A l’occasion de l’exposition parisienne consacrée à l’artiste arménien Jean Vendome, SYMA News a rencontré son fils. Joaillier lui-même, Thierry Vendome nous parle de ce pionnier du bijou moderne qui a su se distinguer dès les années 50 par sa fougue créative et l’utilisation de matériaux inédits.
Florence Gopikian Yérémian : Qui est à l’initiative de l’exposition Jean Vendome à l’École des Arts Joailliers ?
Thierry Vendome : Tout s’est mis en place lors d’une rencontre avec Nicolas Bos – le président de Van Cleef & Arpels -et Marie Vallanet – présidente de l’École des Arts Joailliers. Je leur ai parlé du travail de mon père et de la relation amicale qu’il entretenait avec l’écrivain Roger Caillois, et celà a donné lieu à ce très bel évènement.
Est-ce la première retrospective qui lui soit consacrée ?
C’est la première après son décès en 2017. Au préalable, il y a eu une rétrospective Jean Vendome en 1998 au Muséum d’histoire naturelle de Paris et une seconde en 99 à Lyon.
En quoi votre père s’est-il différencié de ses contemporains ?
Dans les années 50, il ne se reconnaissait plus dans son métier ni dans l’idée de devoir réaliser des bijoux qui ne lui plaisaient pas. Il a questionné certains concepts de sa profession et a choisi de s’en affranchir pour aller vers de nouvelles formes : la bague ouverte sur le dessus du doigt en est un exemple, la forme carrée également. Jean Vendome a aussi exploré de nouvelles manières de travailler l’or comme cette matière “pépite” qu’il réalisait en forgeant l’or à chaud. L’asymétrie se retrouve aussi très souvent dans ses œuvres tout comme l’utilisation de minéraux qui lui étaient propre : mon père était passionné de minéralogie et il aimait mettre en valeur la singularité des cristaux et des gemmes. Cette approche du bijou était unique à son époque.
L’exposition parle de « pierres fantômes », pourriez-vous nous en dire d’avantage sur ces mystérieuses gemmes ?
Les quartz fantômes sont appelés ainsi car à travers leurs transparences apparaissent d’autres naissances de quartz. Jean Vendome etait le premier à s’intéresser à cette pierre si caractéristique. Dans les années 90, il avait réalisé toute une collection de bijoux à partir de leurs particularités.
Comment s’est-il formé au métier de joaillier ?
Il est rentré à 11 ans en apprentissage chez son oncle, le joaillier Aram Der. Parallèlement, vers 14 ans, il a suivi des cours de dessin et de gemmologie. Quand il a eu 18 ans, il s’est mis à son compte et lors de son service militaire, il s’est inscrit aux Beaux Arts d’Orleans.
Comment concevait-il ses collections ?
Il dessinait sans arrêt, sur un coin de nappe, dans les marges de magazines et régulièrement le soir, après ses journées d’établi. Il a ainsi laissé des milliers de dessins de créations non réalisées. En 1985, au décès de sa première épouse (ma mère Nelly), il s’est mis à créer une collection chaque année sur une thématique définie. Il la dévoilait toujours lors de ses expositions de novembre en présentant 200 à 400 nouvelles pièces, cela jusqu’à la fermeture de son magasin en 2007.
Votre père a également réalisé 9 épées d’académiciens, lesquelles ?
Celles de Roger Caillois, Julien Green, Maurice Schumann, Henry Amouroux, Guillaume Guindey, Robert Marjolin, Lucien Israël, Michel Foliasson et René de Obaldia. Il aurait pu en réaliser une dixième – celle de Jacques Dupaquier – mais il a eu l’élégance et la générosité de me laisser la dessiner et la concevoir.
A-t-il une œuvre iconique ?
Je dirais sa bague « 5th Avenue ».
Quelle est votre oeuvre préférée ?
Celle qui m’a le plus bluffé est l’épée de Maurice Schumann. Sa garde est une grande flamme en or inspirée par l’esprit baroque du Tintoret (selon la volonté de l’académicien). Elle est terriblement contemporaine. Mon père y a mis toute sa fougue et son amour alors qu’il sortait de 2 ans d’hospitalisation après avoir miraculeusement échappé à un accident de la route…
Il y aurait tellement d’anecdotes à raconter sur ses œuvres. Lors de ses derniers jours de vie, un matin en se réveillant il a demandé un crayon et un papier sur lequel il a dessiné une croix avec des ailes. Ce dessin que j’ai gardé est d’une telle délicatesse … il souhaitait que je le réalise en or, mais hélas, il n’a pas vu cette dernière pièce car il est mort quelques jours plus tard.
Vous êtes vous-même joaillier, comment votre père vous a-t-il transmis son savoir faire ?
Il a été mon maitre dans l’apprentissage de l’art de la création puis, pendant 23 années, j’ai travaillé à ses côtés et j’ai appris chaque jour. Dès mes 16 ans, mon père m’a offert la chance de pouvoir réaliser des bijoux sortis de croquis que j’avais maladroitement dessinés. Travailler à ses côtés était enthousiasmant car il avait un très fort esprit de compétition et savait motiver ses équipes: il fallait faire vite et bien.
Quelle est votre approche du bijou ?
Je suis sans cesse à la recherche de nouvelles formes de bijoux pour habiller un corps et je travaille souvent sur des matières brutes car j’aime également l’idée de mettre de la puissance dans une œuvre. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait venir à la rouille que j’utilise régulièrement dans mon travail pour son aspect sauvage.
Avez-vous également une pièce emblématique ?
J’ai créé une collection particulière nommée Écorce : c’est une série de bagues fines comme déchiquetées jouant sur les ors mats et polis. Elles sont parsemées de petits diamants et se portent seules ou en accumulation.
Le véritable nom de votre père était Ohan Tuhdarian, pourquoi l’avoir changé ?
Cela s’est décidé dans les années 60 lors de son premier salon de bijouterie. Sur son stand, il avait placé comme enseigne « Vendome » et une personne accompagnée d’un huissier lui a sommé de fermer son stand car elle était propriétaire de cette marque. Un ami avocat a alors dit à mon père d’apposer « Jean » devant « Vendome », pour pouvoir continuer à garder ce nom. A partir de ce moment, sur sa carte d’identité était inscrit « Ohan Tuhdarian dit Jean Vendome »
En hommage à vos racines arméniennes, vous avez créé un pendentif commémorant le Génocide de 1915
Tout à fait. Lorsqu’en 2007 j’ai lu le livre sur l’enfance de ma grand mère cela m’a remué. Je connaissais, bien sur, les évènements de 1915 mais en découvrant les détails de ce qu’elle avait vécu durant le Génocide des Arméniens, j’ai commencé à me documenter. J’avais besoin de connaître parfaitement ce terrible drame et je ressentais un besoin viscéral de créer une œuvre qui puisse être en rapport avec cela. Marzevan a été ce premier bijou : une croix dont les parties de branches sont manquantes.
D’autres pièces sont-elles liées à vos origines ?
J’ai fait une série autour de ce thème de la croix mutilée en rapport avec le génocide culturel de Djulfa durant lequel des centaines de magnifiques Ratchkars ont été détruits. J’ai aussi réalisé une autre collection de bijoux en hommage à l’Arménie. Pour ce faire, j’ai rapporté des obsidiennes et des turquoises de ma terre ancestrale et j’ai crée la collection Ayguedsor qui s’inspire du désordre esthétique des vignes d’Erevan.
Vous avez également un projet très « spirituel » …
J’ai effectivement sur mon établi une pièce en cours que je dois remettre à un patriarche pour une grande occasion. Il est question d’une croix blanche de belle taille mais cela reste encore secret…
Florence Gopikian Yérémian
Jean Vendôme – Artiste Joaillier
École des Arts Joailliers
31 rue Danielle Casanova – Paris 1erJusqu’au 18 décembre 2020
Entrée gratuite du mardi au samedi de 13h à 19h
Réservez votre visite :
https://www.lecolevancleefarpels.com/fr/fr/exposition-jean-vendome-artiste-joaillier
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