Qu’il s’agisse de ses rôles ou de ses mises en scène, Salomé Villiers est une comédienne pleine d’entrain et d’optimisme. Née dans une grande famille d’artistes, elle a épousé la voie théâtrale et fait de ce choix une aventure humaine charpentée de joies et de rencontres.
En cette période de crise pour le monde du spectacle, elle se confie sur son métier, ses amis comédiens et revendique avec une belle ferveur l’exception culturelle à la française. Rencontre.
Florence Gopikian Yérémian : Vous êtes la petite-fille du cinéaste François Villiers (L’eau vive, Les chevaliers du ciel…), la petite-nièce du comédien Jean-Pierre Aumont (Hôtel du Nord, La nuit américaine...), et votre mère Mara est réalisatrice. La scène et le cinéma, c’est définitivement une histoire de famille chez les Villiers ? On ne peut pas y échapper ?
Salomé Villiers : On fait surtout comme on le sent ! 🙂 Pour ma part, j’ai voulu exercer ce métier très jeune, ma famille m’a toujours dit que les métiers artistiques étaient magiques mais que c’était très dur et qu’il fallait faire attention et surtout travailler, chercher, ne jamais être rassasié, toujours travailler et réfléchir, réaliser ce qu’on dit, travailler son imaginaire, lire, aller au théâtre, voir des films, aller au musée, toujours se nourrir l’esprit et “avoir les pieds bien ancrés dans le sol et la tête dans les étoiles” comme me disait ma première prof de théâtre.
Gardez-vous des souvenirs partagés avec vos célèbres aïeux ? Vous ont-ils transmis quelque chose ? Un conseil ?
Ne pas lâcher prise. Si on le sent dans ses tripes, c’est qu’on doit aller au bout, peu importe les difficultés ou le temps que ça peut prendre. Je me souviens que mon grand-père, François Villiers, m’a dit un jour que c’était bien de penser toujours à plusieurs histoires en même temps et je suis tellement d’accord avec lui ! Personnellement, je ne saurais faire autrement aujourd’hui car j’ai l’impression que les projets se nourrissent les uns des autres dans ma tête et du coup ça structure toute ma pensée.
Malgré votre ascendance artistique, vous avez grimpé les marches en suivant un parcours classique, lequel précisément ? Le conservatoire ? Une école de théâtre ?
Le premier cours de théâtre qui m’a marqué et où je me suis dit « c’est vraiment ça que je veux faire de ma vie et je vais m’y plonger à fond », c’était les classes de Mireille Delcroix. J’ai commencé à les suivre au lycée, durant 3 ans et c’était fantastique. On a joué Le Misanthrope au Théâtre de la Commune mis en scène par David Géry. Puis, je suis rentrée au conservatoire du XIème avec Alain Hitier et Philippe Perrussel. J’ai adoré ces années de formation, on avait 40h de cours par semaine avec deux profs aussi exigeants que bienveillants qui nous faisait beaucoup travailler les classiques. J’en étais heureuse car ce sont les pièces classiques qui m’ont bouleversée gamine et donné envie de faire ce métier. C’est aussi grâce au conservatoire que je me suis lancée dans la mise en scène en me rendant compte que j’aimais autant faire cela que jouer.
Quelle a été votre toute première scène en tant que comédienne?
Je crois que les premières scènes que j’ai travaillées étaient issues du Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux. Puis, il y a eu Les Bonnes de Jean Genet et Le Misanthrope de Molière où je jouais Arsinoé face à Célimène. J’en garde de très bons souvenirs.
Depuis ces premiers pas, quel est le rôle qui vous a le plus marqué ?
J’ai l’impression qu’on est marqué par tous les rôles qu’on interprète. Que ça se passe bien ou mal, on apprend constamment et on découvre de nouvelles choses sur sa personnalité d’artiste.
Les personnages que je travaille se nourrissent sans cesse les uns des autres alors qu’ils n’ont aucun rapport. Par exemple, j’ai trouvé une foule d’inspirations pour interpréter Silvia dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard après avoir joué L‘Aigle à deux têtes de Cocteau; j’étais plus moi, je ne “jouais plus la jeune fille” et quand j’ai compris ça je me suis sentie entièrement libre !
Quand j’ai intégré l’équipe de Adieu Monsieur Haffmann, le personnage de Suzanne Abbetz et la direction d’acteurs de Jean-Philippe Daguerre m’ont permis de trouver encore plus de libertés tout en restant dans une technique très précise: “un lâcher-prise ». J’ai essayé de me débarrasser de ma nervosité et là aussi ça m’a beaucoup nourri.
Enfin, lorsque j’ai dû incarner Sarah dans Kamikazes de Stéphane Guerin, c’est Anne Bouvier qui m’a dirigée avec beaucoup de bienveillance et d’amusement pour me mener vers des états très précis, délicats et nuancés. C’était d’ailleurs très drôle pour moi de jouer la femme d’un nazi et d’interpréter juste après une médecin juive célibataire.
Personnellement, j’aime essayer de retrouver “des sensations physiques” qui m’ont marquées avec les personnages que j’ai interprétés et j’essaie de les additionner à chaque nouvelle expérience
Le metteur en scène est-il le guide d’un comédien?
La direction du metteur en scène, c’est vraiment ce qui épaissit le comédien. C’est lui qui éclaire la route de l’acteur vers son personnage. Une fois que l’acteur a trouvé sa piste, il peut alors s’approprier le rôle et le faire sien.
A vos yeux, le théâtre c’est une histoire de rencontres ?
De prime abord, les comédiens sont marqués par les rencontres qu’ils font avec leurs personnages, mais à mes yeux le théâtre repose sur beaucoup d’autres choses : à la base de tout, il y a la joie intense d’incarner les textes des auteurs. Il faut aussi apprendre à évoluer et à respirer avec ses partenaires afin d’être pris tous ensemble dans le tourbillon de l’histoire que l’on raconte. Il y a également une véritable excitation qui naît de la recherche avec les metteur(ses) en scène et toute l’équipe artistique : quelle émotion quand on découvre le costume de son personnage, quand on parcourt le décor dans lequel on va évoluer ou lorsqu’on entend pour la première fois les musiques de son futur spectacle ! Bref, c’est tellement puissant et émouvant une équipe qui se réunie autour d’un projet théâtral. Pour moi, quand on est comédien, on est autant marqué par nos rôles que par l’aventure humaine qui se tisse tout autour.
Quelles sont vos dernières créations ?
Avant le confinement, j’étais en plein dans les joyeuses répétitions de Badine, une adaptation que j’ai faite de On ne Badine pas avec l’amour d’après Musset. Nous devions jouer au TNF du Chesnay, au festival du Mois Molière à Versailles et enfin au Théâtre des Gémeaux pour le festival d’Avignon… Mais tout a été décalé… nous reprendrons dès que cela sera possible. J’ai vraiment hâte, car en septembre sont également prévues les répétitions de Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare que j’ai mis en scène avec Pierre Hélie l’année dernière.
Peut-on dire que vous avez une approche pop-rock et plutôt ludique de la mise en scène ?
C’est différent à chaque fois mais, en effet, j’aime le rythme, la fantaisie et la poésie. J’essaie de penser à tout ça afin d’octroyer un équilibre particulier à mon travail de mise en scène. Le plus important cependant reste le texte. Et la sincérité, la folie, la sensualité, l’humour, l’élégance, l’intensité, la souplesse bref, en un mot : le charisme des actrices et des acteurs qui me passionnent.
Qui sont les metteurs en scène qui vous inspirent ?
J’apprécie énormément Arianne Mnouchkine, Joel Pommerat, Simon Abkarian ou Julie Taymor … ce n’est pas facile de faire une liste.
Vous rappelez-vous d’une pièce qui vous a séduite ou bouleversée en particulier ?
Dernièrement, j’ai adoré Marie des Poules mise en scène par Arnaud Denis ainsi que Rouge de Jeremie Lippmann. J’ai également été scotchée par le dernier spectacle des Chiens de Navarre Tout le monde ne peut pas être orphelin et par la mise en scène de Simon Godwin de la pièce de Shakespeare Antoine et Cléopâtre. Et puis, j’ai aussi été bluffée par la performance d’acteur de Maxime d’Aboville dans Je ne suis pas Michel Bouquet.
Durant le confinement, vous avez réuni près de 80 amis artistes pour créer des vidéos en compagnie du comédien Étienne Launay. Parlez-nous de cette belle initiative.
Au cours d’un apéro en FaceTime avec deux amis (Jean Barney et Catherine Cyler), ils nous ont lancé l’idée de décliner la tirade des « Non, merci » de Cyrano de Bergerac avec plusieurs artistes. On a trouvé l’idée formidable et on s’est lancé ! De fil en aiguille on s’est retrouvés à 53 pour Cyrano et ensuite à 83 pour réciter La Fontaine. On s’est beaucoup amusés à construire ces vidéos. On avait envie de revoir nos camarades, de construire un objet tous ensemble, de créer une bulle, un moment de théâtre même si nous étions séparés et ça nous a fait un bien fou. C’était très excitant de chercher des textes puissants qui pouvaient fonctionner avec l’exercice d’un choeur d’artistes et qui correspondait tout à fait à la situation étrange que nous avons tous vécue.
Vu la situation stagnante du monde du spectacle, allez-vous continuer ces vidéos ? Après La Fontaine et Cyrano, place à Shakespeare ? Molière ? Un auteur contemporain ?
On se pose des questions, on cherche, on tâtonne, on essaie des choses, mais on reprend surtout le cours de la vraie vie et on se sort l’esprit du virtuel pour le moment. On revoit la famille et les amis, en chair et en os et ça fait du biiiiiien (en attendant de pouvoir les prendre dans nos bras )!
Comment percevez-vous les conséquences de la pandémie ?
J’espère de tout coeur que le secteur culturel va pouvoir redémarrer au plus vite dans des conditions sécurisées. J’ai hâte de retravailler et de tourner cette page sombre de notre histoire internationale. J’espère également que l’être humain va se rendre compte avec cette crise à quel point nous sommes allés trop loin dans la recherche du “toujours plus” et dans cette soif insatiable qui nous a fait perdre le sens des réalités. Ce virus ne sort pas de nulle part et j’espère que nous saurons tirer les enseignements de ce que nous avons vécu pour que cela ne se reproduise plus. Il faut revenir à l’essentiel et surtout le préserver
Restez-vous optimiste quant au devenir des gens du spectacle ? La prolongation des droits aux intermittents octroyée le 6 mai dernier par le Président va-t-elle suffire à sauver ce secteur fragile ?
Je suis quelqu’un de très optimiste donc oui je suis sûre que nous allons sortir de cette crise et que la passion du secteur culturel résonnera d’autant plus fort. Je suis très rassurée quant à la prolongation des droits des intermittents, ça me paraissait essentiel mais ça ne suffira pas à sauver tout le secteur culturel. Les structures de production de spectacles ont été très fragilisée par tous les évènements qui se sont produits depuis la rentrée 2019, entre les grèves, les manifestations et le virus…Les lieux qui accueillent les spectateurs ont été touchés de plein fouet et ont besoin de l’aide du gouvernement pour continuer leurs activités. Si il n’y a pas de lieux pour accueillir les spectacles, ni de producteurs qui croient aux projets et investissent leurs sous et leur énergie, la Création va être gravement menacée. Et ça vaut pour le théâtre, pour les tournages , les expositions, les concerts… Sans le gouvernement ça va être très complexe de rebondir. Il est urgent d’aider TOUS les métiers de la culture car au delà des intermittents, d’autres travaillent dans ce secteur sans bénéficier de ce statut et sont gravement en danger. Je suis donc soulagée par l’année blanche pour les droits des intermittents mais je reste prudente et lucide. Oui, je suis heureuse que l’État tente de faire au mieux pour sauver ce secteur, oui je suis heureuse d’être Française et que les artistes soient protégés dans ce pays, car on a de la chance comparé aux autres, mais tout ça ne m’empêche pas de me dire qu’il faut toujours être vigilant et tout faire pour protéger “l’exception culturelle à la française” et tous les emplois qui gravitent autour d’elle. La culture c’est la nourriture de l’esprit et il est vital de la défendre.
Avez-vous un dernier message à transmettre de la part des gens du spectacle ?
Je pense à cette anecdote que j’aime bien sur Winston Churchill. Quand on proposa à Churchill de couper dans le budget de la culture pour aider l’effort de guerre, il répondit tout simplement : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? »
Florence Gopikian Yérémian
Photos : ©Franck Harscouet, ©Simon Larvaron et ©Cédric Vasnier