Symbole millénaire du Japon, le Mont Fuji est le point culminant de l’archipel géographiquement, mais aussi quelque part artistiquement et spirituellement. Sa forme parfaite a toujours été source d’inspiration pour les arts et la religion, une tradition qui perdure aujourd’hui à travers Fuji, pays de neige, une exposition organisée pour la réouverture du musée Guimet.
La présentation appuie dès le début sur l’aspect divin de la montagne avec par exemple ce kakémono. La déesse Konohana Sakuya Hime apparaît en dessous du mont Fuji. Cette divinité représente le caractère sacré du relief, elle est d’ailleurs vénérée au grand sanctuaire shintô de Fujinomiya qui a son annexe au sommet. La volonté de l’auteur de placer le mont Fuji au centre des astres ne laisse également aucun doute sur la dimension théologique de l’œuvre.
Sur cette longue estampe verticale, le moine Saigyô rêve du mont Fuji. Il a raison : la montagne sacrée est l’un trois porte-bonheur des rêves japonais. Avec le faucon et l’aubergine, il est dit garantir une bonne année s’il apparaît dans un songe. Ceci dit, cela n’est valable que le 1er janvier. Impossible de dire si Saigyô est à la bonne date, mais l’exposition met là en lumière la fascination du religieux pour le mont Fuji, véritable carrefour de la spiritualité depuis les premiers temps de l’histoire japonaise.
Quand on parle mont Fuji et peinture, Katsushika Hokusai n’est jamais très loin. Fuji, pays de neige convie bien entendu le célèbre auteur des Trente-six vues du mont Fuji avec, comme cela est commode, un Fuji tout blanc. Si le rendu est carrément splendide, ce n’est qu’un mode d’impression différent du Fuji rouge de la même série. Il est très justement en couverture du guide officiel de l’exposition : la nuée d’arbres minuscules, comparativement, rend compte plus que n’importe qu’elle autre œuvre du gigantisme et de la majesté du lieu.
Hokusai est vraiment le meilleur et ça se voit. En comparant deux représentations relativement similaires, son Aube à Isawa est nettement plus évocateur que Traversée de la rivière Rokugo près de relais de Kawasaki sur le Tokaido de son confrère Shotei Hokuju. Ce dernier ne réalise aucune variation de ton ou de couleur sur le mont Fuji, les formes sont beaucoup moins réalistes. Bien que d’autres visions remarquables de la montagne sont présentes (on pense à Sukoku), seul Hiroshige arrive vraiment à lui tenir tête sur le sujet.
Le mont Fuji est aussi un sujet en photographie. Ce cliché pris à Shizuoka est particulièrement impressionnant quand on sait qu’il date des années 1890. Quand on la voit de près, la qualité est incroyable pour une épreuve aussi vieille. Elle constitue un témoignage inestimable des alentours du mont Fuji avant le 20e siècle.
Surprise, on retrouve à côté les faux samouraïs de Raimund von Stillfried. On se souvient que l’historien Claude Estèbe avait largement critiqué cette série à la Japan Expo Sud 2019, à cause de son approche peu rigoureuse. Le choix de mont Fuji comme fond est certainement là le paroxysme de la folie mercantile de Stillfried qui est plus là dans la carte postale que dans le huitième art. Ce n’est pas de l’art, c’est du marketing et on peine à comprendre ce que ça fait ici…
On l’a dit à l’occasion de l’exposition d’estampes à Aix-en-Provence en février dernier, l’estampe traduit souvent la dureté des éléments. Neige et montagne se prêtent bien à l’exercice, avec par exemple cet Ôi de Hiroshige, où le voile blanc pèse lourd sur les épaules de ces promeneurs. On s’aperçoit là en revanche d’une petite contradiction de l’exposition : le Ôi de Hiroshige se trouve aujourd’hui près de Gifu, relativement loin du mont Fuji. Fuji, pays de neige en réalité juxtapose les deux thèmes et ne les conjugue pas pleinement.
Mais même indépendamment de la vénérable montagne, le sujet hivernal est bien géré par l’exposition, qui a quelques scènes de la vie quotidienne dans la neige. On voyage de Ochanomizu à Kyoto au travers d’épisodes champêtres et apaisants en estampes. A l’opposé, le thème guerrier est présent avec trois estampes de la compagne d’hiver du conflit sino-japonais. Enfin, on a de magnifiques exemples de gravures d’après et avant 1945, toutes de Kawase Hasui. Neige à Shiobara (ci-dessus) montre combien le maître excelle dans la côté poétique qu’il confère à des mois pourtant rigoureux. Une conclusion au petit goût impressionniste, mais en tout cas exceptionnelle pour une collection qui l’est tout autant.
Fuji, pays de neige
Musée National des Arts Asiatiques Guimet
6, Place d’Iéna, 75116 PARIS
Du 15 juillet au 12 octobre 2020
Ouvert de 10h à 18h