Marigny accueille le Théâtre Vakhtangov
Depuis la venue parisienne de la prestigieuse compagnie Vakhtangov, le théâtre Marigny ne désemplit pas. À l’occasion du centième anniversaire de cette institution moscovite (équivalent russe de la Comédie Française) deux pièces se sont relayées sur les Champs-Élysées : Eugène Onéguine et Oncle Vania. Nous étions hier soir dans les bras de Tchekhov…
Cher oncle Vania…
Oncle Vania est une histoire d’amour et de frustrations. Toute sa vie, le brave Vania s’est occupé du domaine familial afin de subvenir au bien-être de son beau-frère, le “grand” Professeur Serebriakov. Aidé de sa nièce Sofia, il a mené une existence rude sans jamais se plaindre jusqu’à ce que Serebriakov vienne s’installer au domaine avec son épouse Elena. Séduit par cette jeune beauté, l’oncle Vania commence à mener timidement sa cour mais la belle semble lui préférer un médecin de campagne. Dépité, Vania découvre également que Serebriakov souhaite vendre l’ensemble des terres familiales à son seul profit. Écœuré par un tel comportement, il sombre alors dans la folie et le désespoir…
Une mise en scène classique signée Rimas Tuminas
C’est au directeur artistique du Théâtre Vakhtangov que revient cette création: dans une mise en scène sobre et portée par le chant d’un violon, Rimas Tuminas déploie lentement ces longues journées de vie campagnarde. Alternant la farce et la mélancolie, il tisse les destinées tragiques des personnages de Tchekhov en leur conférant une belle justesse.
Sa direction d’acteur est très classique pour ne pas dire académique : elle use de pantomime, elle creuse judicieusement la psychologie des personnages et elle frôle même le burlesque (notamment avec la vieille bonne qui tricote et la belle-mère affublée d’énormes lunettes). En dépit de toutes ses qualités, la pièce ronronne et ne nous surprend pas. Celà est peut-être dû à l’atmosphère oisive et fataliste qui règne dans l’oeuvre de Tchekhov, mais il faudrait justement que Rimas Tuminas y insuffle d’avantage de modernité pour qu’elle puisse attiser vraiment son public.
Un microcosme tchékhovien
Les personnages ont tous de belles partitions qui les entraînent dans des questionnements successifs autour de l’amour, du temps qui passe et de l’abnégation.
Il y a bien sûr le Professeur Serebriakov qui ne supporte pas la vieillesse : interprété par Vladimir Simonov, il est totalement hypocondriaque et se plaint sans cesse de maux imaginaires. De par ses exubérances et son comique excessif, ce comédien russe nous fait bien volontiers songer à Michel Galabru.
À ses côtés, la séduisante Anna Dubrovskaya incarne sa jeune épouse Elena: indolente et narcissique, cette belle poseuse tient toute la maisonnée sous son charme et pousse chacun des protagonistes au pêcher et à la paresse.
Face à tant d’attraits, le pauvre Oncle Vania ne peut que soupirer de désir. Amoureux fou d’Elena et de sa jeunesse, il mène une cour candide qui s’enhardit parfois sous l’effet de l’alcool. Joué avec tendresse par Sergey Makovetsky, ce triste sire nous fait penser à un pantin déchiré entre ses rêves et son amertume.
Parmi les galants d’Elena se trouve aussi le Docteur Astrov qui nous livre d’ailleurs un étonnant discours écologiste sur les méfaits de la déforestation et la disparition de la faune (Tchekhov était décidément visionnaire ! ) C’est à Artur Ivanov que revient le rôle de ce médecin de campagne: la stature haute et le verbe caustique, il confère à Astrov une belle intensité scénique.
Celle qui ressort cependant le plus de ce spectacle, c’est Eugenia Kregzhde : prêtant la pureté de ses traits à la frêle Sofia, cette actrice rayonne de sensibilité et de talent. Passant du rire aux larmes sans se forcer, elle nous peine avec son amour juvénile pour le docteur Astrov et nous emporte merveilleusement avec ses grandes envolées idéalistes.
Le domaine des illusions perdues
C’est un bien sombre tableau de l’humanité que nous livre Tchekhov dans cette pièce si slave. Qu’il s’agisse d’amour ou d’amitié, l’ensemble de ses protagonistes ont laissé s’envoler leurs rêves : rattrapés par la vieillesse, la réalité ou la fatalité, on les voit s’avancer l’un après l’autre dans le gouffre des illusions perdues.
Face aux mensonges du mariage ou à l’hypocrisie familiale, tous regrettent de n’avoir pas su prendre leur vie en main. C’est à la fois beau et triste car comme le dit si bien Sonia dans son monologue final « à présent, il ne s’agit donc plus de vivre mais d’endurer sa vie ».
Ah! Fatalité, quand tu nous tiens …
Oncle Vania
D’après Anton Tchekhov
Mise en scène : Rimas Tuminas
Avec les comédiens du Théâtre Vakhtangov : Eugenia Kregzhde, Anna Dubrovskaya, Liubov Korneva, Lyudmila Maksakova, Vladimir Simonov, Sergey Makovetsky, Artur Ivanov (Vladimir Vdovichenkov en alternance), Vitalijs Semjonovs
Théâtre Marigny
Paris 8e
Réservations : 0176494712
Du 27 septembre au 3 octobre 2019 – A 20h
Représentation en russe surtitré en français
Durée : 3h
Crédit Photos : @DRTheatreVakhtangov