà la mode, Berthe Morisot pointe aussi du pinceau le statut des femmes du XIXe siècle qui se résume souvent à celui d’une épouse oisive et dolente absorbée dans ses rêveries flaubertiennes à l’ombre d’une ombrelle ou d’un éventail.
Un trait singulier qui gagne en force
Avec Berthe Morisot tout est dans la suggestion : à ses débuts, son trait est flou, presque tremblant et elle joue sans cesse sur les transparences en utilisant sa peinture à l’huile comme de l’aquarelle.
Seule femme à participer à la première exposition des Impressionnistes en 1874, elle va peu à peu enrichir sa technique picturale et définir son propre style :
- Une palette douce et blanche, dont la luminosité nous fait irrésistiblement songer à Joaquin Sorolla.
- Une facture nerveuse qui va s’accentuer avec le temps jusqu’à évoquer le trait vif et hachuré de Fragonard.
- Un aspect esquissé qui rend compte du mouvement et de la vie qui l’entoure (notamment dans ses marines anglaises dont l’une des plus belles « Vue du petit pont de Lorient » est exposée à Orsay)
Se libérant des règles académiques, les toiles tardives de l’artiste laissent voir des coups de pinceaux rapides, des lignes brisées et une fougue évidente qui traduit son besoin intuitif de capter l’instant.
Une artiste volontaire
En dépit des portraits de maternité qu’on lui associe habituellement, Berthe Morisot était une artiste indépendante et pleine d’audace pour son temps.
Certes, la thématique de ses oeuvres est plutôt mielleuse et corsetée mais sa technique déborde de modernité : outre son trait preste et vibrant, son rapport au temps qui passe s’inscrit dans l’aspect esquissé et inachevé de ses toiles. Beaucoup d’oeuvres de sa dernière période comportent en effet un aspect expérimental qui mêle le fini au non-fini et laisse voir volontairement des parties de toile à nu.
Cette approche picturale est très intéressante car elle nous permet de décrypter l’œuvre en devenir, de mieux comprendre sa manière de peindre, ses étapes successives, sa projection des formes et des couleurs sur la toile, et surtout sa maîtrise de l’instantanéité.
En depit de son mariage avec Eugène Manet, il est amusant de constater que Berthe a continué à signer ses œuvres de son nom de jeune fille, “Morisot”. Mais pour se convaincre une fois pour toute de la modernité évidente de cette femme, il suffit de regarder son autoportrait : à la fois déterminée et androgyne, sa figure nous fait irrésistiblement songer à celle d’un chevalier d’Eon…
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Berthe Morisot
Musée d’Orsay
Du 18 juin au 22 septembre 2019
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